J'ai une autre passion pour le quart d'heure, c'est d'apprendre le latin et je ne me le fourre dans la tête qu'en apprenant des vers par cœur. Je divertis Maurice en lui cornant aux oreilles, tu patulae recumbans etc. Le Pôtu, qui est mon magister, est furieux de la rapidité avec laquelle je le pousse. Entre nous soit dit, c'est une langue qui n'a pas le sens commun, une langue illogique, une langue de rhéteurs et qui n'apprend rien aux malheureux enfants condamnés à ne pas même l'apprendre pendant 8 ou 10 ans. Je prétends bien en trois mois, en savoir autant que ceux qui ont fait leurs classes d'une manière ordinaire, vu que c'est une langue que personne ne sait jamais, puisqu'elle embrasse tant de siècles et se modifie pendant toute l'histoire de l'humanité. Le jeu n'en vaudrait pas la chandelle s'il ne s'agissait pour moi que de connaître les coquetteries ou la pompe des poètes. Mais j'ai été gênée toute ma vie pour lire des ouvrages du Moyen Âge ou de la Renaissance qui ne sont pas traduits ou qui le sont fort mal, et je veux me débarrasser de cet obstacle. En résumé, c'est toujours amusant d'apprendre quelque chose. Cela rafraîchit le vieux cerveau.
(Lettre à Pierre-Jules Hetzel, fin décembre 1848)
Je concentre mon exitence aux objets de mes affections. Je m'en entoure comme d'un bataillon sacré qui fait peur aux idées noires et décourageantes. Absents comme présents, mes amis remplissent mon âme tout entière, leur souvenir y ramène la joie, en efface la pointe acérée des douleurs souvent cuisantes, souvent répétées, mais le lendemain amène un rayon de soleil et d'espérance et je me moque des larmes de la veille.
Mais vois-tu, les gens qui ont une opinion politique sont les moins à plaindre. Ils s'indignent contre le parti dont ils ne sont pas. Moi, je m'indigne contre tous les hommes. Ils ont un espoir, un devoir, un voeu dans le conflit, moi je n'ai que la douleur. Chaque balle qui siffle à leurs oreilles leur enlève peut-être un ennemi et pour ces gens-là un ennemi n'est pas un homme. Pour toi et pour moi, un soldat, un étudiant, un ouvrier, un garde national, un gendarme même représentent quelque chose qui vit, qui doit vivre, qui a des sympathies ou des besoins en commun avec nous. Pour les hommes de parti il n'y a que des assassins et des victimes. Ils ne comprennent pas qu'eux tous sont victimes et assasins tour à tour.
La bourgeoisie l’emporte, direz-vous, et il est tout simple que l’égoïsme soit à l’ordre du jour. Mais pourquoi la bourgeoisie l’emporte-t-elle, quand le peuple est souverain, et que le principe de sa souveraineté, le suffrage universel est encore debout ? Il faut enfin ouvrir les yeux, et cette vision de la réalité est horrible. La majorité du peuple français est aveugle, crédule, ignorante, ingrate, méchante et bête ; elle est bourgeoise enfin ! Il y a une minorité sublime… (lettre à Mazzini en date du 18 août 1849)
Mais je ne réussirais pas à te changer, je ne réussirais même pas à te faire comprendre comment j’envisage et saisis le bonheur, c’est-à-dire l’acceptation de la vie, quelle qu’elle soit ! Il y a une personne qui pourrait te modifier et te sauver, c’est le père Hugo, car il a un côté par lequel il est grand philosophe, tout en étant le grand artiste qu’il te faut et que je ne suis pas. Il faut le voir souvent. Je crois qu’il te calmera : moi, je n’ai plus assez d’orage en moi pour que tu me comprennes. Lui je crois qu’il a gardé son foudre et qu’il a tout de même acquis la douceur et la mansuétude de la vieillesse.
lettre à Flaubert
Des lettres inédites de la célèbre écrivaine, révélant des échanges inconnus avec de grandes personnalités du XIXe siècle. Un livre exceptionnel !
Lettres réunies et présentées par Thierry Bodin.
Ces 406 nouvelles lettres retrouvées couvrent presque toute la vie de
George Sand, depuis ses quinze ans jusqu'à ses derniers jours. La plupart,
du court billet à la longue missive, sont entièrement inédites et viennent
s'ajouter au corpus de sa volumineuse correspondance. D'autres, dont on
ne connaissait que des extraits, sont ici publiées intégralement pour la
première fois.
Plus de 260 correspondants — dont une cinquantaine de nouveaux — sont
représentés, des moins connus aux plus illustres, comme Barbey d'Aurevilly,
Hector Berlioz, Henri Heine, Nadar, Armand Barbès, Eugène Sue, Victor
Hugo, Louis Blanc, Eugène Fromentin, Jules Favre, Pauline Viardot, la
Taglioni, ainsi que les plus divers : parents, familiers, éditeurs, journalistes
et patrons de presse, acteurs et directeurs de théâtre, écrivains, artistes,
hommes politiques, domestiques, fonctionnaires, commerçants, hommes
d'affaires...
On retrouve dans ces pages toute l'humanité et l'insatiable curiosité de
l'écrivain, que l'on suit jusqu'à ses toutes dernières lettres, en mai 1876,
quelques jours avant sa mort.
Les auteurs :
George Sand (1804-1876) est une romancière, dramaturge et critique littéraire française. Auteure de plus de 70 romans, on lui doit également quelque 25 000 lettres échangées avec toutes les célébrités artistiques de son temps.
Thierry Bodin est libraire-expert en lettres et manuscrits autographes. Ses
travaux sont consacrés au romantisme français, en particulier Honoré de Balzac, Alfred de Vigny et George Sand.
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