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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série indépendante de tout autre. Il comprend les histoires parues dans les anthologies Albedo 2 à 4, Critters 1, 3, 6, 7, 10, 11 et 14, Doomsday Squad, et Usagi Yojimbo Summer Special, entre 1984 et 1987. Ils ont tous été écrits, dessinés et encrés par Stan Sakai, le créateur du personnage et de la série. Ces histoires sont en noir & blanc. Ce tome contient 10 histoires courtes d'une longueur variant d'une dizaine à une vingtaine de pages.

(1) Miyamoto Usagi fait sa première apparition alors qu'il progresse dans la neige, en se dirigeant vers une modeste maison en bois où il demande à s'abriter pour la nuit. Avec sa propriétaire (une grand-mère), il évoque une bataille contre le seigneur Hijiki, à Adachigahara. (2) Tomoe Ame sert de garde du corps au jeune seigneur Noriyuki, encore un enfant. Ils s'abritent dans une modeste chaumière où se trouve Miyamoto Usagi. Après un bref moment d'incompréhension, il les aide à repousser une bande de malfrats, travaillant pour le seigneur Hikiji. (3) Alors que Miyamoto Usagi s'éloigne du palais du Daimyo, un autre voyageur s'écroule à ses pieds, mourant de blessures de flèche. Des ninjas sont sur ses talons. (4) Miyamoto Usagi accepte d'aider Murakami Gennosuke à délivrer un prêtre retenu en otage dans un temple, avec la promesse d'un partagé équitable de la récompense. (5) Miyamoto Usagi intervient pour venir en aide à des cavaliers en train de se faire détrousser. Il ne peut que récupérer l'un de leurs chevaux, car ils ont tous succombé à leur blessure. Il est très mal accueilli dans la ville où il parvient ensuite.

(6) Les pérégrinations de Miyamoto Musashi l'amènent dans un petit village dont les habitants semblent angoissés. Il accepte l'hospitalité d'une femme, avec une blessure à la main droite. (7) Miyamoto Musashi est en train de manger tranquillement dans une petite auberge. Une bande de bruyants rufians arrive pour dépenser son argent en boisson, cherchant querelle avec tout le monde. (8) Miyamoto Usagi arrive dans un village où les hommes ont eu maille à partir avec Ino, un bretteur redoutable qu'ils accusent de les avoir agressés sans raison. Plus loin sur le chemin, Miyamoto fait la connaissance d'un voyageur aveugle. (9) Miyamoto Usagi revient dans son village natal, où il retrouve Mariko, sa copine d'enfance, dont le mari Kenichi est devenu le maire. Il fait également connaissance avec leur fils Jotaro. (10) Miyamoto Usagi recroise Murakami Gennosuke dans une taverne. Ce dernier lui propose de l'aider à récupérer une statuette volée de la déesse Kwannon, et de partager la récompense, équitablement, bien sûr.

Personne ne pouvait prédire un tel avenir à Miyamoto Usagi lors de sa première apparition en 1984, dans une anthologie en noir & blanc des plus confidentielles. Pourtant, en 2017, Stan Sakai continue d'écrire et de dessiner ses aventures, avec un succès international qui ne se dément pas. Ce personnage a même eu les honneurs d'apparaître dans l'une des séries de dessins animés des Tortues Ninjas. À ses débuts, Stan Sakai est surtout connu des lecteurs de comics pour être le lettreur de la série Groo de Sergio Aragonés, bien aidé par Mark Evanier. Soit le lecteur est déjà familier des histoires d'Usagi Yojimbo au travers de tomes ultérieurs et il a souhaité en découvrir l'origine ; soit c'est son premier contact avec ce lapin samouraï anthropomorphe. Dans les 2 cas, il découvre un univers singulier dont les principales caractéristiques sont déjà bien en place.

Stan Sakai a pris le parti de raconter des histoires dans un Japon féodal, au début de la période d'Edo ce qui correspond au début du dix-septième siècle. Tous les personnages sont des animaux anthropomorphes, à commencer par Usagi (lapin), mais aussi Noriyuki (panda), Tomoe Ame (chat), Gennosuke (rhinocéros), et même les clans de ninjas (taupes pour le clan Mogura). le lecteur peut estimer que ce choix s'est imposé à l'artiste du fait de ses limites techniques en termes de dessin. Les personnages n'ont que 4 doigts à chaque main, et les expressions des visages manquent de nuance. Les blessures ne sont jamais représentées explicitement, les jets de sang sont plus exagérés que réalistes, et certains personnages exhalent leur dernier soupir, sous la forme d'un crâne dans un phylactère pour que le lecteur comprenne bien qu'ils rendent l'âme. le lecteur peut aussi y voir une volonté de réaliser des récits tout public, malgré la violence sanglante inhérente aux combats de sabre.

