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Critique de Herve-Lionel


N°474– Novembre 2010
LE JEU DE L'ANGECarlos Ruiz Zafón – Éditions Robert Laffont.
[Traduit de l'espagnol par François Maspero]

Dès l'abord, l'auteur entre dans dans la problématique d'où va découler tout ce roman « Un écrivain n'oublie jamais le moment où, pour la première fois, il a accepté un peu d'argent ou quelques éloges en échange d'une histoire » On pourrait penser qu'il allait y être question d'écriture mais aussi de la difficulté d'un auteur, de ses relations jubilatoires mais parfois difficiles avec l'écriture elle-même et aussi avec les éditeurs ! C'était déjà une perspective intéressante.
Dans ce texte l'auteur reste fidèle aux années 20 et à Barcelone qui, encore une fois est le décor où va se dérouler cette action au cours de laquelle David Martín, fils d'un vétéran de la guerre qui n'aimait pas les livres, travaille dès son plus jeune âge dans un journal,« La voix de l'industrie », mais comme simple manutentionnaire. A la suite d'une défection, il est amené, grâce à Pedro Vidal, un riche citoyen, chroniqueur d'occasion dans ce journal et auteur besogneux sans grand talent, à écrire une série de textes qui révèlent ses dons d'écrivain. Tout semble aller bien pour lui puisque, pour la première fois de sa vie il est payé pour écrire, et que le succès est au rendez-vous ! Rapidement il va être pris dans une spirale où il va devoir « produire » des feuilletons sous un pseudonyme et non plus créer comme il l'aurait souhaité, et ce en étant exploité par un éditeur sans scrupule. le rythme qui lui est imposé l'épuise de sorte qu'il doit renoncer d'autant qu'il est licencié de ce journal.
Pourtant il tente d'écrire son propre roman mais, boudé par la critique c'est un échec, et, dans le même temps, il en écrit un pour Vidal qui le signe et qui est un succès. Il est désespéré, d'autant plus que la jeune fille, Cristina, qu'il aime en secret et pour qui il avait écrit son propre roman va épouser Vidal dont elle était la secrétaire.
Quand il a quitté le bouge où il habitait, il a élu domicile dans une villa, «  la maison de la tour », qui avait appartenu à Diego Marlasca, cet avocat qui avait quitté son cabinet florissant pour se consacrer à l'écriture et venir y vivre avec sa maîtresse, l'énigmatique Irène Sabino. L'immeuble aussi labyrinthique que mystérieux, est fermé depuis 20 ans et dit-on, porte malheur.
Son ami, le libraire Sempere amène David au « Cimetière des livres » où il va déposer son oeuvre malheureuse et un éditeur parisien Andréas Corelli, personnage par ailleurs assez secret, lui propose sans raisons apparentes et moyennant une petite fortune, d'écrire une sorte de Bible, un livre qui serait fondateur d'une religion basée sur un messie vengeur. A dater de ce jour, une sorte de mécanique mortelle se met en place autour de lui, faisant passer de vie à trépas ses amis et même Cristina qui pourtant ne l'avait pas oublié. Un peu comme si, en acceptant ce contrat avec Corelli, il s'était coupé lui-même de l'inspiration, avait sacrifié sa liberté d'écrivain, avait peut-être vendu son âme au diable?
Quand il reçoit une correspondance de Corelli, la lettre est toujours scellée et l'empreinte dans la cire représente un ange aux ailes déployées qui est son emblème. D'ailleurs, chacune de leurs rencontres, toujours dans des lieux improbables, est placée sous le signe de l'ange. Sa symbolique peut aussi bien s'attacher à l'annonciation qu'à l'apocalypse ou à Lucifer! le titre du roman trouvera ici son explication et il appartiendra au lecteur d'en percer le mystère.

C'est une histoire contée avec brio, imagination parfois délirante, humour et poésie et que j'ai pris plaisir à lire malgré quelques longueurs et parfois des digressions, un roman à énigme (je préfère ce terme à celui de roman policier) qui tient vraiment le lecteur en haleine jusqu'à la fin. L'auteur reste fidèle à son univers, celui des livres[« Un livre a une âme, l'âme de celui qui l'a écrit, l'âme de ceux qui l'ont lu, ont vécu et ont rêvé avec lui »], des maisons mystérieuses, des personnages qui apparaissent et disparaissent ensuite, des morts suspectes et parfois violentes, des flics pour le moins méprisables... Il y a aussi un rapport aux parents [la mère de David l'a abandonné, son père ne s'est guère occupé de lui à cause de sa vie désordonnée et de sa mort prématurée et par erreur], aux amours contrariées [les rapports d'Isabella et de David sont bizarres, comme ceux d'Isabella et de Sempere junior, cette fable de la petite fille, à la fois avatar et fantôme de Cristina], au feu [il y a toujours un incendie de livre dans un entrepôt d'éditeur et Marlasca meurt non pas noyé mais brûlé vif ], et cette référence à la saga des Sempere et de leur librairie...

Pour autant, est-ce le fruit de mon expérience personnelle au regard de l'écriture, j'ai fait de cet ouvrage une lecture particulière. Je me suis attaché aux différentes tentatives avortées voire impossibles de certains personnages autour de l'écriture [ Isabella, Vidal, Marlasca, David Martín lui-même qui connaît aussi bien le succès que des déboires dans ce domaine, sa difficulté à écrire le livre commandé par Corelli et finalement son destin, les hésitations, des recherches et les doutes dont il parle « L'un des principaux expédients propres à l'écrivain professionnel qu'Isabella a appris de moi était l'art et la pratique de la procrastination »..], le rapport de l'écriture à l'argent [la somme importante proposée par Corelli vient probablement de la fortune de Marlasca dérobée par un ami de sa maîtresse, mais rien n'est sûr... C'est un peu comme si l'écriture de David allait racheter ce vol et ce d'autant plus qu'il s'agit d'un livre religieux]. Je préfère privilégier le rôle d'exorcisme de l'écriture. Je ne connais pas Carlos Ruiz Zafón , mais j'imagine assez bien un être torturé qui trouve dans l'écriture un exutoire bienvenu et salutaire. C'est généralement le cas de beaucoup d'écrivains authentiques.

J'ai apprécié la lecture de ce livre à cause du style fluide, captivant et agréable à lire malgré la longueur de l'ouvrage (536 pages). Ce texte écrit à la première personne m'a quand même laissé un peu perplexe pour ne pas dire déçu, à cause peut-être des répétitions de scènes déjà évoquées dans son premier roman [ Décor de la libraire Sempere, du « cimetière des livres oubliés » -Incendie constaté dans un entrepôt de livres, victimes gravement brûlées - il y aurait sans doute une explication dans cette permanence du feu – Omniprésence de la police aux méthodes inquisitoriales, violentes et parfois illégales ...] et de la fin qui m'a surpris. J'avais encore en mémoire « L'ombre du vent » qui m'avait enthousiasmé. La Feuille Volante n°470) ! Pourtant les nombreuses références à ce roman, autant par son côté mystérieux, énigmatique donnent plutôt une unité à l'oeuvre.
© Hervé GAUTIER – Novembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
Lien : http://hervegautier.e-monsit..
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