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A la merci d'un courant violent tome 1 sur 5
EAN : 9782757808153
406 pages
Points (24/04/2008)
4.14/5   46 notes
Résumé :
Ira Stigman, huit ans, connaît déjà la misère, l'humiliation et la haine. Depuis que sa famille a quitté l'East Side pour emménager dans l'Irish Harlem, le jeune garçon est devenu la cible favorite des enfants du quartier qui le traitent de " maudit juif ". Lorsqu'il ne subit pas la violence de ses camarades, Ira affronte l'irascibilité de son père dont les coups partent souvent sans raison. A l'aube du XXe siècle, tandis qu'éclatent les conflits sociaux et que se p... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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Mercy of a Rude Stream :
A Star Shines Over Mount Morris Park
Traduction : Michel Lederer

Premier volume de la tétralogie autobiographique de l'auteur, "Une Etoile Brille sur Mount Morris Park" est un texte qui déstabilise souvent son lecteur par son étrange construction. En effet, le récit compte trois types de narration : le récit autobiographique impersonnel, à la troisième personne, avec un narrateur omniscient ; le récit autobiographique personnel, à la première personne, dans lequel l'auteur se confond avec son héros, Ira, mais toujours dans un action et un décor qui datent du début du XXème siècle ; et enfin, des sortes d'intercalaires, où l'écrivain évoque sa vie présente, auprès de sa femme, désignée par l'initiale M. Ces dernières pages se présentent en outre comme une forme de dialogue entre Henry Roth et son ordinateur, surnommé "Ecclésias."

A notre humble avis, pareil choix dessert le texte qui alterne des scènes de réelle puissance avec un ergotage assez fastidieux, centré sur une chose mystérieuse que, selon Ecclésias, Henry Roth ferait bien de révéler au plus tôt à ses lecteurs. Et c'est bien vrai : pourquoi ne le fait-il donc pas ? Car, à la fin de ce premier tome, on ne dispose d'aucun élément nouveau sur l'énigme en question.

Le romancier-biographe tourne autour du pot, avance d'un pas pour reculer de trois, énerve prodigieusement son lecteur mais lui et permet aussi de comprendre quel enfer d'angoisses dut être son existence. Ce refus de révéler ce que l'on soupçonne assez tôt toucher à sa sexualité lui vient peut-être de sa religion mais là encore, il y a ambiguïté puisque Roth admet assez vite - et sans difficultés majeures - rejeter sa judéité.

A part cela, que retient-on d'"Une Etoile ..." ? Avant toute chose, un tableau réaliste et impressionnant du New-York d'avant 1914, avec ses carrioles de laitiers tirées par des chevaux, ses premières voitures automobiles, ce conflit qu'on croit d'abord si lointain mais qui finira par toucher le Nouveau Monde, et cette masse d'immigrants venus des quatre coins de la Vieille Europe.

Henry Roth dépeint les communautés qu'il a bien connues : sa communauté natale, tout d'abord, des Juifs issus de Galicie, au parler yiddish savoureux (fort intelligemment, un glossaire a été placé à la fin du livre) où les initiés s'amuseront à retrouver mêlés des mots d'origine allemande ; la communauté irlandaise catholique ensuite, où le petit Ira se fera des ennemis mais aussi des amis ; et enfin, à un moindre degré, la communauté noire, cette communauté dont les membres, au retour de la Grande guerre, veulent de plus en plus être tenus pour des citoyens à part entière - ce qui stupéfie tous les bons WASPS avant de commencer à les inquiéter.

Puis l'atypisme, la bizarrerie de caractère du petit Ira. Si Henry Roth a vraiment ressemblé à son alter ego de papier, avec lequel sa plume le confond d'ailleurs souvent en utilisant le "Je" comme si l'écrivain, perdu dans sa transe, se mettait en pilotage automatique, on conçoit combien sa vie put ne pas être simple. Ira redoute son père - là encore, on perçoit que bien des choses sont passées sous silence - adore sa mère - mais qui ne l'aimerait pas ? - étouffe sous les tentacules de la sa vaste parentèle et pourtant n'aime pas à envisager l'idée qu'un jour, ses membres puissent venir à lui faire défaut, et enfin se cherche une identité qui ne soit pas juive tout en conservant tout ce qu'il peut y avoir de meilleur dans la judéité.

