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Gabriel Iaculli (Traducteur)J.M.G Le Clézio (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070304622
240 pages
Gallimard (20/11/2003)
4.08/5   140 notes
Résumé :
L'homme, Talpa et Macario, ces trois nouvelles issues du recueil Le Llano en flammes donnent la parole aux humbles - bergers, muletiers, journaliers.
- dans un Mexique ravagé par les violences et les bouleversements de la guerre civile, mais aussi dans un univers oú les frontières entre la vie et la mort demeurent floues. auteur d'une œuvre aussi dense que brève, Juan Rulfo est considéré comme l'une des figures de proue de la littérature mexicaine.
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Critiques, Analyses et Avis (28) Voir plus Ajouter une critique
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Un livre sensoriel servi par une plume magistrale. Une plume que je crois n'avoir jamais trouvée dans un livre jusqu'à présent, qui laisse des traces, des stries rouges vif, coup de fouet ou poudre de piment, lancés à nos yeux ébaubis. Les trouvailles stylistiques étonnantes m'ont incitée à les lire deux fois, ces nouvelles de Juan Rulfo, désireuse de m'immerger dans cette région du Llano, dans ses bruits, ses odeurs, ses couleurs.

Imaginez un endroit immense, une vaste plaine désertique, aride, où l'ombre des nuages est à la fois source d'espoir et source d'étonnement, où l'air est si chaud que les champs de canne dégagent des effluves douceâtre de miel, où la moindre goutte d'eau tombée miraculeusement du ciel fait un trou dans la terre y laissant une trace, « tel un crachat », goutte avalée aussitôt par cette terre poussiéreuse, dure, délavée, crevassée, infertile…un cuir de vache racorni par les morsures du soleil. Et le vent, incessant, balaie cette région toute minérale, sans lapin, sans oiseaux, où seuls les aboiements des chiens se font attendre au loin, et où quelques arbres rabougris peinent à cacher parfois l'innommable résultant des guérillas que se livrent certaines bandes.

« Il nous arrivait trop souvent de voir l'un des nôtres pendu par les pieds à un poteau au bord d'un chemin. Ils restaient là à se faire vieux et à se ratatiner comme des peaux tannées. Les vautours leur dévoraient le ventre, leur arrachaient les tripes et ne laissaient que la peau. On les pendait très haut et ils se balançaient comme des cloches au souffle du vent, des jours et des jours, parfois des mois, parfois réduits à des lambeaux de pantalon claquant au vent que l'on aurait étendus là ».

La nature semble au mieux indifférente à toutes les drames humains, majestueuse et immuable dans sa beauté, au pire elle accentue la petitesse et l'insignifiance humaine, « l'absurdité irréductible de l'histoire humaine » comme le souligne en préface J.M le Clézio, par sa force, sa rudesse, son austérité, métamorphosant les tracas en tragédies, la plaine en lieu de perdition, les hommes en vermine, illusions et espoirs immédiatement grillés et réduits en cendre.

« Nous n'étions qu'un noeud de chenilles grouillant sous le soleil, qui se tordaient dans la chape de poussière qui nous parquait tous sur le même chemin et nous menait comme du bétail. Nos regard suivaient les nuages de poussière, s'y arrêtaient comme s'ils buttaient sur un obstacle infranchissable. le ciel toujours plombé, au-dessus de nous, était une sorte de tâche grise et lourde qui nous écrasait. C'était seulement quand nous traversions une rivière à gué que la poussière était plus haute et plus claire. Nous trempions nos têtes échauffées et noircies dans l'eau verte, et pendant un moment, une fumée bleue sortait de nous tous comme la vapeur s'échappe de la bouche quand il fait froid. Mais on ne tardait guère à disparaitre encore une fois dans la poussière en se protégeant les uns les autres du soleil, de cette ardeur du soleil dont chacun avait sa part ».

17 nouvelles comme autant de braises incandescentes, se déroulant dans l'État du Jalisco, région rurale du centre-ouest du Mexique, au début du 20ème Siècle, dans lesquelles nous croisons des gens simples, de pauvres hères ; des paysans de terres fertiles expropriés par de gros propriétaires tentant de vivre désormais en se déplaçant sur leurs nouvelles terres, celle du Llano, stériles, dans une fournaise les laissant hagards, au bord de la folie ; des croyants gardant espoir en priant, en honorant les Saints ; des hommes et des femmes trompant les leurs tout en cherchant désespérément la rédemption ; des sanguinaires se battant pour des causes perdues d'avance au sein de commandos sanglants ; des simples d'esprit croupissant dans des chambres crasseuses infestées de cafards.
Chaque nouvelle est un petit monde à elle seule, sans lien avec la suivante et pourtant le passage d'une nouvelle à l'autre se fait avec bonheur, oui l'ensemble est harmonieux et offre autant de facette de vies possibles trouvés dans cette région, autant d'exemples de destins sertis du sceau de ce lieu si brûlant qu'il ressemble certainement à l'enfer. Comme si le Llano vouait sa population à la misère, aux maladies, à la fatalité, à la violence, à l'esprit de vengeance, à la loi du plus fort et à celle du Talion…à la damnation.

