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Citations sur Le Bonheur National Brut (82)

— Je viens d'une famille qui, le lendemain de l'élection de Mitterrand, a fait construire dans sa cave un putain de garde-manger qu'elle a entièrement rempli de bouffe au cas où les rouges reviendraient. Je viens d'une famille catho tellement arriérée que deux mille ans après elle en veut toujours aux juifs d'avoir dézingué leur idole. Je viens d'une famille qui pense que la musique s'est arrêtée au XVIIIe siècle et la littérature juste un siècle plus tard. Je viens d'une famille qui pense que le chômage est le refuge des assistés, et la Sécurité sociale un vaste trou creusé par des politiciens irresponsables, des millions d'Arabes et autant de nègres. Je viens d'une famille qui, d'une manière assez systématique, ne croit pas que la différence soit une très bonne chose et pense qu'il vaut mieux avoir un enfant leucémique que pédé parce que au moins, un cancéreux, on peut toujours espérer qu'il sera possible de le sauver un jour. Alors, présenter mon petit copain artiste peintre spécialisé dans des oeuvres crypto-pédé à tendance préraphaélite qui écoute Barbara à longueur de journée et qui veut monter un journal homo pour combattre les préjugés ignobles de gens précisément comme eux, non, je ne pense pas en effet que ce soit la meilleure des idées que tu aies eues ces derniers temps.

Page 325, Le Livre de Poche, 2016.
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— Tu sais à quoi les gens pensent en ce moment ? reprit Félix, agacé par ce comportement asocial. Ils se demandent s'ils réussiront demain à sauver leur putain de job, s'ils pourront payer les études de leurs mômes et si ces mômes réussiront eux-mêmes à leur tour à grappiller de quoi bouffer ; ils se demandent si le sys. tème sera capable de leur fournir une retraite décente avant qu'ils ne crèvent d'épuisement ; ils se demandent jusqu'à quand ils seront capables d'alimenter le réservoir de leur bagnole avant que l'essence soit devenue aussi chère que le caviar. Voilà ce que se demandent les gens. Ils ne se posent sûrement pas la question de savoir combien d'éoliennes on va pouvoir implanter en mer du Nord, comment on va réussir à recycler un peu plus proprement nos déchets ou si la centrale nucléaire de Fessenheim va, oui ou non, nous exploser à la gueule un jour ou l'autre. Dans les moments de crise, les gens pensent à leur survie, pas à celle de la planète. Les écolos vont se planter en 2012 comme ils se sont lamentablement plantés en 2007, parce que la plupart des causes qu'ils défendent ne concernent que de très loin la population. Il faut avoir des réponses écologiques viables qui tiennent compte des enjeux et des réalités économiques mais surtout des angoisses des gens. C'est exactement ça, Rodolphe, que tu vas leur servir sur un plateau. En ce moment, il n'y a pas de place pour les mous de l'énergie propre ou les fanas des pandas.

Pages 439-440, Le Livre de Poche, 2016.
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— Cette crise, c'est comme un cancer. Si on se contente d'attendre en espérant que ça se résorbera tout seul, on se fout le doigt dans l'œil. Ça va grossir, ça va dégénérer comme les métastases d'un fichu cancer et des millions de gens vont y laisser leur peau. Ce n'est surtout pas le moment d'attendre que les politiques régleront les problèmes. Crois-moi, les politiques sont les pires médecins, ils ne régleront rien, rien du tout, Contrairement à ce que tu peux penser, les gouvernements ne dirigent pas le monde. C'est Goldman Sachs qui dirige le monde. Goldman Sachs s'en branle de vos plans de sauvetage. Tout ce que veut Goldman Sachs, c'est faire cracher un maximum de blé à un marché à la baisse. Moi, depuis trois ans, je me couche tous les soirs en rêvant à cette récession et aux thunes que ça va me rapporter. Désolé, Rodolphe, une crise économique, c'est comme une guerre. Il y en a qui en meurent, il y en a d'autres qui en vivent. C'est comme ça que le monde marche, c'est comme ça que le monde a toujours marché. Il faudrait être con ou aveugle pour ne pas l'admettre.