Ergoteur, oui : complexe aussi, hypersensible, touché par la grâce de l'écriture mais accablé en parallèle par la certitude que sa prose n'était pas si terrible que ça, tel nous apparaît Henry Roth à la fin d'"Une Etoile Brille sur Mount Morris Park." Et le lecteur, tout surpris, s'aperçoit que, malgré les tours et détours empruntés, malgré tout ce qui a pu l'agacer et l'ennuyer dans la structure du texte, il s'est pris de sympathie pour cet étrange personnage et désire l'accompagner jusqu'au bout de son périple intime.

Un livre déconcertant mais bien plus riche qu'il n'y paraît. ;o)
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Henry Roth (1906-1995) est un écrivain américain. Né en Europe centrale, il émigre vers les États-Unis à l'âge de trois ans avec sa famille et passe son enfance au sein de la communauté juive de New York. Son premier roman, L'Or de la terre promise, publié en 1934 passe inaperçu. Henry Roth laisse alors de côté ses ambitions littéraires et épouse, en 1939, Muriel Parker, fille d'un pasteur baptiste et pianiste qui renoncera à sa carrière pour l'accompagner dans l'État du Maine où il exerce plusieurs métiers (garde forestier, infirmier dans un hôpital psychiatrique, aide plombier…). Henry Roth sombre dans une dépression chronique. C'est en 1964, soit trente ans après, que L'Or de la terre promise est réédité et vendu à plus d'un million d'exemplaires. Ce succès inattendu convainc l'auteur de se remettre à écrire. En 1994, soixante ans après la publication de son premier roman, A la merci d'un courant violent sort en librairie.
Le livre sous-titré, Une étoile brille sur Mount Morris Park, est le premier volume d'une autobiographie en cinq parties, Un rocher sur l'Hudson, La Fin de l'exil, Requiem pour Harlem et enfin Un Américain, un vrai qui vient tout juste de sortir en librairie. Initialement prévue en six tomes, l'oeuvre d'Henry Roth restera inachevée.
Dans le bouquin, Henry Roth endosse le rôle d'Ira Stigman, huit ans, un petit juif né dans les premières années du XXe siècle et tout juste immigré à New York avec son père (Pa) homme violent au mauvais caractère et pas doué pour les affaires, et sa mère (Ma) une femme douce prête à tout excuser. Après avoir vécu quelques temps dans le Lower East Side, en 1914 ils déménagent vers Harlem alors quartier Irlandais. Nous suivrons donc le jeune Ira entre sa huitième année et ses quatorze ans quand le livre se referme.
Parcourt initiatique pour ce gamin devant apprendre à être Juif dans un monde qui ne vous aime guère, tiraillé entre son éducation familiale orthodoxe et ce monde extérieur moins pesant, au point de peiner à retenir ce cri de haine lors de sa bar-mitsva « Devenir un Juif, devenir un homme, un membre de la communauté n'était qu'une sinistre plaisanterie, et devint un sinistre souvenir ». C'est aussi au cours de ces années qu'il rencontrera la littérature et se mettra à fréquenter les bibliothèques, fasciné par le Huckleberry Finn de Mark Twain il subodore le pouvoir mystérieux des livres, sans pouvoir se l'expliquer encore. Quand s'achèvera le roman, nous sommes en 1920, Ira quatorze ans, a découvert qu'il pouvait être accepté par des non Juifs comme son ami Farley Hewin ou le personnel de l'épicerie de luxe où il travaille en dehors de ses cours au collège pour rapporter un peu d'argent à la maison. Mais il aura aussi été confronté au sexe avilissant, tripoté par un inconnu dans un parc de la ville et un professeur au collège…
Henry Roth met sa vie par écrit en utilisant plusieurs formes narratives. Caché derrière Ira qui se raconte, ou encore parlant de lui-même enfant à la troisième personne, tout en incluant de courts paragraphes où, mise en abîme, l'écrivain se cite à quatre-vingt ans perclus de rhumatismes devant le clavier de son ordinateur, ou bien en courts dialogues avec Ecclesias comme un homme devant son Dieu aux portes du monde des morts.