L'écriture est vraiment éblouissante, une écriture qui claque, magnifique et étonnante, sensorielle et métaphorique, qui donne à voir des paysages couleur sépia, à ressentir les ondulations de chaleur, à toucher le cuir de ces peaux ridées et tourmentées, si semblables à la terre sur lesquels ces pauvres gens tentent de vivre…Je ne sais hélas pas parler espagnol, j'imagine que ce texte est encore plus beau dans sa langue d'origine mais malgré tout, je voudrais souligner la remarquable traduction de Gabriel Iaculli.
Chose intéressante, nous avons pu comparer deux traductions différentes d'un même passage avec @Elea, possédant de son côté le recueil traduit par Michèle Lévi-Provençal, je vous laisse découvrir ce beau passage dans ses deux traductions et apprécier ces deux versions qui montrent à quel point le travail de la traductrice ou du traducteur est important :

Traduction de Gabriel Iaculli : « On ne dit pas ce qu'on pense. Ça fait longtemps qu'elle nous a quittés, l'envie de parler. Elle nous a quittés avec la chaleur. On parlerait bien volontiers, ailleurs, mais ici, c'est trop fatiguant. Ici, on parle et avec cette chaleur qu'il fait dehors, les mots grillent dans la bouche, ils se racornissent, là, sur la langue, et finissent par vous étouffer ».

Traduction de Michèle Lévi-Provençal : « Mais nous nous taisons. Il y a longtemps que nous n'avons plus envie de parler. La chaleur nous en a ôté le goût. Ailleurs, on aimerait parler mais ici, c'est trop dur. Ici, quand on parle, les mots cuisent dans la bouche sous l'effet de la chaleur et se dessèchent sur votre langue, à vous en couper le souffle. ici, c'est ainsi, alors personne ne parle ».

Un classique des lettres mexicaines et surtout un auteur, Juan Rulfo, à découvrir absolument. Un grand merci à @JeffreyLeePierre, à @Mermed et à @Elea de m'avoir donné envie de lire ce livre sublime avec leurs belles et convaincantes critiques. Cette lecture fut un véritable coup de coeur et me donne envie de découvrir enfin la littérature mexicaine, et de façon plus générale, la littérature sud-américaine, que je connais si mal, si peu.
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Lu en v. o. El llano en llamas.

El llano. La plaine.
Quelle plaine! Une lande desertique ou les plantes ont du mal a s'implanter. Des pierres, de la poussiere et peu d'eau. Une contree sterile ou proliferent la misere, les abus, la violence, les assassinats. Des terres et leurs habitants abandonnes a leur sort, ou tous les moyens sont bons pour survivre, chacun pour soi et tous contre tous. Terres de pauvreté extreme, de solitude existencielle, de defiance generalisee, de non-dits, de silences que seuls le vent, les cloches d'eglise et les deflagrations de fusils brisent.
Des terres souvent en flammes. Des terres qu'allument des conflits plus larges qu'elles, conflits de partis nationaux, conflits de gouvernement et d'eglise. Terres grises qui se tournent rouges de feu, rouges de sang, terres de pauvres heres habitues a lutter pour des causes perdues. Terres ou ils se soulevent au cri de “Viva Cristo Rey!”, et se font massacrer par l'armee federale. Terres que l'auteur, Juan Nepomuceno Carlos Pérez Rulfo Vizcaíno, connait bien, les terres ou il est ne, les terres ou son pere a ete assassine parce qu'il n'avait pas permis a un berger de faire paitre un troupeau sur ses parcelles. Il fera de cet assassinat la trame d'une de ses nouvelles, “En la madrugada” (A l'aube), ou il etale son plein de miséricorde envers l'assassin.

Ce recueil de nouvelles, ou de recits pris sur le vif, ou de contes, est empreint de fatalisme. Des contes secs, unis thematiquement: l'impossibilite humaine d'echapper a un destin fixé d'avance, la conscience de la faute, l'absence de pardon, ou plutot la vengeance comme ultime justice. Des etres sans illusions, toujours en tension entre espoir et desespoir, qui acceptent en fin de compte ce qu'il leur est alloue de vivre sans plainte aucune. La faim qui leur est allouee. Ou celui ou ceux qu'il leur est alloue de tuer. Ou la mort qui leur est allouee.

