Contrairement à Engels, Marx ne pensait pas que la transformation révolutionnaire de l’avenir se ferait à la manière des révolutions du passé, tel un cataclysme naturel qui broie hommes, choses et consciences. Avec l’avènement du travailleur moderne, l’espère humaine commençait le cycle de sa vraie histoire : elle entrait dans la voie de la raison et devenait capable de réaliser ses rêves et de se donner un destin à la mesure de ses facultés créatrices. Les conquêtes de la science et de la technologie rendaient possible une telle issue, mais le prolétariat devait intervenir pour que la bourgeoisie et son capital ne changent pas cette évolution en marche à l’abîme.
« Les triomphes de la science semblent achetés au prix d’un avilissement moral. A mesure que l’humanité dompte la nature, l’homme semble devenir la proie de son prochain et de sa propre infamie » (Discours devant les chartistes, 1856).
La révolution prolétarienne n’aura donc rien d’une aventure politique ; ce sera une entreprise universelle, menée de concert par l’immense majorité des membres de la société ayant pris conscience de la nécessité et de la possibilité d’une régénération totale de l’humanité. L’histoire étant devenue mondiale, la menace d’asservissement par le capital et son marché s’étend à toute la terre ; par contrecoup doivent apparaître une conscience et une volonté de masse toutes tendues vers un changement profond et universel des relations humaines et des institutions sociales. (p. 98)
Albert Mathiez, dont l’Histoire de la Révolution française équivaut à une apologie du jacobinisme, tire un parallèle frappant du bolchévisme et du jacobinisme, et le conclut en ces termes : « L’histoire jamais ne se répète exactement, mais les ressemblances que notre analyse a révélées entre les deux grandes crises de 1793 et de 1917 ne sont ni superficielles ni fortuites. Les révolutionnaires russes imitent volontairement et sciemment les révolutionnaires français. Ils sont animés du même esprit. Ils se meuvent au milieu des mêmes problèmes dans une atmosphère analogue. Les temps diffèrent. La civilisation a marché depuis un siècle un quart. Mais la Russie doit à son état arriéré de ressembler plus qu’on ne le croit d’ordinaire à la France agricole et illettrée qui était celle de la fin du XVIIIe siècle.
Ce sera chose curieuse à observer et riche matière à réflexion si le rythme de deux révolutions se poursuit jusqu’au bout d’une même cadence. »
Cinquante années ont passé : il ne paraît pas risqué de poursuivre aujourd’hui le parallèle de Mathiez. (p. 174)
Chez Marx, l’adhésion au communisme, c’est tout d’abord l’adhésion à la cause de l’émancipation des travailleurs qui s’identifie à la cause humaine universelle.