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EAN : 9782070360604
160 pages
Gallimard (28/03/1972)
3.75/5   2150 notes
Résumé :
Cette pièce a été représentée pour la première fois à Paris, à la Comédie des Champs-Élysées, le 15 décembre 1923, sous la direction de Jacques Héberlot, avec la mise en scène et les décors de Louis Jouvet. Les rôles étaient tenus par Mrs.
Coutant-Lambert, Irma Perrot, Iza Reyner, Mag. Bérubet,
J. Tisserand ; et par MM. Louis Jouvet, A. Héraut, Evséeff, Gaultier, Ben Danou, Salis, Mamy, Saint-Isles.

LE TAMBOUR - Quand j'ai dîné, il y a... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (162) Voir plus Ajouter une critique
3,75

sur 2150 notes
Jules Romains écrit cette pièce de théâtre au début des années 1920, c'est-à-dire à une époque où la société d'aujourd'hui commence à se dessiner ; celle où la crainte de mourir de faim cède le pas à des peurs moins ancestrales.
Il s'agit de créer d'autres peurs que l'apocalypse ou la famine et la médecine saura se tailler la part du lion dans ce faisceau de craintes. (Combien de laboratoires biomédicaux dans les plus grosses entreprises cotées en bourse à l'heure actuelle ?)
Je mets en parallèle cette pièce prémonitoire avec des ouvrages ou des films plus récents comme L'Aliéniste de l'excellent auteur brésilien Machado de Assis, comme le film Bowling For Columbine de Michael Moore ou encore comme l'essai d'Ulrich Beck La Société du Risque.
L'auteur sait avec beaucoup d'humour nous livrer une réflexion philosophique sur un sujet de société — le marché de la peur — la commercialisation du risque.
Vous reconnaîtrez nombre de situations que vous avez déjà connues (achat d'une extension de garantie, test complémentaire, assurance spéciale, etc.).
À l'heure actuelle, ne cherche-t-on pas à toujours créer de nouvelles peurs pour les mieux commercialiser (bug de l'an 2000, grippe aviaire, réchauffement climatique, H1N1, le fameux "principe de précaution"...) ?
Knock est un sinistre charlatant, froid et calculateur, l'exact sosie de l'abbé Troubert de Balzac (voir le Curé de Tours), qui joue à fond sur les cordes sensibles de la cupidité et de la crainte sur la grande lyre humaine.
Lui-même avait été escroqué par son confrère prédécesseur lors de l'estimation de la clientèle, qui n'a aucun scrupule à livrer la population aux mains d'un homme tel que Knock.
Toute la succulence réside dans la façon dont Knock doit, dès la première entrevue, prendre l'ascendant sur le patient, le dominer via la peur de la maladie, au point de laisser l'autre en position de quasi vénération pour son praticien. Bravo à Jules Romain pour cette grande finesse tant psychologique que sociologique.
Et quand bien même vous ne trouveriez aucun intérêt au propos de la pièce, lisez-la seulement pour rire et vous ne serez pas déçus car c'est drôlement bien écrit et écrit bien drôlement, en tout cas, c'est mon peu salubre avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Rien que la couverture est jubilatoire...Cette pièce de théâtre sert de prélude à ce qu'est devenue la médecine dans bien des cas , un métier lucratif , un bénéfice à partager avec tous les réseaux sanitaires du coin .A partir du médecin , une sacrée toile se tisse :pharmacie , transports sanitaires ,kinésithérapie, ostéopathie, soins infirmiers ....Loin de moi l'idée de contester qui ou quoi que ce soit , la médecine a participé à l'éradication de nombreuses pathologies incurables il n'y a pas si longtemps. La médecine et les médecins méritent tout notre respect mais il est vrai qu'au delà du désir de soigner s'est développé chez nombre d'entre eux un fort désir de " bien vivre " . Le développement des déserts médicaux en est la preuve ,être médecin est devenu un métier qui a tout de même perdu une partie de son humanisme , une partie du désir d'entraide . Bien loin de notre époque , la seule vocation , et dans bien des domaines , hélas . Bon , ainsi va la vie , la vie moderne , où se faire soigner a un coût .... comme tout , du reste...
Le docteur Parpalaid , lui , ne pouvait pas s'enrichir : pratiquement aucun malade dans le village où tout le monde allait bien , respirait la santé , jusqu'à l'arrivée du célèbre docteur Knock , successeur dudit Parpalaid . Un court arrêt pour une remarque qui pourrait paraître déplacée : Knock , vous imaginez la plaque de votre médecin , docteur Knock , ça ne vous semble pas un peu suspect , ce nom , un peu clownesque , un peu ... charlatan ? Non ? Ah , ça vient de moi , alors , excusez-moi....
La suite est extraordinaire : la publicité, les consultations ( à mourir de rire ...ou de peur , c'est selon ) ,la salle d'attente qui se remplit .Bref , l'art et la manière de rendre malade une population en bonne santé. Knock est un génie qui mérite d'être connu ( !!! ) et qui a bien compris toutes les méthodes peu orthodoxes qui vont lui permettre de s'enrichir et ....de guérir des malades qui s'ignoraient.
Prémonitoire d'une époque que nous connaissons bien désormais ? Moi , je ne prends pas parti , je ne dis rien mais tout de même , Jules Romains a frappé fort ..et bien . Soyons clairs , cette parodie doit être prise ... comme une parodie , même si certaines situations ....
Et quand un Louis Jouvet incarne le docteur Knock... voilà une oeuvre mythique , à lire absolument , à déguster sans modération . Un dernier mot , j'adore mon médecin et je suis heureux , en vieillissant , de pouvoir compter sur une médecine de qualité , servie par des gens compétents et...dévoués.
Désolé , j'ai oublié les étoiles . Pour moi , aucune hésitation : 5.
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Knock ou le triomphe de Jules Romains

