DE PHILIPPE À PIERRE Volvic, 20 mai.
Tu diras ce que tu voudras, mon ami Pierre, tu es amoureux de mademoiselle Vallier, et le roman que tu regrettes de ne pouvoir entamer est en pleine voie d’exécution. Eh bien, tant mieux ! pourquoi t’en défendre ? Du moment que tu peux estimer et respecter cette digne personne, du moment qu’elle mérite d’occuper ainsi ton cœur et ton esprit, tout ce que tu vas entreprendre d’héroïque pour elle sera du travail intellectuel, de la dépense morale, du temps et de la volonté bien placés et bien employés. Je compte beaucoup sur cette passion, car c’en sera une, pour échauffer ton âme et la ramener à des habitudes moins sceptiques ; mais dépêche-toi de rajeunir et d’aimer ; car, moi qui n’ai pas vieilli encore et qui suis tout croyant, si je vais te voir et que tu te drapes encore dans le manteau de l’indifférence, je te déclare que je prends feu, que je guéris la négresse, que j’emmène ces deux pauvres enfants dans ma montagne, et que je mets aux pieds d’Aldine mes trente ans, mon cœur ingénu, mes bras solides, mon humble science, mon honorable état et les quatre mille francs que, l’une dans l’autre et Dieu aidant, je gagne à présent chaque année. Ce n’est pas brillant ; mais ma clientèle augmente toujours, et ma robuste santé peut accepter encore plus de travail et de fatigue que je n’en ai. Et puis… et puis ! l’inconnu ne me fait pas peur. Tu as la prévoyance du riche, toi, de l’homme qui n’a manqué de rien et qui, n’ayant plus rien, veut se relever et ne pas risquer un nouveau désastre. Le pauvre a un autre genre de prévision : il sait que, parti de rien, il est devenu quelque chose en risquant tout, et, pour conquérir le bonheur, auquel il est payé pour croire, il est prêt à traverser encore de rudes épreuves. Il compte sur cette Providence qu’on vous a appris à méconnaître en vous montrant des portefeuilles garnis d’inscriptions de rentes et en vous disant : « La Providence, elle est là ! » Eh bien, non, elle n’y est pas ! L’argent se perd ou s’épuise, l’espoir et la volonté se renouvellent.
Des lettres inédites de la célèbre écrivaine, révélant des échanges inconnus avec de grandes personnalités du XIXe siècle. Un livre exceptionnel !
Lettres réunies et présentées par Thierry Bodin.
Ces 406 nouvelles lettres retrouvées couvrent presque toute la vie de
George Sand, depuis ses quinze ans jusqu'à ses derniers jours. La plupart,
du court billet à la longue missive, sont entièrement inédites et viennent
s'ajouter au corpus de sa volumineuse correspondance. D'autres, dont on
ne connaissait que des extraits, sont ici publiées intégralement pour la
première fois.
Plus de 260 correspondants — dont une cinquantaine de nouveaux — sont
représentés, des moins connus aux plus illustres, comme Barbey d'Aurevilly,
Hector Berlioz, Henri Heine, Nadar, Armand Barbès, Eugène Sue, Victor
Hugo, Louis Blanc, Eugène Fromentin, Jules Favre, Pauline Viardot, la
Taglioni, ainsi que les plus divers : parents, familiers, éditeurs, journalistes
et patrons de presse, acteurs et directeurs de théâtre, écrivains, artistes,
hommes politiques, domestiques, fonctionnaires, commerçants, hommes
d'affaires...
On retrouve dans ces pages toute l'humanité et l'insatiable curiosité de
l'écrivain, que l'on suit jusqu'à ses toutes dernières lettres, en mai 1876,
quelques jours avant sa mort.
Les auteurs :
George Sand (1804-1876) est une romancière, dramaturge et critique littéraire française. Auteure de plus de 70 romans, on lui doit également quelque 25 000 lettres échangées avec toutes les célébrités artistiques de son temps.
Thierry Bodin est libraire-expert en lettres et manuscrits autographes. Ses
travaux sont consacrés au romantisme français, en particulier Honoré de Balzac, Alfred de Vigny et George Sand.
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