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Critique de nilebeh


Jacques Roumain, écrivain haïtien et fondateur du Parti communiste de son pays,livre ici une magnifique histoire d'amour, de mort, de vengeance familiale, digne de la vendetta corse. Dans cette île coupée en deux, vivent durement, chichement, les paysans haïtiens, et plus encore ceux de Fonds Rouge, village aux terres épuisées, assoiffées, saignées de leur richesse par la folie de ceux qui cherchent le profit immédiat en pratiquant une déforestation criminelle. Plus de racines pour retenir la terre, plus d'arbres pour rafraîchir, plus de rosée bienfaitrice, plus d'eau. Les enfants ont de gros ventres, les bêtes efflanquées ne se reproduisent plus et deviennent invendables. Les vieux en appellent aux dieux ancestraux de Guinée et pratiquent les rites vaudou, coqs sacrifiés, transes et prières traditionnelles .

Au milieu de cette misère se débat la famille de Délira Délivrance, la vieille mère aux cheveux poudrés de poussière blanche, son mari ronchon mais grand coeur, Bienaimé, et toute la parentèle et les voisins et amis. On s'entraide, on travaille en ligne dans les champs lors des coumbites, on se parle interminablement. Enfin, pas avec tout le monde. le fils aîné, Manuel, de retour après quinze ans passés à Cuba en fait l'expérience dès son retour : la jeune beauté Annaïse, au départ tout sourire à son égard, lui tourne le dos et un autre lui lance un crachat dès lors qu'il sait son nom.
C'est qu'il existe une véritable « vendetta » entre leurs deux familles, le sang a coulé qui ne peut se laver que dans le sang.

On l'aura vite deviné : l'amour naît entre ces deux-là et la priorité sera donnée à la soif commune et à la lutte pour trouver l'eau. C'est Manuel, chercheur infatigable, qui dans la brousse trouve l'eau du miracle et propose aux deux clans de s'unir en une gigantesque coumbite pour creuser les canaux et apporter la vie, la prospérité au village. Idéaliste Manuel...imprégné des idéaux du Che, débordant d'amour, de jeunesse et de confiance en la vie...

Le sujet, quoique beau et magnifiquement traité, n'est sans doute pas l'essentiel du roman. Au-delà de la romance et de la tragédie, il y a une évocation sensible et quasiment scientifique de la communauté villageoise, paysages de savane et de brousse aux multiples essences (le bayahonde, l'acacia local, le campêcher, le flamboyant, chou caraïbe, calebasse, le figuier-maudit etc...), coutumes et traditions vaudou, habitudes alimentaires, relations entre parents et voisins : un véritable travail d'ethnologue ! Nous relevons au passage la qualité des relations humaines, faites de politesse, de respect mutuel, d'assistance, quelque chose comme un très lointain souvenir pour les sociétés prétendument « développées ».

Bien sûr, il y a l'obscurantisme (plutôt le travail du sourcier que le vaudou!), la cupidité de qui abat les arbres sans réfléchir, pressé de se remplir les poches, la corruption (ce policier qui attend son heure pour acheter les terres assoiffées à bas prix), l'immobilisme fataliste de qui s'en remet à Dieu, rien n'est acquis à l'Homme...

Une tourmente, une bouffée d'air pur, un souffle passionné, une grande désespérance et une affreuse douleur mais la vie qui gagne, qui gagne toujours. Croire en l'Homme, avant tout.
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