Des contes unis aussi par le traitement qu'en fait l'auteur du temps et de l'espace. Il n'y a en aucun d'eux de réelle progression temporelle. le temps est circulaire. Les protagonistes agissent peu, et surtout racontent, se rappellent. C'est peut-etre l'expression du manque d'expectatives, ou ils ne differencient pas le passe du present, ou il n'y a aucune allusion au futur, parce qu'ils ne peuvent envisager un quelconque changement. Des somnambules dans le temps.

L'espace est lui aussi diffus, d'une description reiterative, malgre la profusion de noms de lieux, Zapotlan, Talpa, Luvina, Tonaya, et meme des designations populaires comme “la cuesta de las comadres”, la cote des commeres, malgre l'evocation de plantes caracteristiques de la region, quelite, amole, guaje, parce que peu importe ou se trouvent les protagonistes, tout se ressemble, tout est toujours pierre, poussiere, desolation. le cadre geographique naturel est toujours le symbole qui psalmodie la grisaille ou l'atrocite des destins humains qui s'y promenent.

J'ai lu ce livre en v. o. et je m'imagine le defi que cela a du etre pour tout traducteur. Il charrie des mots et des expressions qui n'ont cours qu'au Mexique, ou qui sait, peut-etre seulement dans la region de Jalisco. Quand ils parlent, les protagonistes ont des constructions de phrases etonnantes pour le moins, juteuses, representant surement le parler familier des campagnards de la region. Et dures. Des phrases dures comme des pierres. Mais des qu'il y a narration le style de Rulfo se veut moins sec, moins dur. Il reste quand meme cru, rigoureux, comme s'iI etait superflu d'ajouter des effets speciaux a ce qui est raconte; quand il y a un narrateur, son ton est monocorde, comme un murmure qui viendrait de loin, une poesie repetitive, recitative, comme un choeur de tragedie grecque, pour rehausser les dires des personnages, pour mieux retracer la cruaute de l'existence, une poesie qui fait fremir le lecteur. Un style et une poesie tres lointains du baroque populaire de Garcia Marquez ou du baroque cultive de Carpentier.
Je fais expres de rappeler ces deux auteurs, deux piliers du courant litteraire dont on fait de Rulfo un des peres, le realisme magique latino-americain. Un meme courant mais des styles differents. Et de toutes facons, je ne suis pas sur qu'il faille rattacher ce livre a ce courant. Ce sera plutot son deuxieme livre, Pedro Paramo, qui en sera un des premiers jets. Et si je laisse de cote tout catalogage de courant, les deux livres ont en commun l'essai d'elever en tragedie, en mythe presque, l'aspiration populaire a une repartition de terres, aspiration trahie qui provoque des soulevement populaires vaincus d'avance, soulevements sanglants trahis eux aussi en fin de compte. Une tragedie annoncee par le premier recit de ce recueil, “Nos han dado la tierra” (On nous a donne la terre), quand tout le monde sait que c'est une grande tromperie, et dont le denouement est la nouvelle eponyme, “El Llano en llamas”: “Desde aquí veíamos arder día y noche las cuadrillas y los ranchos y a veces algunos pueblos más grandes, como Tuzamilpa y Zapotitlán, que iluminaban la noche. [...] Era bonito ver aquello”. (D'ici nous voyions bruler jour et nuit les clos et les ranchs et des fois quelques villages plus grands, comme Tuzamilpa et Zapotitlan, qui illuminaient la nuit. [...] C'etait beau de voir cela).

C'est la tragedie d'une terre, d'un pays. Poignante et belle. D'autres nouvelles du recueil developperont des tragedies personnelles. Pas moins poignantes et pas moins belles. le tout donne un grand classique mexicain. Un grand classique tout court. A ouvrir avec un verre de mezcal a portee de main. le llano en flammes. A lire pour recracher son mezcal. le gosier en feu. L'estomac remue.
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Juan Rulfo, que j'ai découvert grâce à Babelio, est un météore des lettres mexicaines. Quelques nouvelles qui composent ce recueil, un court roman, tout ça en quelques années au milieu du vingtième siècle, et puis s'en va. Ou plutôt, s'en retourne à sa vie. Mais le peu qu'il a laissé suffit à lui assurer une belle postérité, y compris via Gabriel Garcia Marquez qui assurait que sa lecture avait relancé son inspiration au point d'écrire Cent ans de solitude.