Le bouquin est aussi cette suite de scènes familières aux lecteurs de romans traitant de l'exil des Juifs en Amérique à cette époque, familles nombreuses, jactance et bagout, propos émaillés de termes yiddish (glossaire en fin d'ouvrage), conflits et bagarres entre Juifs et Irlandais, les petits boulots pour survivre, etc. Selon qu'on lira ce bouquin avec un bout ou l'autre de sa lorgnette, on y verra une part de la fresque historique des Etats-Unis ou bien une tranche de la vie d'un gamin à l'aube de son existence.
Ce que ce livre ne dit pas encore mais que ma curiosité m'a poussé à découvrir, c'est que le volume suivant, Un rocher sur l'Hudson, révèlera un très lourd secret dans la vie d'Henry Roth… à suivre donc !
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J'ai fait connaissance avec Henri Roth, cet été, au hasard d'une visite dans une boîte à livres, sur la plage...Dans la grande "famille" des Roth, je ne connaissais que Philip et Joseph. Petite précision, aucun d'eux n'a de liens de parenté avec les autres...
Alors pourquoi pas une plongée dans ce New-York, et dans Harlem des années 14 ? Une plongée comme le promet la 4ème de couverture dans la prohibition, et dans cette Amérique du début du siècle. D'autant plus passionnante si on connaît le New-York d'aujourd'hui, sa vie trépidante, ses voitures, ses grandes avenues...
Ira, jeune gamin héros du livre, vit dans une famille pauvre, dans des immeubles assez sordides. Son père effectue chaque matin des livraisons de lait avec un cheval pour lequel il loue une écurie à Manhattan. Toute la famille loge à Harlem, quartier d'Irlandais. Là, Ira est le "maudit Juif", qu'on raille. "C'est plein de sales goyim d'Irlandais. Ils me traitent tout le temps de sale Juif, et ils cherchent sans arrêt la bagarre."
Henri dépeint ces différentes communautés qui habitent New-York, chacune dans son quartier, celle des juifs au langage si particulier inspiré de l'allemand, (heureusement qu'un glossaire figure en fin d'ouvrage), mais aussi les communautés irlandaises et celle des Noirs. Communautés qui se rejettent, se haïssent.
La Première Guerre mondiale passera par là, les Noirs en reviendront avec une forte volonté de reconnaissance.
Si le père est un peu le raté de la famille, multipliant les projets foireux, il n'en est pas de même de l'oncle d'Ira, Oncle Gabe, devenu membre éminent du parti républicain, ce qui lui ouvre des portes pour pistonner sa famille et l'aider dans ses projets. Et le père d'Ira n'en manque pas. Il se relève de chaque échec, grâce à un nouveau projet...Ira ne l'admire pas...Bien au contraire.
Alors le gamin s'évade de sa condition, voyage grâce à la lecture, "Mais lire, ah ! c'était le gros problème; il passait trop de temps dans les livres, au détriment du reste."... Il leur demandait de lui faire oublier quelle était sa condition de gamin juif, fils de paumé, condition qu'il vit mal, de lui ouvrir de nouveaux horizons. de bien belles pages sur les vertus de la lecture.
Une construction parfois déroutante.On perçoit derrière le gamin Ira du roman, toute la nostalgie de l'auteur pour son enfance. Mais Henri Roth parle aussi de lui, adullte, à Ecclessias, son ordinateur, sur lequel il écrit. le mélange des époques est parfois dérangeant.
Le gamin est attachant, le voyage dans l'histoire et dans ce New-York des années 15- 20 et plus, est dépaysant et passionnant.
Lien : https://mesbelleslectures.co..
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Après un silence de plus de 50 ans qui suivit la parution de son premier opus, dont le titre original, Call it sleep, était assez prémonitoire de l'indifférence de l'accueil qui allait lui être réservé, synonyme de traversée du désert, de dépression et de succession de petits boulots, roman considéré dorénavant comme un texte majeur de la littérature américaine du siècle dernier, Henry Roth entreprend, perclus de rhumatismes, dans un dialogue singulier avec son ordinateur appelé affectueusement Ecclésias, une tétralogie, oeuvre de longue haleine et très largement autobiographique, intitulée À la merci d'un courant violent.

