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Anna Gibson (Traducteur)
EAN : 9782264031327
416 pages
10-18 (06/09/2001)
3.27/5   11 notes
Résumé :

« C'est une histoire de ménage à trois. Non, non, rien de croustillant, puisque ce trio est composé de Ruth et Joseph, un jeune couple new-yorkais, et de l'anorexie. Ruth est belle, Joseph est follement amoureux, mais, entre eux, il y a ce silence, cette morsure, ce refus. L'anorexie de la jeune femme. Et le miracle de cette histoire, aux antipodes des témoignages vécus pleins de confessions et de misères, vient justemen... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Je n'avais pas l'intention de lire ce livre tout de suite. À peine de feuilleter la première page pour avoir un aperçu de l'écriture de l'auteur. J'avais plein d'autres choses à faire et d'autres livres à lire. Mais je me suis retrouvée ferrée comme un poisson, et l'histoire n'a relâché son étreinte qu'une heure et demie après avoir commencé mon accidentelle lecture.
J'ai très rarement vu un incipit aussi réussi : « La première chose que fait Carol Simon quand elle entre dans une pièce, c'est arroser les plantes. » Qui est Carol Simon ? D'où vient ce tic ? Bien qu'il n'y ait absolument aucune action dans ce livre, Jonathan Rosen sait distiller du suspense et donner de l'épaisseur à ses personnages. J'ai tout de suite été fascinée par eux – et par Ruth en particulier.

Mais de quoi parle l'histoire ? Seulement d'un jeune couple qui vient d'emménager et de se lancer dans la vie active. C'est tout et pourtant, c'est bien plus que cela. La Pomme d'Ève, c'est tout d'abord le coeur d'une femme qui a d'énormes problèmes alimentaires. Ancienne anorexique, elle n'a pas réussi à se libérer complètement de sa maladie et y replonge petit à petit. Joseph, son compagnon, la voit souffrir, lutter contre elle-même et cherche à comprendre pourquoi et comment de jeunes femmes et de jeunes filles s'assassinent lentement. La Pomme d'Ève, c'est la féminité dans toute sa complexité, incarnée par la plus incompréhensible de toutes les femmes et vue à travers le regard d'un homme. Selon moi, c'est un roman qui sonne juste. Bien que publié en 1997, il pose un regard particulièrement moderne sur cette maladie si mal connue. Encore en France, on comprend très mal les personnes qui plongent dans l'anorexie, et tout ce que peuvent faire les médecins, c'est les forcer à manger avant de les laisser partir de l'hôpital. Peut-être que les États-Unis sont très en avance sur nous. Dans tous les cas, le regard de Joseph sur celle qu'il aime est un regard qui cherche à comprendre, et non un regard moralisateur.

J'ai tout simplement adoré la manière dont l'auteur a construit ses personnages ! Il réussit à les rendre à la fois incompréhensibles, familiers, touchants, sympathiques et vivants. La plus intéressante, bien sûr, c'est Ruth. Ruth, c'est un chat : capricieuse, royale, colérique, et pourtant curieusement dépendante, curieusement fragile. Tantôt câline, tantôt fuyante, voire furieuse, elle mène la vie dure à Joseph, qui met toute son intelligence à essayer de la cerner. Au final, j'avais l'impression de lire le récit d'un scientifique sur un curieux animal – à ceci près que ce n'est pas le laborantin qui mène la danse, mais la créature, car Joe vit au rythme de l'humeur de sa douce.
C'est d'ailleurs étrange, parce que Joseph ne lui reproche rien. Ni ses crises de nerfs, ni ses secrets, ni ses demi-vérités, ni ses colères, ni son auto-apitoiement. Il l'admire profondément, il l'aime de tout son coeur et ça lui suffit. Franchement, où est-ce qu'elle l'a trouvé ? Comment elle a pu avoir une chance pareille ? Certes, il lit son journal intime à son insu, mais c'est pour son bien – et pour sa dévorante curiosité, il lui fallait bien un défaut. Car Joseph a une particularité : il est fasciné par la maladie de Ruth, par sa lutte pendant les repas, par sa souffrance visible quand elle s'interdit tous les aliments mais qu'elle se lève la nuit, incapable de résister à l'appel du frigo. Elle ne mange rien, non ; mais elle regarde pendant des heures tout ce qu'elle ne pourra jamais s'offrir. En fait, il est fasciné par la mélancolie féminine. Comment les femmes, les belles femmes, les femmes que les hommes trouvent attirantes (mais aussi les autres), peuvent s'enfermer dans une image repoussante d'elles-mêmes et renier leurs corps aussi violemment ? Quelles souffrances intérieures peuvent les pousser à de telles extrémités ?

