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Critique de sandrine57


Man'yô n'a que trois ans lorsque ‘'ceux de la montagne'' l'oublient ou l'abandonnent, un jour de 1943, dans la petite ville de Benimidori. Recueillie par un jeune couple, la fillette se distingue par sa peau mate, son incapacité à apprendre à lire et ses dons de voyance. Pauvre mais heureuse dans sa famille d'adoption, elle n'imagine pas un instant que Tatsu, la grande dame d'en haut, l'a choisie pour devenir l'épouse de son fils ainé. Et pourtant, contre toute attente, le mariage est célébré et Man'yô intègre la puissante famille Akakuchiba, les rois de la ville, à la tête des aciéries du même nom. Ils sont ‘'les rouges'' opposés aux Kurobishi, ‘'les noirs'' des chantiers navals.
Entre le riche héritier et l'étrange bru, l'union est harmonieuse. Il n'est certes pas l'homme qu'elle rêvait d'épouser enfant, celui qui lui était apparu borgne et volant alors qu'elle n'avait que dix ans, mais elle apprécie son nouveau mari. le couple aura trois enfants : le très sérieux Namida, appelé à diriger un jour les aciéries, la rebelle Kemari qui prendra la tête d'un gang de motardes et la petite dernière, Kaban, qui se rêvait star de la danse.
Et pendant que la famille Akakuchiba s'agrandit, pleure ses morts et règne sur Benimidori, la société japonaise évolue et les aciéries avec elle.
C'est Tôko, fille de Kemari et petite-fille de Man'yô qui entreprend de raconter l'histoire de sa famille et de la ville, et la sienne aussi.

Un roman très riche qui couvre une période allant de 1953 à 2000 et, outre une saga familiale, est aussi un fabuleux portrait sociologique de la société japonaise. de l'industrialisation à marche forcée d'après-guerre au désenchantement des nouvelles générations, c'est tout un pays que l'on voit courir après le progrès, au détriment de la planète. Tout un pays qui voit dans les usines la chance de sortir de la misère d'après la défaite. le travail paie. Les ouvriers quittent leurs masures pour des appartements plus fonctionnels, les patrons s'enrichissent. La désillusion viendra avec la modernisation des chaînes de production. Les fils d'ouvriers quittent les campagnes pour Tokyo et ses bureaux climatisés. Ceux qui restent ne veulent pas s'user la santé dans les aciéries. La jeunesse se révolte, se marginalise. Les bandes de voyous pullulent avec pour seul but que de crier leur mal-être à la face du monde. Les filles découvrent que leur corps est un moyen de gagner de l'argent. Quand ces jeunes rebelles rentrent dans le rang, leurs enfants peinent à prendre la relève. Libres de leurs choix, nés dans une société qui ne risque plus rien, ils ont du mal à trouver une cause à défendre, un but à poursuivre.
Entre croissance, bulle économique, choc pétrolier et spécificités de la mentalité japonaise, Kazuki Sakuraba nous promène dans un pays qui s'est jeté avec frénésie dans une course au progrès, abandonnant certaines de ses valeurs pour en créer d'autres, tout en conservant un fond de traditions bien ancrées dans les esprits.
Ces trois générations de femmes attachantes, adaptées chacune aux problèmes de leur époque, sont sublimées par l'écriture de l'autrice qui nous promène entre onirisme et réalité brute, prouvant que le réalisme magique n'est pas l'apanage des auteurs d'Amérique latine. A découvrir absolument.
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