Ce personnage peut bien avoir pour l'éternité le visage de Louis Jouvet, il est avant tout diabolique. Son premier méfait ? Nous rendre le personnage de Parpalaid presque sympathique !

"KNOCK : Vous me donnez un canton peuplé de quelques milliers d'individus, neutres, indéterminés. Mon rôle c'est de les déterminer, de les amener à l'existence médicale (...).

LE DOCTEUR : Vous ne pouvez cependant pas mettre tout un canton au lit !

KNOCK : Cela se discuterait."

Le cabinet médical comme fond de commerce. le docteur Knock inocule une sorte d”hypocondrie généralisée à sa patientèle, rendant ainsi son métier fort lucratif. le soupçon de charlatanisme a longtemps pesé autour de la médecine et c'est à la source de cette défiance que s'abreuve Jules Romains dans cette comédie grinçante et drolatique, dont la fin prend des allures dystopiques.

Devenue l'oeuvre majeure, presque ombrageante, de l'écrivain et dramaturge, cette comédie efficace nous offre un remède à la cupidité : commencer par soigner l'ignorance des vrais/faux patients car si nous ne pouvons tous être médecins, nous avons tout de même un ciboulot et, face au sachant, la crédulité criante des patients de la pièce pose question.

Qu'en pensez vous ?
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Impossible, pour moi, de dissocier Knock du superlatif Louis Jouvet qui incarna ce médecin avec un talent à nul autre pareil.
Knock est une oeuvre drôle et farceuse, visionnaire d'un temps à venir de sur-médicalisation par une médecine devenue affairiste.
Knock campe une sorte de personnage magnétique, à l'autorité bon enfant.
Un médecin à mi-chemin entre le gourou et l'entrepreneur en élevage intensif des malades!
Une pièce qui se relit et se revoit sans lassitude.
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On se déplace rarement chez le médecin dans la bourgade de Saint-Maurice. Et pour cause : faute de motivation, le Docteur Parpalaid n'a pas l'oreille très complaisante, ses réponses restent évasives. Alors on se débrouille (on ne va quand même pas payer pour se voir conseiller une tisane !), et on ne voit pas beaucoup le pharmacien non plus. Lorsque Knock reprend le cabinet, tout change. Consultations gratuites une demi-journée par semaine, écoute attentive, diagnostics alarmistes mais aussi pleins de bon sens pour une meilleure hygiène de vie.

Philanthrope, ce Docteur Knock ? les gens adorent confier leurs petits malheurs, quitte à en rajouter/inventer... Filou ? Commercial ? Ingénieux en tout cas et ne ménageant pas sa peine. Il va faire prospérer sa "petite entreprise", ainsi que celle du pharmacien. Cela en faisant lourdement payer les patients les plus aisés, et en mettant une partie de la population au lit - pour le plus grand plaisir de ces "malades" (imaginaires), ravis d'être enfin l'objet d'attention.