La finesse de ce livre, c'est que plusieurs problématiques mènent le récit : qu'est-ce que l'anorexie et pourquoi les jeunes femmes tombent-elles dedans ? Que cache cette mystérieuse maladie ? Pourquoi est-ce si répandu en Occident ? Y-a-t-il un lien avec la religion ? Qu'est-ce que la féminité et comment la comprendre (d'un point de vue masculin) ? Joseph est souvent dépassé par la complexité de sa partenaire et cherche des réponses dans les livres, auprès d'expériences d'autres femmes. Mais ce n'est pas à la bibliothèque qu'on trouve des réponses à cette grande question qu'est l'Autre.
Avec tous ces thèmes philosophiques, ce livre regorge de citations-pépites ! Il y en a que je ne pouvais pas laisser passer…
L'anorexie est un thème qui me concerne particulièrement. Je n'ai pas pu m'empêcher de m'identifier à Ruth. Aurais-je été comme elle ? Comme cette autre anorexique qu'elle file dans la rue parce qu'elle est fascinée par ce qu'elle dégage, sa minceur, sa volonté manifeste ?
J'ai également été impressionnée par la justesse du point de vue de l'auteur sur cette maladie. Il retranscrit si bien la lutte de Ruth contre elle-même (qui, contrairement à ce qu'on croit, a tout le temps faim), l'incompréhension de Joseph et les non-dits qui règnent entre eux que je me demande s'il n'a pas été touché (lui ou quelqu'un de proche) par les troubles alimentaires. En tout cas, il a fait des recherches très sérieuses. J'ai adoré la légèreté de sa plume, son sens de l'humour, son don pour donner de l'épaisseur aux personnages… C'est un auteur qui mérite d'être plus connu.
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Eve's Apple
Sommes-nous tous des îles, closes sur elles-mêmes ? Assaillies par des vagues d'angoisse et de dégoût, avec personne qui puissent les empêcher de se fracasser sur nous ? le roman est l'histoire d'"un ménage à trois " : Joseph, Ruth et son anorexie. A ceux qui s'attendent à de la romance, prenez garde ! Ces deux personnages sont solaires, terriblement attachants, l'auteur réussit à nous les faire aimer, ne nous épargnant rien de leur quotidien, Joseph est le narrateur et quand il se rend compte que Ruth se débat à nouveau dans le labyrinthe de ses troubles alimentaires, il se documente sur le sujet et l'observe sans relâche. le récit proprement dit est habilement entremêlé à une description détaillée des souffrances psychologiques et physiques de sa petite amie anorexique. L'appétit, le désir, la perte de l'un ou de l'autre, l'amour sont au centre du récit. Toutes les racines du mal sont explorées, l'arbre généalogique est bien secoué ; avec une écriture précise, qui n'épargne rien au lecteur, mais sous une forme romanesque aux qualités indéniables, le roman offre une réflexion philosophique très émouvante, le talent de l'écrivain fait qu'il
parvient très bien à réunir deux champs pourtant antinomiques. L'amour de Joseph le pousse inlassablement à vouloir comprendre, aider, le livre prend parfois une teinte policière, Joseph se documente et enquête, il consulte des spécialistes, on l'accompagne dans ce chemin, et il n'y a a aucune lourdeur dans l'écriture, son parcours inlassable vers la maîtrise de l'inconnu, tout son amour, s'oriente à détourner Ruth de son chemin de mort.
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Dès leur rencontre, Ruth a avoué ses secrets à Joseph. Pour "lui avoir ouvert ces archives de sa souffrance", il l'en a aimé davantage. Mais lorsque ce jeune couple de new-yorkais emménage ensemble, le silence autour de l'anorexie de la jeune femme va prendre toute la place.
Joseph prend l'habitude d'examiner furtivement les restes des repas de Ruth, lit son journal intime, passe ses matinées à la bibliothèque à lire des ouvrages sur les troubles alimentaires... au lieu d'aborder le sujet directement avec elle.
Quant à son obsession pour la maladie de sa compagne : fantasme masculin de la femme en détresse ou reflet de ses propres failles. Car lorsqu'il était adolescent, il n'avait rien décelé du mal-être de sa soeur...

