Dans un pays ayant connu récemment une guerre fratricide, un fait divers va relancer les rancoeurs, les jalousies, la violence au sein d'un village. En cause un infirme : un jeune homme muet. Confronté à un problème de digestion il est contraint de s'expliquer par gestes. Mais ses tentatives pour trouver un endroit pour satisfaire un besoin naturel sont mal interprétées par une jeune fille qui croie qu'il va la violer. Poursuivi puis rattrapé par la foule des villageois, Nyamuragi, le pauvre bougre, va être condamné sans jugement, alors que plusieurs viols ont eu lieu récemment. le tout sous le regard d'une vieille femme borgne et d'un ancien soldat.
Dans les premières pages l'écriture est empreinte de nostalgie, comme l'annonce de la fin d'un monde dans lequel règne la simplicité, l'authenticité, l'harmonie. le temps passe tranquillement et doucement. le calme avant la tempête. Survient ce fait divers qui vire au tragique. le style de l'auteur est compliqué ou tout du moins inhabituel. On hésite entre fable et fait de société. Il y a beaucoup de poésie, d'images, de réflexion intellectuelle. Il y a aussi beaucoup de digressions qui ont fait parfois perdre pied à la lectrice que je suis, même si je retrouvais le fil quelques paragraphes plus loin. Chaque chapitre est introduit par un proverbe Kirundi traduit en-dessous. le récit est également émaillé de mots, de phrases en langue burundaise (je suis désolée je ne suis pas certaine du dialecte utilisé), elles aussi traduites. Il n'en résulte pas moins une lecture hachée et difficile pour un récit d'un peu plus de 100 pages.
Ecrit après le génocide au Burundi le roman semble vouloir aborder de nombreuses problématiques, pas toutes développée. le pauvre muet est l'image de tout ce que la société n'ose avouer ou reconnaître de ce qui ne va pas ou ce qui ne va plus. Nyamuragi n'est-il pas victime de la mauvaise conscience de la jeune fille qui se dit agressée ou des pensées et penchants des hommes qui commettent des viols et/ou trompent leurs femmes ? En le punissant ils s'évitent de se punir eux-mêmes. S'en rendre au muet qui ne peut se défendre par la parole n'est-ce pas tenter de mettre un voile sur un passé douloureux ? La guerre est finie mais elle a marqué durablement les hommes et les femmes. Elle a laissé derrière elle l'empreinte de la violence, de la haine, et plus jamais ils ne pourront la chasser de leurs coeurs. A moins que...
La diversité ethnique ne m'a pas paru présente. Par contre l'interrogation sur l'identité burundaise est omniprésente. La langue, le mot, le verbe sont omniprésents. Une grande partie des réflexions de protagonistes passe par la langue, l'oralité mais aussi par l'interrogation sur le sens profond des mots. le texte est émaillé de nombreuses phrases en dialecte, accentuant l'importance que l'auteur donne à la langue. La vieille borgne dissèque les mots, les expressions. Ce faisant l'auteur renforce d'autant l'incapacité dans laquelle le muet, condamné sans jugement pour un crime qu'il n'a pas commis, est de se défendre : il ne peut prononcer aucun mot, et n'étant pas allé à l'école, il ne peut pas écrire non plus. Il est muré dans le silence et le sommeil pour ne pas avoir à affronter l'avenir. Allégorie de la position du peuple burundais ?
Au final une lecture intéressante mais un peu laborieuse.
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Un tout petit livre, mais une lecture éprouvante. Nous sommes dans un petit village au Burundi et une vague de viols de jeunes filles sévit. Se promenant aux bords d'une rivière, un muet tente de porter secours a une jeune fille... Celle-ci se méprend sur les intentions, et une course poursuite prend forme : le coupable idéal est trouvé, puisqu'il ne sait se défendre, a tous ces viols horribles... Une montée en puissance de la violence, de la stigmatisation, de l'incompréhension... Un roman plutôt dur a lire de par le thème, mais l'écriture de l'auteur est très belle...
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Le début est un peu long, surtout pour un si petit livre, mais il présente les protagonistes chacun dans leurs vies avant d'en venir au quiproquo dramatique qui fait l'intrigue. La plume est belle, le drame est horrible, ce qui fait encore plus ressortir le coeur du sujet. Par ce malentendu c'est avant tout les situations de guerres, de viols qui sont au centre du roman, « où la vindicte populaire pourra montrer l'étendue de ses peurs ».
J'ai aimé l'ironie du muet dans un monde où, de toute façon, personne n'écoutera la défense de ce coupable tout trouvé. Pourquoi fuir si on est innocent ? Peut-être a-t-il senti que personne ne voudrait le croire, ou bien a-t-il senti l'étendu de ses gestes pourtant sans arrière-pensée.
Atypique et aussi cruel que bon.
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Courte parabole à la langue fleurie, profonde et ciselée. Qui ne serait muet dans ce monde où personne n'écoute, où la seule profondeur de regard est celle d'une vieille bergère borgne, où l'humain devenu foule hurle une aveugle et cacophonique violence... Une âme innocente entachée par la propre laideur du regard de ceux qui la condamnent à mort. Bouleversante et poétique image de notre temps...
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Né incomplet, il se contentait de vivre son atrophie. Pour lui seul, sans en faire une tragédie ni une affaire de vengeance sur le destin. Il ne faut pas craindre ce qui est. Sa mère lui disait : "Ibuye riserutse ntirimena isuka", "Le caillou qui émerge de la terre ne peut briser la houe". Dès que le cultivateur voit un caillou poindre du sol qu'il sonde de sa houe, il s'arrête, prend la peine de le ramasser, le jette loin et s'enfonce plus calmement dans son labeur. (p.69)
Les cieux sont nus en ce mois de novembre.
Honteux, ils essaient de tirer quelques nuages pour se couvrir sous l'impitoyable soleil qui met au jour, de manière résolue, délibérée et éclairée, leur nudité.
Nus, bleus. Bleu de l'eau, couleur du Tanganyka, cette plaine ondoyante de l'Ouest. Des fontaines qui parsemaient les vallées autour de Kanya, l'eau y était il y a peu claire et limpide, abondante : mais elle manque. Un novembre sec. (p.7)
Sont-ce toutes ses guerres ? Le mensonge est venu, c’est-à-dire la division. Brouilles, méfiances, doutes exacerbés par une histoire où se côtoient depuis des décennies massacres et vies brisées. Et ce, entre beneburundi, ceux à qui le Burundi appartient. Depuis des années donc, la parole est sujette à caution, il faut se refuse à accepter ce qui est dit. Les morts ont emporté la belle âme unie d’un peuple. Et l’union de ce peuple avait un étalon : sa langue et sa riche parole, ijambo.