Les dix-sept nouvelles sont des histoires d'hommes et de femmes réduits à l'os par la misère crasse qui sévit dans le Jalisco, une région rurale du centre-ouest du Mexique.
Sans être précisément datées, ces histoires se déroulent dans les années 1920, voire un peu plus tard. Sourde ou explicite, la violence est une constante. Elle ajoute sa brutalité aux dures conditions de vie pour ces paysans qui ont récemment bénéficié de la redistribution des terres dans des contrées très moyennement à pas du tout fertiles.

Tout cela est écrit avec une sécheresse qui fait écho à celle de ces régions désolées. La narration est parfois chorale, mêlant les pensées de quelques personnages, style que l'auteur développera ensuite dans son roman. Mais là, il n'y a guère plus de graisse dans son style que dans les métabolismes de ses personnages.

C'est bref, dur et admirable. Fortement recommandé.
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Je découvre l'oeuvre du Mexicain Juan Rulfo (1918-1986) avec ce recueil bilingue de trois nouvelles originales et marquantes. Elles sont issues du recueil du même nom (1953) qui en contient quatorze.

Juan Rulfo est originaire de l'État de Jalisco, l'un des plus déshérités du Mexique avec ses hauts plateaux arides et toujours prêts à s'enflammer. Dans son enfance la guerre civile ravage ce pays. Il faut fuir les bandes armées qui sèment la terreur. Son père, petit propriétaire terrien fait ce qu'il peut pour nourrir sa famille. Il est assassiné en 1923 pour une sombre affaire de pâturage refusé et d'orgueil blessé. Sa mère de santé délicate meurt en 1927. Dans les années qui suivent éclate la guerre des « Cristeros » qui s'opposent à la laïcisation et à la sécularisation forcée des biens du clergé. Rulfo est élevé par Tiburcia, sa très religieuse grand-mère paternelle qui cache alors un prêtre. Celui-ci possède une bibliothèque importante qu'il leur laisse avant de partir. Tiburcia l'envoie au séminaire puis à l'université à Guadalajara. Juan abandonne ses études de droit pour travailler comme archiviste puis vendeur de pneus à Mexico. Il lit beaucoup, fréquente les intellectuels de la capitale et écrit des nouvelles. le Llano en flammes paraît en 1953. Son succès est immense.

Les trois nouvelles se fondent sur sa région natale ainsi que sur les événements terribles et tragiques qui ont marqué son enfance. Elles sont dures, parfois insoutenables, cruelles et tragiques. Elles parlent du combat perpétuel contre les éléments naturels, de l'engrenage absurde du crime et de la vengeance, de solitude et de remords, de la faim et de la folie. La narration est originale et moderne (voix, points de vue, temporalité) L'écriture est sèche, épurée, minérale.

1.L'Homme.
Ce récit est le plus complexe des trois. Il est plein de changements de points de vue et de sauts dans le temps. Il faut une première lecture vigilante pour remettre les pièces du puzzle narratif en place. Je vous laisse ce plaisir. Il s'agit d'une course-poursuite absurde entre assassins. Chacun est victime et bourreau et le cycle vengeance-représailles semble interminable. Les images en gros plan de violence aussi. C'est sans compter sur l'intervention du système judiciaire. Il met fin au cycle des vengeances grâce à une autre violence.

2. Talpa.
C'est une histoire tragique beaucoup plus facile à comprendre que la précédente et donc à mon avis plus percutante. Natalia pleure dans les bras de sa mère. Elle a retenu longtemps ces larmes, le temps du voyage à Zenzontla où ils ont dû enterrer Tanilo dans une fosse sans personne pour les aider.
Le lecteur aura des informations au compte gouttes sur ce trio composé du narrateur, de Natalia et de son époux Tanilo. le récit, magnifique, est très sensoriel. Les personnages font corps avec les pierres rondes, chaudes et dures de la montagne aride.

3. Macario.
Macario est un petit garçon qui vit avec sa marraine et Felipa, depuis la mort de ses parents. Il a toujours faim et il est rongé par la culpabilité et le péché car il a très peur de l'enfer. On comprend assez vite qu'il a un retard mental, qu'il ne peut jouer avec les autres et qu'il est violent. Dans un monologue intérieur, Macario (le bienheureux en grec) ratiocine sa propre vie en attendant que des grenouilles et des crapauds n'apparaissent. Il les écrasera ce qui les empêchera de croasser et ainsi sa marraine pourra dormir paisiblement. Formellement très original, ce récit est fort comme un coup de poing.