Cette pièce a été écrite dans les années 1920. J'ignore quel accueil elle reçut à l'époque mais l'humour n'a pas vieilli. Ce texte visionnaire (sur l'art "capitaliste" de créer et développer un besoin) est pertinent, malicieux et jubilatoire. Je l'ai relu avec bonheur.

--- Livre découvert en 6e, en lecture imposée. J'avais beaucoup aimé, la prof avait dû nous le rendre limpide ; pas sûr que tout y soit accessible dès douze ans sans décryptage. Un premier pas réussi pour moi vers le théâtre écrit, qui m'a sûrement aidée à surmonter Molière les années suivantes (auteur génial pour les adultes, mais totalement indigeste au collège) et à continuer à lire des pièces avec plaisir.
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Citations et extraits (156) Voir plus Ajouter une citation
Enfin, si les gens en ont assez d'être bien portants, et s'ils veulent s'offrir le luxe d'être malades, ils auraient tort de se gêner. C'est d'ailleurs tout bénéfice pour le médecin.
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Acte II – Scène I

KNOCK, LE TAMBOUR DE VILLE

KNOCK, assis, regarde la pièce et écrit : C’est vous le tambour de ville ?
LE TAMBOUR, debout : Oui, monsieur.
KNOCK : Appelez-moi docteur. Répondez-moi « oui, docteur », ou « non, docteur ».
LE TAMBOUR: Oui, docteur.
KNOCK : Et quand vous avez l’occasion de parler de moi au-dehors, ne manquez jamais de vous exprimer ainsi : « Le docteur a dit », « le docteur a fait »… J’y attache de l’importance. Quand vous parliez entre vous du docteur Parpalaid, de quels termes vous serviez-vous ?
LE TAMBOUR: Nous disions : « C’est un brave homme, mais il n’est pas très fort. »
KNOCK : Ce n’est pas ce que je vous demande. Disiez-vous « le docteur » ?
LE TAMBOUR: Non. « M. Parpalaid », ou « le médecin », ou encore « Ravachol ».
KNOCK : Pourquoi « Ravachol » ?
LE TAMBOUR: C’est un surnom qu’il avait. Mais je n’ai jamais su pourquoi.
KNOCK : Et vous ne le jugiez pas très fort ?
LE TAMBOUR : Oh ! pour moi, il était bien assez fort. Pour d’autres, il paraît que non.
KNOCK : Tiens !
LE TAMBOUR: Quand on allait le voir, il ne trouvait pas.
KNOCK : Qu’est-ce qu’il ne trouvait pas ?
LE TAMBOUR: Ce que vous aviez. Neuf fois sur dix, il vous renvoyait en vous disant : « Ce n’est rien du tout. Vous serez sur pied demain, mon ami. »
KNOCK : Vraiment !
LE TAMBOUR: Ou bien il vous écoutait à peine, en faisant « oui, oui », « oui, oui », et il dépêchait de parler d’autre chose, pendant une heure, par exemple de son automobile.
KNOCK : Comme si l’on venait pour ça !
LE TAMBOUR: Et puis il vous indiquait des remèdes de quatre sous ; quelquefois une simple tisane. Vous pensez bien que les gens qui payent huit francs pour une consultation n’aiment pas trop qu’on leur indique un remède de quatre sous. Et le plus bête n’a pas besoin du médecin pour boire une camomille.
KNOCK : Ce que vous m’apprenez me fait réellement de la peine. Mais je vous ai appelé pour un renseignement. Quel prix demandiez-vous au docteur Parpalaid quand il vous chargeait d’une annonce ?
LE TAMBOUR, avec amertume : Il ne me chargeait jamais d’une annonce.
KNOCK : Oh ! Qu’est-ce que vous me dites ? Depuis trente ans qu’il était là ?
LE TAMBOUR: Pas une seule annonce en trente ans, je vous jure.
KNOCK, se relevant, un papier à la main : Vous devez avoir oublié. Je ne puis pas vous croire. Bref, quels sont vos tarifs ?
LE TAMBOUR: Trois francs le petit tour et cinq francs le grand tour. Ça vous paraît peut-être cher. Mais il y a du travail. D’ailleurs, je conseille à monsieur…
KNOCK : « Au docteur. »
