Car, quand de vous loin je me trouve,
Bel œil, il est force qu’il pleuve
Des miens une obscure nuée,
Qui jamais n’est diminuée,
Ni ne s’éclaircit ou découvre,
Jusqu’à tant que je vous recouvre ;
Et puis nommer avec raison
Mon triste hiver cette saison.
D’UN PRÉSENT DE ROSES
Ces roses-ci par grande nouveauté
Je vous envoie et en ai bien raison ;
La rose est fleur qui sans comparaison
Sur toutes fleurs a la principauté.
Sur toutes est ainsi votre beauté,
Et comme, en France, à l’arrière-saison
La rose est rose et n’en est pas foison,
Rare est aussi ma grande loyauté.
Doncques vous doit la rose appartenir,
Et le présent et sa signifiance
Mieux que de moi ne vous pouvait venir ;
Car comme au froid elle a fait résistance,
J’ai contre envie aussi su maintenir
Mon bon vouloir, ma foi et ma constance.
Quand le Printemps…
Quand le Printemps commence à revenir,
Retournant l’an en sa première enfance,
Un doux penser entre en mon souvenir
Du temps heureux que ma jeune ignorance
Cueillit les fleurs de sa verte espérance.
Puis, quand le ciel ramène les longs jours
Du chaud Été, j’aperçois que toujours
Avec le temps s’allume le désir
Qui seulement ne me donne loisir
D’aviser l’ombre et mes passés séjours.
Puis, quand Automne apporte le plaisir
Des ses doux fruits, hélas, c’est la saison
Où de pleurer j’ai le plus de raison,
Car mes labeurs ne l’ont jamais connue :
Mais seulement, en ma triste prison,
L’Hiver extrême ou l’ Été continue.
Un charlatan disait en plein marché
Qu'il montrerait le diable à tout le monde ;
Si n'y eût nul, tant fût-il empêché,
Qui ne courût pour voir l'esprit immonde.
Lors une bourse assez large et profonde
Il leur déploie, et leur dit : " Gens de bien,
Ouvrez vos yeux ! Voyez ! Y a-t-il rien ?
- Non, dit quelqu'un des plus près regardants.
- Et c'est, dit-il, le diable, oyez-vous bien ?
Ouvrir sa bourse et ne voir rien dedans. "
Ainsy, Ronsard, ta trompe clair sonnante
Les forestz mesme et les mons espouvente
Et ta guiterne esjouit les vergiers.
Quand il te plaist tu esclaires et tonnes,
Quand il te plaist doulcement tu resonnes,
Superbe au Ciel, humble entre les bergiers.
Mellin de SAINT-GELAIS - Un ennemi de la Pléiade ? (CHAÎNE NATIONALE, 1953)