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Critique de cedratier


« Gouverneurs de la rosée » Jacques Roumain (Zulma, 210 pages).
Pourquoi produire une note de lecture de plus, à propos d'un roman qui a très largement emballé tant de lecteurs, et dont bon nombre ont déjà témoigné de leur enthousiasme ici sur Babélio ? Envie bien mystérieuse, mais envie quand même…
Première moitié du XXème siècle. Manuel, jeune Haïtien, rentre chez lui après 15 ans d'exil à Cuba où il a connu la surexploitation comme ouvrier agricole dans les champs de canne à sucre, mais aussi la force de la solidarité et de la révolte. Cet exil lui a ouvert les yeux. Il retrouve ses vieux parents dans un village exsangue écrasé par une sécheresse produite par un déboisement irraisonné. Il rencontre Annaïse, belle mulâtresse, qui fait partie d'une famille « ennemie » de son clan. Il va tout faire pour trouver de l'eau, redonner ainsi vie à sa communauté, et la ressouder. Et pour conquérir la belle.
Si l'on voulait criticailler politiquement ce texte, on pourrait dire que Jacques Romain, qui fut pourtant un des fondateurs du Parti Communiste Haïtien, mort à 34 ans juste avant la publication de son oeuvre phare, cherchait à faire croire que la misère est le fruit des calamités naturelles ou de l'ignorance des hommes, en oubliant qu'elle résulte surtout de l'exploitation. Si l'on veut chipoter sur le plan de l'intrigue romanesque, on dira que c'est une pittoresque réplique version caraïbe de « Roméo et Juliette ». Oui mais voilà, c'est tout autre chose et bien plus que cela.
D'abord par la manière dont Romain tisse un lien existentiel entre l'homme et la nature, les plantes et les animaux, ce qui fait de ce texte de 1944 un roman extraordinairement actuel. Par une naïveté « rurale » qui s'en dégage (un lien avec Giono peut certes sembler hasardeux, mais pourtant…).
Et c'est un livre de la pauvreté, un livre de pauvres, qualificatif sans doute inexplicable pour qui ne le décode pas au premier abord.
Et puis c'est un livre de l'amour (plus que sur l'amour), ce que chacun prendra comme il veut.
Mais c'est aussi un grand livre par l'extraordinaire richesse poétique et musicale de la langue. Il y a de la lumière à chaque page de ce roman. On crève de chaud avec Manuel et ses frères de peine, on désire avec lui, on se révolte avec lui. Et le créole s'immisce ici ou là, par bribes, dans les dialogues ou les descriptions. Et tout du long, la langue chante, elle se fait contes, saveurs et sensualités, rires et pleurs.
« (…) et pendant ce temps, le malheur riait en sourdine. »
« (…) les situations les plus embrouillées, il te les démêlait que c'était une merveille : tu voyais devant toi chaque question alignée sur le fil de son raisonnement comme du linge rincé accroché à sécher au soleil. »
« Sous la porte rampait, avec une légère froidure, la clarté brouillée de l'aube. »
Alors oui, ce roman, qui nous rend si proches ces paysans pauvres qui ne gouvernent que la rosée, est fabuleux. Oui, dépassant les frontières et les époques, si particulier et si éternel, il fait partie de la grande encyclopédie de la littérature mondiale, au chapitre des très beaux romans. A lire absolument.
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