Cet initial volet baptisé une Étoile brille sur Mount Morris Park, narre le quotidien problématique d'un petit garçon déraciné, qui n'a pas digéré le déménagement de ses parents, du Jewish East Side de son enfance à l'Irish Harlem. En quête d'identité, il vit mal sa judéité, ne se reconnaissant pas dans l'atmosphère familiale qui tient beaucoup de la Galicie originelle. Cette construction personnelle indispensable est entravée par les relations conflictuelles de ses parents, par l'antisémitisme latent du voisinage et surtout par la menace et le dégoût profond que lui font ressentir les appétits pervers de certains adultes.

Un premier tome prometteur en vérité. le récit, savamment orchestré, voit sa matière narrative relevée de locutions yiddish assez cocasses. Ce roman s'avère être par sa dimension autobiographique un précieux outil de compréhension rétrospective de son plus fameux roman Call it sleep. Vivement la suite.
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Biographie et roman s'entremêlent aux détours de l'East Side et de Harlem.

Evolution d'un enfant dans une Amérique aux portes d'un conflit qui se fera mondial.

Enfance se terminant dans une vie d'adultes de défis et de colères où idéaux et misères se côtoient dans un même quotidien.

A découvrir et suivre dans ses apprentissages et réalités.
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
C'était la veille de Noël. On rentrait à la maison. Tommy et moi, à l'arrière de la grande camionnette de Quinn, la nouvelle White. Hormis quelques commandes qu'on n'avait pas pu livrer, les immenses paniers étaient enfin vides. Minuit approchait, et nous nous prélassions sur les coussins qui servent à recouvrir les paniers afin de les protéger du gel. La camionnette filait vers le sud tandis que, épuisés, nous pouffions de rire à chaque remarque stupide. Une série de cahots nous apprît qu'on traversait les rails du tramway de la 125e Rue déserte.  De temps à autre, les phares des véhicules venant en sens inverse éclairaient le visage d'Irlandais de Tommy avec ses lèvres minces et ses dents écartées. Demain, c'était Noël. Demain, personne ne travaillait...

   - Quelle adresse t'as dit, déjà ? 119e Rue ? demanda Quinn.

   - Ouais."

  Quelques minutes plus tard, on arrivait à la petite épicerie A & P au carrefour, dans laquelle brillait encore une faible lueur bleutée. Quinn s'arrêta, descendit et vint ouvrir les portes arrières. "Brrr", fit-il en carrant les épaules dans le froid, puis il attendit que je sorte, les mains étrangement croisées à hauteur de son visage, comme en un geste de prière.

   "Merci, Quinn, dis-je en sautant à terre.

   - Joyeux Noël.

   - Hein ? Ah ouais. Joyeux Noël, Quinn.

   - Joyeux Noël,Ira ! cria Tommy de l’intérieur du véhicule, agitant la main dans la pénombre.

  - Ouais, joyeux Noël, toi aussi."

  Quinn claqua la porte, puis alla se réinstaller au volant. La camionnette démarra et je la suivis un instant des yeux : elle accéléra et ne fut bientôt plus que deux points rouges qui s'éloignaient au milieu des piliers. Le temps que j'arrive sous le pont  et les points rouges se trouvaient en haut de la colline, sur la 116e Rue. Lorsque j'atteignis l'immeuble sombre qui faisait l'angle, ils avaient disparu.

   119e Rue. Après minuit, déserte, familière et pourtant étrangère. Les talons de mes chaussures résonnant sur le pavé, je me dirigeai à pas lourds vers le perron de chez moi. Jamais je n'avais vu autant d'étoiles, des étoiles qui parsemaient le ciel et qui scintillaient, aussi serrées que les trous de la râpe de Ma. Drugstore plongé dans le noir, confiserie plongée dans le noir, perron devant moi plongé dans le noir, et fenêtres noires au-dessus de ma tête. Seul brillait le petit réverbère un peu plus loin. Après la crise de fou rire à l'arrière de la camionnette, après tant d'heures passées ensemble, je me retrouvais seul. Après tant de monte-plats, de sous-sols, d'escaliers de service, après avoir rencontré tant de domestiques et reçu tant de merci, le silence, la lassitude.

   Et peut-être même la tristesse en dépit de la monnaie qui tintait dans ma poche. " Il y a quelque chose pour toi dans la caisse à provisions. Joyeux Noël." Serait-ce que je me sentais de nouveau oublié, exclu, victime d'une espèce d'ostracisme naturel ?... Je grimpai les marches de pierre du perron, passai devant la rangée de boîtes aux lettres en cuivre toutes cabossées et pénétrai dans le long couloir silencieux au bout duquel, au pied de l'escalier, la petite ampoule électrique diffusait une lumière blafarde.    Création de mon imagination exacerbée par la fatigue, sur le palier du dessus, brandissant sa crosse, se dressait le pape vêtu d'une robe de brocart qui luisait dans l'ombre. Je réprimai un frisson et montai vers lui. Il disparut. J'arrivai devant la fenêtre noire près de laquelle s'était tenue la silhouette. On ne voyait rien au travers. Bon sang ! c'était toujours le même problème : seul, seul. Fouillant dans ma poche à la recherche de ma clé, je puisai une  piètre consolation dans la présence des pièces de monnaie. Noël pour le monde entier, Noël pour les flics irlandais et les concierges irlandais, Noël pour les coiffeurs italiens et les marchands de glace italiens, Noël pour les balayeurs en uniforme blanc. 

