AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de kielosa


Comment mieux commencer la nouvelle année que par un de ses auteurs favoris et un problème, hélas, toujours au centre de l'actualité : la fuite !
Selon le rapport statistique annuel du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), le nombre de personnes déracinées dans le monde en 2016, a dépassé les 60 millions, atteignant le seuil historique de 65,6 millions de personnes, soit l'équivalent de l'intégralité de la population française ou italienne. 17,2 millions ont fui leur pays (parmi lesquels 5,5 millions de Syriens, 2,5 millions d'Afghans, 1,4 million de Soudanais etc.) et 40,3 millions sont réfugiés dans leur propre pays. Chiffres auxquels il convient d'ajouter les chercheurs d'asyle.
Des statistiques absolument ahurissantes !

L'écrivain autrichien Joseph Roth (1894-1939) a publié son ouvrage "La fuite sans fin" en 1927. La même année, d'ailleurs, que son "Juifs en errance", que j'ai chroniqué pour les lectrices et lecteurs de Babelio, le 10-06-2017, et auquel je me permets de renvoyer pour, en autres, ses relations avec d'autres auteurs, tel son ami et compatriote, le grand et toujours très populaire Stefan Zweig (1881-1942).

Contrairement à son autre livre de la même année, qui va plus dans le sens d'un essai, ce récit-ci retrace les pérégrinations de son héros, Franz Tunda, officier dans l'armée impériale autrichienne au cours de la Grande Guerre, après qu'il s'est évadé d'un camp de prisonniers de guerre pour tomber dans le chaos de la Russie de la révolution. Un périple qui conduit notre pauvre Franz un peu partout dans l'immense ex empire des tsars, en route pour son pays natal et Vienne.

Il est évident que ce Franz Tunda est, en fait, l'alter-ego de Joseph Roth lui-même : son long voyage en passant entre autres par Amsterdam, Bruxelles et Ostende, sans mentionner sa longue excursion, accompagnée par l'écrivaine allemande, Irmgard Keun, en Pologne et encore plus à l'est, pour mourir finalement, dans des conditions tragiques, à l'âge de seulement 45 ans, dans un hôpital à Paris.
Il ne peut y avoir de doute là-dessus, car l'auteur n'a pas pour rien donné comme sous-titre à cette oeuvre "Un rapport" et dans une lettre à Stefan Zweig, du 24 janvier 1928, il explique, qu'initialement il avait rédigé ce livre à la première personne du singulier. (cf. "Correspondance 1927-1938").

Cette oeuvre est relativement brève (à peine 159 pages dans la version que je tiens en main), mais incroyablement dense. Cette densité est essentiellement le résultat du grand art de Joseph Roth pour la formulation courte et précise. Une qualité propre à cet ecrivain-journaliste qu'une autre ecrivaine-journaliste bien de chez nous, Florence Noiville, a souligné en ces termes : "Sur le plan de l'écriture d'abord, je suis toujours frappée par la netteté et la précision du style chez Roth. Des phrases courtes qui le rendent extrêmement tranchant. Et puis, il y a une espèce de charme, de légèreté. C'est une écriture qui n'est jamais datée. Sur le fond, Roth aura été un visionnaire." Cette citation, qui vaut celles de son maitre, sort de l' extraordinaire Cahier de l'Herne consacré au géant autrichien et édité, en 2015, sous la direction de Carole Ksiazenicer-Matheron.

Je signale au passage que cette critique littéraire au Monde, est l'auteure d'une splendide biographie d'un autre "Ostjude" (Juif de l'est), l'unique Nobel en yiddish, Isaac Bashevis Singer - pour lequel elle a reçu le Prix du récit biographique en 2004 - et dans un tout autre registre, du remarquable ouvrage "J'ai fait HEC et je m'en excuse" (HEC pour l'institut des Hautes Études Commerciales de Paris).
Un exemple. À Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan, Franz rencontre la belle Alia, fille d'un Géorgien et d'une Koumyk du Daghestan, et Roth résume les sentiments de Franz pour Alia en une phrase : "La fille devenait le deuxième amour de Tunda."

Comme membre de l'Association Joseph Roth de Belgique et des Pays-Bas, sous la présidence de sa fondatrice, Els Snick de l'université de Gand, je pourrais continuer encore longtemps à exprimer ma profonde admiration pour les 2 maîtres autrichiens, mais ne voulant pas abuser de votre patience en ce début d'année, je préfère m'arrêter par une citation de Stefan Zweig et une de Joseph Roth, qui illustrent de façon éloquente le thème central de cette "fuite sans fin".

Dans une lettre du 1er mai 1936, 2 ans avant l'incorporation de l'Autriche par les nazis, Stefan Zweig écrivit à Joseph Roth : que la chute de l'Autriche "serait aussi notre naufrage intérieur " (cf. "Correspondance 1927-1938").

Et Joseph Roth dans son chefs-d'oeuvre "La Marche de Radetzky" a lancé sa fameuse boutade : "Dans la vie, il n'y a que les petites choses qui soient importantes".

Commenter  J’apprécie          442



Ont apprécié cette critique (38)voir plus




{* *}