Entretiens avec Olivier Messiaen

—— Avez-vous déjà composé une œuvre en puisant votre inspiration dans la contemplation des couleurs d’une toile ?

— Non, jamais. Je vous répète que certaines sonorités sont liées pour moi à certains complexes de couleurs et je les utilise comme des couleurs, en les juxtaposant et en les mettant en valeur les unes par les autres, comme un peintre souligne une couleur par sa complémentaire.

— N'avez-vous pas eu envie de faire de la peinture ?

— J'ai réalisé des décors de théâtre dans mon enfance, lorsque je lisais Shakespeare, d’une façon qui rejoint mon amour des vitraux. En effet, j’utilisais comme fond de scène des cellophanes que je trouvais dans des boîtes de bonbons ou dans des sacs de pâtisserie et je peignais ces cellophanes avec de l'encre de Chine ou tout simplement avec de la peinture à l’eau: puis je plaçais mes décors devant une vitre et le soleil passant à travers les cellophanes colorées faisait des projections lumineuses et colorées sur le plancher de mon petit théâtre ainsi que sur les personnages. Je parvenais donc à transformer mon décor, exactement comme un ouvrier électricien manie une rampe dans un théâtre.

— Pour vous, musicien, la présence de la couleur dans la nature est donc aussi essentielle que celle du son ?

— L'un et l’autre sont liés. Sans être atteint de synopsie (comme le fut mon ami le peintre Blanc-Gatti, qui avait un dérèglement des nerfs optique et auditif, ce qui lui permettait de voir vraiment des couleurs et des formes quand il entendait de la musique), lorsque j'entends, ou lorsque je lis une partition en l’entendant intérieurement, je vois spirituellement des couleurs correspondantes qui tournent, bougent, se mélangent, comme les sons tournent, bougent, se mélangent, et en même temps qu'eux.

La Nature, trésor inépuisable des couleurs et des sons, des formes et des rythmes, modèle inégalé de développement total et de variation perpétuelle, la Nature est la suprême ressource !