LE TAMBOUR: Je conseille au docteur, s’il n’en est pas à deux francs près, de prendre le grand tour, qui est beaucoup plus avantageux.
KNOCK : Quelle différence y a-t-il ?
LE TAMBOUR: Avec le petit tour, je m’arrête cinq fois : devant la Mairie, devant la Poste, devant l’Hôtel de la Clef, au Carrefour des Voleurs, et au coin de la Halle. Avec le grand tour, je m’arrête onze fois, c’est à savoir…
KNOCK : Bien, je prends le grand tour. Vous êtes disponible, ce matin ?
LE TAMBOUR : Tout de suite si vous voulez…
KNOCK : Voici donc le texte de l’annonce.
Il lui remet le papier.
LE TAMBOUR, regardant le texte : Je suis habitué aux écritures. Mais je préfère que vous me le lisiez une première fois.
KNOCK, lentement. Le Tambour écoute d’une oreille professionnelle : « Le docteur Knock, successeur du docteur Parpalaid, présente ses compliments à la population de la ville et du canton de Saint-Maurice, et a l’honneur de lui faire connaître que, dans un esprit philanthropique, et pour enrayer le progrès inquiétant des maladies de toutes sortes qui
envahissent depuis quelques années nos régions si salubres autrefois… »
LE TAMBOUR: Ça, c’est rudement vrai !
KNOCK : « …il donnera tous les lundis matin, de neuf heures trente à onze heures trente, une consultation entièrement gratuite, réservée aux habitants du canton. Pour les personnes étrangères au canton, la consultation restera au prix ordinaire de huit francs. »
LE TAMBOUR, recevant le papier avec respect : Eh bien ! C’est une belle idée ! Une idée qui sera appréciée ! Une idée de bienfaiteur ! (Changeant de ton) Mais vous savez que nous sommes lundi. Si je fais l’annonce ce matin, il va vous en arriver dans cinq minutes.
KNOCK : Si vite que cela, vous croyez ?
LE TAMBOUR: Et puis, vous n’aviez peut-être pas pensé que le lundi est jour de marché ? La moitié du canton est là. Mon annonce va tomber dans tout ce monde. Vous ne saurez plus où donner de la tête.
KNOCK : Je tâcherai de me débrouiller.
LE TAMBOUR: Il y a encore ceci : que c’est le jour du marché que vous aviez le plus de chances d’avoir des clients. M. Parpalaid n’en voyait guère que ce jour-là. (Familièrement) Si vous les recevez gratis…
KNOCK : Vous comprenez, mon ami, ce que je veux, avant tout, c’est que les gens se soignent. Si je voulais gagner de l’argent, c’est à Paris que je m’installerais, ou à New York.
LE TAMBOUR: Ah ! vous avez mis le doigt dessus. On ne se soigne pas assez. On ne veut pas s’écouter, et on se mène trop durement. Quand le mal vous tient, on se force. Autant vaudrait-il être des animaux.
KNOCK : Je remarque que vous raisonnez avec une grande justesse, mon ami.
LE TAMBOUR, se gonflant : Oh ! sûr que je raisonne, moi. Je n’ai pas l’instruction que je devrais. Mais il y en a de plus instruits qui ne m’en remontreraient pas. M. le maire, pour ne pas le nommer, en sait quelque chose. Si je vous racontais qu’un jour, monsieur…
KNOCK : « Docteur »
LE TAMBOUR: Docteur !... qu’un jour, M. le préfet, en personne, se trouvait à la mairie dans la grande des mariages, et même que vous pourriez demander attestation du fait à des notabilités présentes, à M. le premier adjoint, pour ne pas le nommer, ou à M. Michalon, et qu’alors…
KNOCK : Et qu’alors M. le préfet a vu tout de suite à qui il avait à faire, et que le tambour de ville était un tambour qui raisonnait mieux que d’autres qui n’étaient pas tambours mais qui se prenaient pour quelque chose de bien plus fort qu’un tambour. Et qui est-ce qui n’a plus su quoi dire ? C’est M. le maire.
LE TAMBOUR : C’est l’exacte vérité ! Il n’y a pas un mot à changer ! On jurerait que vous étiez là, caché dans un petit coin.