Il n'y a guère de réconfort et apparemment point de salut dans l'univers de Juan Rulfo.
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Quel recueil de nouvelles merveilleux ! Cela fait plus de dix ans que j'ai envie de lire ce livre, dont j'avais entendu parler lors de ma première visite au Mexique. Je ne sais pourquoi je ne l'ai pas lu avant, mais je ne regrette pas d'avoir attendu de mieux connaître ce pays avant de me plonger dans ces dix-sept nouvelles, car j'ai alors pu les savourer, et y retrouver toute la mélodie âpre des grandes étendues désertiques de ce pays mystérieux. Ces zones moins connues bien qu'elles représentent la plus grande part du territoire, occultées derrière les images plus habituelles des civilisations des zones plus tropicales.
Chaque nouvelle est un mélange à des degrés divers de fatalité, de douceur, d'inexorable, de dureté et de poésie. Ma note de lecture ne saurait rendre compte de la beauté de ces textes qui sont, sans emphase, comme des diamants dans leur gangue.
Pour ceux qui lisent l'espagnol, le texte est encore plus beau dans la langue originale, il a toutes les saveurs du parler local, avec des « mexicanismes » qui n'ont pu être retranscrits dans la traduction française, que je trouve moins fluide que l'original et ne retranscrivant pas toute la poésie simple de la langue de Juan Rulfo.
Malgré le tout petit nombre de textes de Juan Rulfo, il est considéré comme un grand nom de la littérature mexicaine. Je ne découvre avec ce recueil, qui est aussi sa première publication, et je suis moi aussi sous le charme. C'était un autre temps, celui du brigandage et des révolutions, de la vie dure et sans autre loi que celle du plus fort et du plus ambitieux, mais si les histoires sont celles d'un hier qui a connu bien des mutations, c'est toujours une image de ce qu'était le Mexique, et de ce qu'il est.
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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
San Gabriel émerge de la brume mouillée de rosée. Les nuages de la nuit ont dormi au-dessus du village, cherchant la chaleur des habitants. Maintenant le soleil va paraître et la brume se lève doucement, enroule son drap, laisse des effilochages blanches sur les toits. Une vapeur grise à peine perceptible, attirée par les nuages, monte des arbres et de la terre mouillée ; mais elle s'évanouit aussitôt. Et à sa suite apparait la fumée noire des cuisines, à l'odeur de chêne brulé, qui couvre le ciel de cendres.
Là-bas, au loin, les sommets sont encore dans l'ombre.
Une hirondelle a traversé les rues et ensuite a retenti le premier tintement de cloche de l'angélus du matin.
Les lumières se sont éteintes. Alors une tache couleur de terre a couvert le village qui a ronflé encore un peu, endormi dans la chaleur du matin.
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On ne dit pas ce qu'on pense. Ça fait longtemps qu'elle nous a quittés, l'envie de parler. Elle nous a quittés avec la chaleur. On parlerait bien volontiers, ailleurs, mais ici, c'est trop fatiguant. Ici, on parle et avec cette chaleur qu'il fait dehors, les mots grillent dans la bouche, ils se racornissent, là, sur la langue, et finissent par vous étouffer.
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Après tant d'heures passées à marcher sans même rencontrer l'ombre d'un arbre, ni une pousse d'arbre ni une racine de quoi que ce soit, on entend l'aboiement des chiens.
C'est que parfois, au milieu de ce chemin qui n'en finit pas, on a eu l'impression qu'il y aurait rien ; qu'on ne trouverait rien de l'autre côté, au bout de cette plaine sillonnée de crevasses et de ruisseaux à sec. On entend les chiens aboyer, on sent dans l'air l'odeur de la fumée et on la savoure, cette odeur des gens, comme une espérance.
(incipit)
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On sentait les balles nous fouetter les talons comme si on posait le pied sur un nuage de sauterelles. Et quelque fois, les tirs, de plus en plus nourris, frappaient de plein fouet l'un de nous, qui tombait avec un craquement d'os.
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Les grillons, je ne les tue pas, jamais. Felipa dit que si les grillons font toujours du bruit, sans s'arrêter, même pas pour respirer, c'est pour qu'on entende pas les cris des âmes qui souffrent au purgatoire. Le jour où il y aura plus de grillons, le monde se remplira des cris des âmes saintes et on partira tous en courant, épouvantés. Et puis, moi j'aime rester comme ça, l'oreille tendue pour écouter le bruit des grillons.
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Connaissez-vous ce roman fabuleux, dans tous les sens du terme, qui a ouvert la voie de ce qu'on appelle le réalisme magique ? Par un écrivain mexicain devenu culte…
« Pedro Paramo » de Juan Rulfo, c'est à lire en poche chez Folio.
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