La pomme d'Ève fait partie de ces livres que l'ont laisse mûrir sur les étagères (parfois pendant plusieurs années) de nos bibliothèques et que l'on déloge à la faveur d'une vaine tentative pour diminuer le nombre de livres (toujours croissant) en attente de lecture!
Et il fait également des bonnes surprises de ces lectures toujours remises à plus tard! Je recommande pour :
Son incipit des plus originaux : " La première chose que fait Carol Simon lorsqu'elle entre dans une pièce, c'est arroser les plantes. Peu importe chez qui elle se trouve, elle fait le tour des pots de fleurs en y enfonçant le doigt et, s'ils sont trop secs, elle découvre vite le chemin de la cuisine et revient avec un verre d'eau. Elle est comme un animal qui marque son territoire."
Pour ses personnages étoffés, à la psychologie finement développée.

" Ruth avait dit un jour en plaisantant que la pomme d'Adam était restée coincée dans sa gorge, mais qu'Ève avait évité d'avaler et qu'elle n'aurait donc jamais dû être chassée du paradis."
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
"Cher monde,
Comment vas-tu ? Je m'en moque, ça ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est comment je vais. Et je vais mal. Ce n'est pas une phase que je traverse, c'est pour de bon. Je ne vois pas comment je pourrais changer avant très longtemps. Laisse-moi te dire une chose, je suis très malheureuse en ce moment. Oui, je sais, vieille rengaine. Mais voilà, tu ne me comprends plus. Ce n'est pas comme d'habitude, je ne sais pas comment dire, c'est différent cette foi-ci. Je me sens au bout du rouleau, genre : il faut qu'il se passe quelque chose maintenant, sauf qu'il ne se passe rien. Je suis toujours la même, et les autres aussi. Pourquoi est-ce que je ne change pas – pourquoi est-ce que je n'arrive pas à me comprendre moi-même ? Je suis pleine de vide à l'intérieur. Je me sens très seule. Je crois que je ne m'aime pas beaucoup en ce moment, même si en théorie je m'aime bien. Je n'ai plus d'espoir. Aide-moi ! Signée Evie"
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— J'ai lu que la maladie concerne les femmes qui ont fait des études plus que des femmes sans instruction, et les filles riches plus que les filles pauvres. [...] Pourquoi ?
— C'est une bonne question. [...] Il se pourrait que les filles pauvres aient une vie affective plus saine, mais j'en doute fortement. Je pense qu'elles paient un prix différent. Personne n'étudie leur relation à la nourriture dans la mesure où elles ne cherchent pas d'aide. Mais on voit dans la rue des femmes énormes, à peine sorties de l'adolescence, qui font taire leurs bébés en les bourrant de sirop, et on comprend que les troubles de conduites alimentaires affectent autant les pauvres que les riches. La pauvreté déforme la perception qu'on a de son corps autant que la richesse.
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On n'obtient jamais de bons résultats lorsqu'on se sert du corps pour se révolter contre les conditions physiques de l'existence. Les filles riches n'ont pas d'enfants, elles ont des troubles des conduites alimentaires, mais elles sont guidées par les mêmes principes. Elles se servent de leur corps pour essayer de nier le corps, d'exercer un pouvoir sur lui. Elles pensent qu'elles vont se libérer et accéder à un contrôle, et se découvrent en fait prisonnières. Le corps dans cette culture est à la fois l'arme ET la blessure.
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Avais-je jamais vu un gros Jésus, comme on voit de gros Bouddhas ? Et que faisait un Jésus sur la croix, sinon satisfaire un désir occidental de détruire le corps une fois pour toutes ? Était-ce là ce qui rendait encore cette image si irrésistible après deux mille ans ? Et le Dieu juif, quant à lui, n'avait pas de corps du tout. Et pourtant, nous étions censés être créés à l'image de Dieu.
Notre conception de Dieu faisait-elle partie du problème – une représentation de la désincarnation que nous désirions tous ? L'idée que Dieu fût extérieur à la nature, séparé de notre corps et du monde vivant, était-elle destructrice ? Ruth, après tout, avait une profonde inclination spirituelle, et celle-ci paraissait inséparable de sa maladie.
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"Anorexie" était un terme d'une laideur desséchante. Il signifiait "absence d'appétit" – une erreur, puisque les personnes qui en souffraient avaient toujours faim. Dans une étude, je trouvai le terme allemand : die Magersucht. Je l'adoptai, et il devint mon terme privé pour désigner ce dérèglement. Je le préférai à l'autre, non seulement parce qu'il était plus précis – il signifiait "désir d'être maigre" – mais aussi parce qu'il était teinté de poésie et proposait une fusion sonore entre la beauté et la mort. Il donnait aussi à la maladie une intonation vaguement nazie, sinistre. Il me semblait que Ruth, qui tenait un journal à l'image d'Anne Franck, l'héroïne de son enfance, aurait préféré être persécutée par l'ombre de die Magersucht plutôt que par les empiètements laids du banal appétit.
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