KNOCK : Je n’y étais pas, mon ami.
LE TAMBOUR: Alors, c’est quelqu’un qui vous l’a raconté, et quelqu’un de bien placé ? (Knock fait un geste de réserve diplomatique) Vous ne m’ôterez pas de la tête que vous en avez causé récemment avec M. le préfet.
Knock se contente de sourire.
KNOCK, se levant. : Donc, je compte sur vous, mon ami. Et rondement, n’est-ce pas ?
LE TAMBOUR, après plusieurs hésitations : Je ne pourrai pas venir tout à l’heure, ou j’arriverai trop tard. Est-ce que ça serait un effet de votre bonté de me donner ma consultation maintenant ?
KNOCK : Heu… Oui. Mais dépêchons-nous. J’ai rendez-vous avec M. Bernard, l’instituteur, et avec M le pharmacien Mousquet. Il faut que je les reçoive avant que les gens n’arrivent. De quoi souffrez-vous ?
LE TAMBOUR: Attendez que je réfléchisse ! (Il rit.) Voilà. Quand j’ai diné, il y a des fois que je me sens une espèce de démangeaison ici. (Il montre le haut de son épigastre.) Ça me chatouille, ou plutôt, ça me gratouille.
KNOCK, d’un air de profonde concentration : Attention. Ne confondons pas. Est-ce que ça vous chatouille, ou est-ce que ça vous gratouille ?
LE TAMBOUR: Ça me gratouille. (Il médite.) Mais ça me chatouille bien un peu aussi.
KNOCK : Désignez-moi exactement l’endroit.
LE TAMBOUR: Par ici.
KNOCK : Par ici… où cela, par ici ?
LE TAMBOUR: Là. Ou peut-être là… Entre les deux.
KNOCK : Juste entre les deux ?... Est-ce que ça ne serait pas plutôt un rien à gauche, là, où je mets mon doigt ?
LE TAMBOUR: Il me semble bien.
KNOCK : Ça vous fait mal quand j’enfonce mon doigt ?
LE TAMBOUR: Oui, on dirait que ça me fait mal.
KNOCK : Ah! ah! (Il médite d’un air sombre.) Est-ce que ça ne vous gratouille pas davantage quand vous avez mangé de la tête de veau à la vinaigrette ?
LE TAMBOUR: Je n’en mange jamais. Mais il me semble que si j’en mangeais, effectivement, ça me gratouillerait plus.
KNOCK : Ah ! Ah ! très important. Ah ! ah ! Quel âge avez-vous ?
LE TAMBOUR: Cinquante et un, dans mes cinquante-deux.
KNOCK : Plus près de cinquante-deux ou de cinquante et un ?
LE TAMBOUR, il se trouble peu à peu : Plus près de cinquante-deux. Je les aurai fin novembre.
KNOCK, lui mettant la main sur l’épaule : Mon ami, faites votre travail aujourd’hui comme d’habitude. Ce soir, couchez-vous de bonne heure. Demain matin, gardez le lit. Je passerai vous voir. Pour vous, mes visites seront gratuites. Mais ne le dites pas. C’est une faveur.
LE TAMBOUR, avec anxiété : Vous êtes trop bon, docteur. Mais c’est donc grave, ce que j’ai ?
KNOCK : Ce n’est peut-être pas encore très grave. Il était temps de vous soigner. Vous fumez ?
LE TAMBOUR, tirant son mouchoir : Non, je chique.
KNOCK : Défense absolue de chiquer. Vous aimez le vin ?
LE TAMBOUR: Je bois raisonnablement.
KNOCK : Plus une goutte de vin. Vous êtes marié ?
LE TAMBOUR: Oui, docteur.
Le tambour s’essuie le front.
KNOCK : Sagesse totale de côté-là, hein ?
LE TAMBOUR : Je puis manger ?
KNOCK : Aujourd’hui, comme vous travaillez, prenez un peu de potage. Demain, nous en viendrons à des restrictions plus sérieuses. Pour l’instant, tenez-vous-en à ce que je vous ai dit.
LE TAMBOUR s’essuyant à nouveau : Vous ne croyez pas qu’il vaudrait mieux que je me couche tout de suite ? Je ne me sens réellement pas à mon aise.
KNOCK, ouvrant la porte : Gardez-vous en bien ! Dans votre cas, il est mauvais d’allez se mettre au lit entre le lever et le coucher du soleil. Faites vos annonces comme si de rien n’était, et attendez tranquillement jusqu’à ce soir.
Le tambour sort. Knock le reconduit.
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KNOCK, la fait asseoir.