Pages 506-507, Le Livre de Poche, 2016.
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— Crois-moi, je suis bien placé pour savoir ce que veulent les gens. Ils veulent des cuisines encastrables et des chaînes hi-fi. Ils veulent les mêmes meubles et les mêmes avantages que les riches. Du pouvoir d'achat et des vacances, voilà ce qu'ils réclament. Plus de temps libre, comme on dit aujourd'hui, pour aller claquer leur pognon dans les grandes surfaces, pour se foutre sur le dos des crédits qu'un jour ils ne pourront même plus rembourser puisqu'ils n'auront plus de boulot. C'est triste à dire, mais pendant des années je me suis battu pour ça et uniquement pour ça. Pas pour des rêves, non, non, pour des cuisines, pour des postes de télé, pour du temps libre dont personne ne sait quoi faire. Ça a peut-être été ma plus grande erreur, conclut-il avec amertume.

Page 355, Le Livre de Poche, 2016.
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Nous étions attablés à la terrasse du Café des Écoles, un lieu mythique pour tous les élèves du lycée et notre terrain de récréation favori. On était tous là une bonne centaine, scientifiques, économistes et littéraires mêlés, à commenter les succès des uns et les échecs – toujours immérités – des autres. Ce café, on l'avait fréquenté pendant au moins trois ans, quatre au pire. C'était autour de lui que tournait le monde, C'était là qu'on échangeait les bons tuyaux et les pires ragots. C'était là que, poussés par les potes et l'alcool, les plus aventureux d'entre nous griffonnaient à la hâte d'improbables rendez-vous sur un sous-bock de bière pour des minettes qui s'en fichaient pas mal. C'était là qu'on conspirait contre les profs et les parents, qu'on échangeait nos premiers baisers, qu'on épongeait nos premiers chagrins, Quitter le lycée signifiait ne plus revoir ce lieu, et ne plus revoir ce lieu représentait pour tous un crève-cœur absolu, L'abandon de notre café, c'était sans se le dire l'abandon de la meilleure part de nous-mêmes. Et pour trouver quoi ? Bien sûr, il y aurait une fac, une prépa, d'autres amitiés, d'autres amours, un métier à apprivoiser, le monde à conquérir. Bien sûr on se reverrait, on se le jurait, avec parfois des sanglots qui vous serraient la gorge. Jamais l'émerveillement des choses nouvelles n'effacerait l'insouciance des jours passés.

Page 30, Le Livre de Poche, 2016.
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Ce soir-là, sans y être préparé, je venais de pénétrer dans un territoire jusqu'alors inconnu qui me hanterait des années durant : celui des grands bourgeois. Ce maigre adjectif fait toute la différence, croyez-moi. Ce n'est pas une question d'argent. C'est une ques tion d'attitude. Ici, l'argent ne comptait pas : il n'était pas un moyen, encore moins un but. C'était presque un gros mot. Ils étaient riches, mais ils s'en fichaient complètement. D'ailleurs ils se fichaient d'à peu près tout. Ce n'était pas un principe réfléchi – ce qui aurait fait d'eux des snobs –, mais un état naturel. Tout ce qui jusqu'ici avait pour moi représenté l'ordre, l'apparence, le respect des conventions, volait subitement en éclats. Les petits-bourgeois – et mes parents en étaient, c'est certain – obéissaient à des règles. Les grands bourgeois n'en avaient aucune. Ils faisaient tout simplement ce qui leur plaisait au moment où cela leur plaisait. Ils n'avaient pas peur de déranger, cette idée ne les effleurait même pas. Comment auraient-ils pu déranger ? Ils étaient chez eux partout, en toutes circonstances. Ils ne voulaient rien puisqu'ils avaient déjà tout, Ils n'avaient rien à prouver, rien à gagner. Il leur suffisait simplement de laisser s'écouler le long fleuve de leur vie de la façon la plus paisible qui soit, en observant d'un air vague et détaché le peuple primitif qui s'agitait le long des rives qu'ils traversaient. Ils possédaient le monde.