En fonction des pages, Stan Sakai hésite encore entre des représentations détaillées des décors, et des représentations plus simplifiées. Par exemple certaines maisons sont représentées avec une attention aux tuiles, au chaume, aux planches, aux fenêtres, bénéficiant de petits traits pour figurer la texture des matériaux. Pour d'autres, les formes sont simplement détourées d'un trait d'une épaisseur constante, sans prêter attention aux matériaux. Dans tous les cas, l'apparence des bâtiments atteste d'une compréhension basique et solide des techniques de construction. de même dans certaines séquences, il est possible de reconnaître l'essence des arbres ; dans d'autres ils ne sont que de vagues silhouettes. Au fil des pages, l'oeil du lecteur voit défiler de nombreux vêtements aux coupes conformes à celles de l'époque et à la condition sociale des personnages. Il remarque que l'artiste prend le temps de concevoir des motifs imprimés différents pour chaque étoffe, avec des textures parfois un peu différentes.

Miyamoto Usagi est un voyageur solitaire, la plupart du temps, qui chemine à pied. le lecteur est invité à le suivre chemin faisant, et il se rend compte qu'il éprouve l'impression de se retrouver à une époque où l'être humain n'avait pas colonisé toute la place possible, à laquelle les villes restaient d'importance réduite, et plusieurs jours de marche les séparaient, où les déplacements s'effectuaient sur des chemins en terre, et les bois étaient toujours à portée de vue. Il faut accepter de consentir une petite suspension d'incrédulité pour penser que des voyageurs puissent ainsi se retrouver par hasard d'une ville à l'autre, ou que Miyamoto Usagi se retrouve toujours à un endroit où il doit se servir de ses talents de bretteur. Pour le reste, une majeure partie du monde reste à découvrir, et il est tout naturel que des créatures diverses et variées puissent vivre cachées dans la nature. Même si chaque épisode repose sur une confrontation ou une autre, le lecteur éprouve une impression paisible à revenir à une époque moins agitée, moins attachée au culte de la performance. Pour autant, Stan Sakai n'en fait pas une époque idyllique. le premier individu venu avec un sabre à la main peut faire régner sa volonté par la force et chaque individu risque de passer de vie à trépas pour une vétille.

Le lecteur s'immerge donc dans un monde bien pensé, transcrivant plusieurs particularités de l'époque concernée. Stan Sakai ne fait pas oeuvre de reconstitution historique, dans le sens où les grands événements de l'Histoire ne sont pas évoqués, et n'ont pas d'incidence directe sur la vie des personnages. Il s'agit d'un récit d'aventure dans lequel un rônin règle des situations conflictuelles ou des répare des injustices en neutralisant le méchant. Mais Stan Sakai raconte des histoires dans lesquelles les adultes peuvent également trouver leur compte. Il y trouve quelques aspects culturels du Japon médiéval, ainsi que des mythes issus de contes et légendes folkloriques, et des coutumes de l'époque. L'auteur y ajoute une couche de fantastique et de licence artistique quand il veut rendre son intrigue plus colorée (par exemple les capacités extraordinaires des ninjas, ou les apparitions de créatures surnaturelles). le lecteur apprécie également le choix de l'anthropomorphisme, une tradition narrative plus américaine qu'européenne et donc une forme d'exotisme supplémentaire.

Ce tome marque la première apparition de plusieurs personnages récurrents de la série comme Tomoe Ame, Jotaro, ou l'inénarrable Murakami Gennosuke. le nouveau lecteur n'a pas de possibilité de savoir qu'il s'agit de personnages dont Miyamoto Usagi recroisera le chemin. le lecteur déjà familier de ce personnage se rend compte que les bases des relations d'Usagi avec eux sont déjà bien présentes, y compris une révélation à venir concernant Jotaro. Il a même le plaisir de reconnaître Groo avec ses katanas (en page 13 de la deuxième histoire), dévisageant Usagi, de manière peu amène. Les histoires alternent entre des manifestations surnaturelles, la défense de la veuve et de l'orphelin et des intrigues politiques dans lesquelles Usagi se retrouve pris à son corps défendant. le lecteur adulte observe une forme de manichéisme des bons contre les méchants, mais aussi des enjeux qui dépassent le simple affrontement physique, ce qui maintient son intérêt.

Ce premier tome constitue une découverte et une lecture agréable. Stan Sakai n'a pas encore raffiné et épuré son trait comme il le fera au long des années à venir. Les bases et la dynamique de la série sont déjà entièrement présentes, ainsi qu'une partie des relations avec les personnages récurrents. le jeune lecteur découvre un personnage un peu austère, défendant la veuve et l'orphelin et n'hésitant pas à utiliser son sabre, mais avec une forme de violence édulcorée. le lecteur adulte prend plaisir à se plonger dans ces histoires courtes, à évoluer dans un Japon encore loin d'être industrialisé, avec une reconstitution historique discrète, mais de caractère.
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