Vous vous rendez compte de votre état?

LA DAME
Non.

KNOCK,il s'assied en face d'elle.
Tant mieux. Vous avez envie de guérir, ou vous n'avez pas envie?

LA DAME
J'ai envie.

KNOCK
J'aime mieux vous prévenir tout de suite que ce sera très long et très coûteux.

LA DAME
Ah! mon Dieu! Et pourquoi ça?

KNOCK
Parce qu'on ne guérit pas en cinq minutes un mal qu'on traîne depuis quarante ans.

LA DAME
Depuis quarante ans?

KNOCK
Oui, depuis que vous êtes tombée de votre échelle.

LA DAME
Et combien que ça me coûterait?

KNOCK
Qu'est-ce que valent les veaux, actuellement?

LA DAME
Ca dépend des marchés et de la grosseur. Mais on ne peut guère en avoir de propres à moins de quatre ou cinq cents francs.

KNOCK
Et les cochons gras?

LA DAME
Il y en a qui font plus de mille.

KNOCK
Eh bien! ça vous coûtera à peu près deux cochons et deux veaux.

LA DAME
Ah! là! là! Près de trois mille francs? C'est une désolation, Jésus Marie!

KNOCK
Si vous aimez mieux faire un pèlerinage, je ne vous en empêche pas.

LA DAME
Oh! un pèlerinage, ça revient cher aussi et ça ne réussit pas souvent. (Un silence.) Mais qu'est-ce que je peux donc avoir de si terrible que ça?

KNOCK, avec une grande courtoisie. Je vais vous l'expliquer en une minute au tableau noir. (Il va au tableau et commence un croquis.) Voici votre moelle épinière, en coupe, très schématiquement, n'est-ce pas? Vous reconnaissez ici votre faisceau de Turck et ici votre colonne de Clarke. Vous me suivez? Eh bien! quand vous êtes tombée de l'échelle, votre Turck et votre Clarke ont glissé en sens inverse (il trace des flèches de direction) de quelques dixièmes de millimètre. Vous me direz que c'est très peu. Évidemment. Mais c'est très mal placé. Et puis vous avez ici un tiraillement continu qui s'exerce sur les multipolaires.

Il s'essuie les doigts.

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Le tambour : Quand j'ai dîné, il y a des fois que je sens une espèce de démangeaison ici. Ca me chatouille, ou plutôt ça me gratouille.
Knock : Attention. Ne confondons pas. Est-ce que ça vous chatouille, ou est-ce que ça vous gratouille?
Le tambour : Ca me gratouille. Mais ça me chatouille bien un peu aussi...
Knock : Est-ce que ça ne vous gratouille pas davantage quand vous avez mangé de la tête de veau à la vinaigrette?
Le tambour : Je n'en mange jamais. Mais il me semble que si j'en mangeais, effectivement, ça me gratouillerait plus.
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MOUSQUET : Le docteur Knock nous quitte, et le docteur Parpalaid revient.
MADAME RÉMY : Ah ! mais non ! Ah ! mais non ! Moi je vous dis que ça ne se fera pas. (À Knock.) Ou alors il faudra qu'ils vous enlèvent de nuit en aéroplane, parce que j'avertirai les gens et on ne vous laissera pas partir. On crèvera plutôt les pneus de votre voiture. Quant à vous, monsieur Parpalaid, si c'est pour ça que vous êtes venu, j'ai le regret de vous dire que je ne dispose plus d'une seule chambre, et quoique nous soyons le 4 janvier, vous serez dans l'obligation de coucher dehors.
LE DOCTEUR PARPALAID : Bien, bien ! L'attitude de ces gens envers un homme qui leur a consacré vingt-cinq ans de sa vie est un scandale. Puisqu'il n'y a plus de place à Saint-Maurice que pour le charlatanisme, je préfère gagner honnêtement mon pain à Lyon — honnêtement, et d'ailleurs largement. Si j'ai songé un instant à reprendre mon ancien poste, c'était, je l'avoue, à cause de ma femme, qui ne s'habitue pas à l'air de la grande ville.

Acte III, Scène 8.
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Vidéo de Jules Romains
Dans l'Allemagne exsangue et tumultueuse des années 1920, le Bauhaus est plus qu'une école d'art. C'est une promesse. Une communauté dont le but est de mettre en forme l'idée de l'Homme nouveau. En 1926, l'école s'installe à Dessau. Dans le grand bâtiment de verre et d'acier, Clara, Holger et Théo se rencontrent, créant une sorte de Jules et Jim. À Berlin, toute proche, le temps s'assombrit. Les convictions artistiques ou politiques ne sont pas les seuls facteurs qui décident du cours d'une vie. Ce sont aussi, entre rêves d'Amérique et désirs de Russie, d'autres raisons et déraisons. Lorsque l'école sera prise dans les vents contraires de l'Histoire, les étudiants feront leurs propres choix. À qui, à quoi rester fidèle, lorsqu'il faut continuer ?
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