   J'entendais les mots " joyeux Noël "résonner dans ma tête. Bon sang ! que j'étais fatigué ! Et seul !
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[...] ... Ira pleura un nombre incalculable de fois. Et il se désola quand il vit approcher le moment où il lui faudrait se séparer de Jean Valjean - à la fin du livre qu'il gardait sous son lit, dans sa petite chambre sombre, et avec lequel il se réveillait le samedi et le dimanche, tel un précieux cadeau qui l'attendait. Il fit durer le plaisir, relut, rêva. Des centaines de mots nouveaux se dissimulaient au détour des phrases, des mots inconnus parmi les centaines de pages du récit, et qui ne présentaient pourtant aucun obstacle à la compréhension. Il ne possédait pas de dictionnaire - l'idée d'en avoir un ne lui était même jamais venue à l'esprit. Il n'en avait pratiquement pas besoin. Il lui semblait que ses sentiments seuls le guidaient à travers le contexte, et, une fois deviné le sens des mots, ceux-ci paraissaient ensuite se loger dans son esprit et y demeurer pour qu'il puisse en admirer à satiété le lustre et la résonance.

Au petit bonheur, après Huckleberry Finn et L'Appel de la Forêt, il goûta avec voracité, et au hasard de ses fantaisies, des livres qui allaient du Loup des Mers à Lorna Doone, en passant par Les Cavaliers de la Sauge Pourpre, Les Trois Mousquetaires, Le Prisonnier de Zenda, Notre-Dame de Paris, Le Comte de Monte-Cristo, les contes fantastiques de Poe, et puis She de H. Rider Haggard, Ben Hur de Lew Wallace, et ... chose étrange : dans le monde des textes imprimés, le monde qui se situait entre les pages de couverture d'un livre, le monde des histoires "vraies", comme auparavant dans celui des mythes, il s'imaginait être chrétien, ainsi que l'étaient les héros des livres - sauf Ben Hur, un Juif romain ou un Romain juif, peu importe. Ira s'imaginait donc être chrétien. Que pouvait-il faire d'autre alors qu'il aimait et estimait le héros ? Tout ce qu'il demandait à un livre, c'est de ne pas trop lui rappeler qu'il était juif ; plus un livre l'impressionnait, plus il priait pour qu'on oublie les Juifs. ... [...]
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[...] ... On était en juillet, un mois avant le début de la guerre. La proche famille de Ma devait arriver en Amérique d'ici quelques jours, partie du petit village de Veljich, en Autriche-Hongrie, pour venir s'installer à Harlem. Leur appartement, un vaste six-pièces bien situé, au deuxième étage seulement, avec chauffage à la vapeur, électricité et eau chaude courante - et même stores rayés au-dessus des fenêtres de devant - se trouvait au milieu du bloc, au milieu de la 115ème Rue, entre Park Avenue et Madison Avenue. En "yinglish", on appelait ça un shaïner b'tveen - littéralement : "un joli entre." C'était un quartier cent pour cent juif et sympathique, et en plus très pratique pour les courses. Tout près, le marché juif des voitures à bras s'abritait sous le grand pont en fer du New-York Central Railway, sur Park Avenue ; les immigrants pouvaient sans contrainte y marchander en yiddish avec les colporteurs. L'appartement possédait en outra l'avantage d'être en face de celui de tanta (tante) Mamie et sa famille (sans nul doute une raison supplémentaire pour laquelle les deux oncles américanisés d'Ira, Moe et Saul, l'avaient choisi). Mamie pouvait ainsi parler à Bobe [grand-mère maternelle d'Ira) et à Zaïde [grand-père maternel de l'enfant], ou encore à l'un de ses frères et soeurs - et inversement - d'une fenêtre à l'autre, sans que quiconque eût besoin de sortir de chez soi. ... [...]
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Mais il voulait une histoire, il en avait un besoin maladif ; non seulement les histoires vous transportaient dans l’imaginaire, mais elles vous tenaient en haleine, et pendant tout ce temps, elles vous disaient ce que les gens éprouvaient, ce qu’ils voyaient et entendaient, et comment ils vivaient... C’était ça l’important : ils appartenaient à un monde, un monde qui n’existait peut-être plus, et c’était la seule façon de l’approcher.
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Seulement, la bar-mitsva lui fit comprendre qu'il n'était juif que parce qu'il se devait de l'être ; il détestait être juif ; il ne voulais pas être juif, ne voyait aucune vertu l'être , et il comprit soudain qu'il était pris au piège, prisonnier d'une identité dont il n'avait pas la moindre chance de se libérer un jour.
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