Pages 106-107, Le Livre de Poche, 2016.
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Bientôt, Rodolphe serait empêtré dans les rouages du monde politique, Tanguy dans ceux de l'entreprise, Benoît et moi dans ceux de l'art et de la culture. Chacun de nous devrait batailler, contre les autres mais surtout contre lui-même. Chacun de nous, pour tenter de survivre – pour tâcher d'être heureux ? –, s'efforcerait à sa façon d'enfouir les monstres cachés qui n'avaient cessé de nous poursuivre depuis l'enfance,
Pour le moment, nous étions morts de rire, et cela nous suffisait amplement.

Page 374, Le Livre de Poche, 2016.
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— Mitrand ? Il ne fera pas mieux que les autres. Il a les mêmes cartes dans les mains il joue le même jeu. Si on veut que quelque chose bouge, c'est le jeu qu'il faut changer, pas seulement les joueurs. Et puis qui a encore envie que ça bouge vraiment, à part les extrêmes qui se foutent royalement de prendre le pouvoir ? On s'est fait trop avoir, Alice, personne n'a plus le courage d'y croire. Tu vois, ça me fait mal de le dire, mais la classe ouvrière, elle est en train de crever. La seule classe qui existe encore, tu sais laquelle c'est ? C'est celle des riches.
Alice eut un petit frémissement.
— Désolé de te dire ça, mais c'est la stricte vérité. Les riches au moins, ils savent protéger leurs intérêts, ils arrivent à s'unir pour se défendre, ils forment une vraie famille, solidaire et sacrément motivée. Eux, ils ont encore des rêves, et je peux te dire qu'ils ne vont rien lâcher pour pouvoir les réaliser. Rien. C'est tout ce qui nous manque, à nous autres. Les ouvriers feraient bien d'en prendre de la graine, ajouta Pierre avec un petit rire en coin qui était tout sauf léger.

Page 354, Le Livre de Poche, 2016.
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-Pierre, tu étais un petit con dans ton enfance. Tu es devenu un sale con en grandissant, et je présume que dans peu de temps tu deviendras un vieux con. En fait, tu auras passé ta vie à être un con sous toutes les formes possibles.
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Immédiatement, comme en réponse à un même appel inexprimé, des flots humains se déversèrent dans les rues. Bientôt, partout on danserait, partout on hurlerait, partout on chanterait, partout on se piétinerait. Il paraissait de la plus haute importance d'éprouver la vérité du scrutin en se frottant obstinément les uns aux autres, comme si cette victoire ne reposait sur aucune réalité sérieuse et qu'il fallait se le beugler aux oreilles pour s'en persuader, Ce fut aussi une éclatante victoire pour les viticulteurs de la vallée champenoise, dont les bouteilles passaient de main en bouche sans discontinuer. En tout lieu, dedans, dehors, partout, ça buvait sec et ça braillait autant. Les voitures s'immobilisaient n'importe où, dans des assourdissements de klaxons, pour décharger leurs cargaisons de passagers qui se mettaient spontanément à embrasser tous les passants et bien souvent à éclater en sanglots entre leurs bras. Un vieillard légèrement éméché entonna dignement une Carmagnole, qui fut reprise en chœur par des dizaines de personnes dont la plupart en connaissaient à peine les paroles, qu'importe ! Une fleuriste enthousiaste liquida gratis son stock de roses, qu'on porta à la boutonnière comme une décoration dûment méritée. Certains installèrent les enceintes de leur salon aux grilles des balcons, aux montants des fenêtres, et firent gueuler des musiques qui décuplaient l'excitation et la ferveur de la foule. Ça explosait de rire, ça fondait en larmes. On avait l'impression que toutes sortes de sentiments extrêmes avaient été comprimés pendant des siècles par un barrage immatériel qu'un raz de marée dévastateur et salutaire venait d'ébranler.
Jamais on n'avait été aussi heureux. Jamais on n'avait autant espéré.

Pages 22-23, Le Livre de Poche, 2016.
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