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Critique de NMTB


L'année 1709 m'apparait d'ores et déjà comme capitale pour Saint-Simon, une année charnière qui aurait pu être fatale à sa carrière. La France était tout simplement au bord du gouffre, l'hiver avait été extrêmement rude, les récoltes étaient médiocres, les finances à plat, le peuple affamé, les courtisans pitoyablement obligés de vendre leur argenterie pour renflouer les caisses et l'ennemi avait commencé à s'introduire sur le territoire. Dans ce contexte on peut comprendre que la tension était à son comble. Alors, essayons de démêler l'imbroglio politique à la cour de Versailles en ces années 1708/1710 d'après le récit très impliqué de Saint-Simon, car il semblerait qu'un petit tournant se soit effectué qui expliquerait ses prises de position jusqu'ici.
Après la campagne de Flandre de 1708 et plus précisément la bataille d'Audenarde (encore un revers pour l'armée française dans la guerre de succession d'Espagne), deux chefs se renvoyaient la responsabilité de cette défaite : le duc de Vendôme qui passait alors pour un grand héros et le jeune duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, qui avait encore toutes ses preuves à faire. D'après Saint-Simon c'est le duc de Vendôme qui en mobilisant ses relations à la cour a attaqué en insinuant progressivement que le duc de Bourgogne avait fait preuve de lâcheté.
Finalement, le roi trancha en faveur du duc de Bourgogne et disgracia le duc de Vendôme, en l'écartant de toute fonction militaire et limitant sa présence à la cour (plus tard Chamillart, alors qu'il n'était déjà plus ministre des finances mais seulement de la guerre, fut également disgracié en partie à cause de cette campagne de Flandre et de ses suites), mais sans que l'antagonisme disparût, au contraire les dissensions augmentaient et Saint-Simon évoquait trois « cabales » différentes en 1709 : la cabale des seigneurs (dirigée par Mme de Maintenon), celle des ministres (Beauvilliers, Chevreuse, favorable au duc de Bourgogne), et celle de Meudon (M. le Duc et Mme la Duchesse autour de Monseigneur). Sans même parler de la cabale de Meudon, qui contenait l'essentiel de ses ennemis et dans laquelle il ne voyait qu'un ramassis de bâtards légitimés et de débauchés, Saint-Simon se considérait comme un intermédiaire entre la « cabale des seigneurs » et la « cabale des ministres » (mais tout de même plus proche des ministres), en ceci on peut voir ses idées politiques. Lui, qui par ailleurs avait des idées qu'on qualifierait aujourd'hui de libérales en matière d'économie, était favorable à un gouvernement aristocratique de puissants seigneurs, ce qu'avait toujours évité Louis XIV.
Pour revenir à la guerre de succession d'Espagne et aux conséquences désastreuses de la bataille d'Audenarde. Toujours en 1709, étant donné la situation catastrophique dans le Nord de la France, le roi commençait à rappeler les troupes d'Espagne dirigées par le duc d'Orléans. Ce même duc, en conflit avec Mme des Ursins (toujours très influente à la cour d'Espagne), voyant le trône de Philippe V vaciller, envisageait de prendre sa place, au cas où il serait destitué ; il s'informait, prenait des contacts sans en avertir Louis XIV. Des rumeurs de complot commençaient à circuler et le duc d'Orléans était au bord du procès.
Quant à Saint-Simon, toujours un peu bravache, n'oubliant jamais de se mettre en scène comme le sage conseillé de quelques-uns de ces hauts personnages, intrigant comme ce n'est pas permis, il se retrouvait impliqué dans toutes ces histoires, par de fausses rumeurs lors de l'affaire qui avait opposé le duc de Vendôme au duc de Bourgogne, par son amitié affichée pour Chamillart et le duc d'Orléans. Haït par Mme de Maintenon, sa « plus constante et plus dangereuse ennemie » disait-il, n'attirant plus que la méfiance du roi, sa côte était au plus bas et il envisageait de tout lâcher et de quitter la cour.
Suite aux protestations de Mme de Saint-Simon, il rattrapa malgré tout sa situation dès les premiers jours de 1710 en incitant le duc d'Orléans à rompre avec sa maîtresse Mme d'Argenton, chose que souhaitaient le roi et Mme de Maintenon. Cette intrigue qui n'a l'air de rien est un feuilleton assez curieux à lire, impossible à expliquer en quelques mots. Il suffit de dire que cette intervention de Saint-Simon a eue une réelle importance dans son parcours, comme s'il avait joué là son va-tout.
Je l'ai senti gêné, content de son astuce et en même temps trop honteux de ce bas stratagème de courtisan pour l'avouer franchement, cherchant surtout à se justifier. Ses conversations détaillées avec le duc d'Orléans, où il essayait de le convaincre par de multiples raisons d'abandonner sa maîtresse, sont pleines de demi-vérités. Car ce qu'il a vraiment fait – tout en prétendant agir par pure vertu, pour ramener dans le droit chemin le duc d'Orléans et sauvegarder sa réputation – c'est sauver sa propre situation compromise, en poussant à sacrifier cette Mme d'Argenton, pour se rendre agréable au roi. Il y a une temporalité qui ne laisse aucun doute : aussitôt après la rupture du duc d'Orléans avec sa maîtresse (tout ça se passe très vite, lors des quatre premiers jours de 1710), le roi accordait une audience à Saint-Simon et l'assurait de ses bons sentiments.
L'autre effet de cette rupture fut de l'avoir lié avec la duchesse d'Orléans et ainsi de devenir un confident privilégié du couple réconcilié. Et en cette année 1710, où tout le monde avait conscience que le règne de Louis XIV touchait à sa fin, ses enfants nés illégitimes, dont faisait partie la duchesse d'Orléans, se livraient à une véritable concurrence pour obtenir les dernières faveurs du roi, pour consolider leurs rangs et se mettre à l'abri avant le règne de Monseigneur. Saint-Simon joua encore un rôle dans ces intrigues, activant ses contacts pour favoriser le mariage de la fille de M. et Mme d'Orléans et du fils cadet de Monseigneur, le duc de Berry, ce qui permit à sa femme de devenir dame d'honneur de la nouvelle duchesse de Berry, et ainsi au couple de Saint-Simon de retrouver un logement à Versailles, ce qu'ils avaient perdu depuis cette funeste année 1709.

Sinon, il y a deux passages instructifs dans ce tome : sur les différentes dénominations de la famille royale (Monsieur le Prince, Monsieur le Duc, Monseigneur, etc.) et sur l'histoire de Port-Royal et du jansénisme. Saint-Simon y a également reproduit un mémoire sur le duc de Bourgogne rédigé à l'époque qui vaut le coup d'être lu, parce que l'on peut y constater que beaucoup de ses idées, de sa morale particulière, étaient déjà en place en 1710.
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