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EAN : 9782080702012
314 pages
Flammarion (07/01/1993)
3.98/5   194 notes
Résumé :

Les Mauprat : une famille de petits seigneurs berrichons, incultes et cruels, qui ne seraient pas déplacés dans un roman de Sade et perpétuent au dix-neuvième siècle les pires usages du monde féodal.
A l'un d'eux, Bernard, on donne à violer sa cousine, Edmée. A force de courage, de grâce et de beauté, Edmée finira par dompter Bernard, par transformer la brute en homme véritable. Roman " noir " et roman socialiste en partie inspiré par les idées de Pie... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (23) Voir plus Ajouter une critique
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sur 194 notes
Après plusieurs textes peu intéressants cette semaine, j'ai décidé d'effectuer un retour aux sources ! Après avoir hésité entre Zola et Sand, tous les deux bien présents dans ma bibliothèque, j'ai finalement opté pour la dernière, encouragée en cela par ma chère George. Terminé la semaine dernière, depuis je tremble à l'idée de rédiger cet article car je sais que ma copine sera derrière mon épaule et que j'ai pas intérêt à raconter n'importe quoi sur un roman de George Sand !

Mais heureusement pour moi, je ne vais pas avoir besoin de me forcer pour rédiger un article positif car j'ai littéralement dévoré ce roman à mi chemin entre le Capitaine Fracasse de Gautier et Indiana, premier roman sous le pseudonyme de George Sand. En bref, de l'amour, de la philosophie, de l'aventure, des combats, de l'épée, et une figure de femme magistrale, Edmée. Une de celle qui ne vous lâche plus ensuite. Car sous ses airs fragiles, c'est une femme à la volonté de fer et à l'intelligence redoutable que nous dépeint Sand.

Au XVIIIe siècle, dans une province reculée du Berry, habitent les Mauprat. « C'est une race indomptable, incorrigible, et dont il ne peut sortir que des casse-têtes ou des coupe-jarrets. A ceux que l'éducation a le mieux rabotés, il reste encore bien des noeuds : une fierté souveraine, une volonté de fer, un profond mépris pour la vie. »

Edmée, descendante de la branche honorable des Mauprat, va prendre sous son aile son cousin Bernard, élevé par la bande de coupe-jarrets qu'est la branche aînée des Mauprat, sans morale, sans argent et sans sentiment. de véritables bandits, mais malheureusement des seigneurs aussi ce qui interdit de les déloger de leur château où ils se barricadent depuis des années.

C'est dans cette ambiance qu'a grandi le petit Bernard, dernier rejeton de la famille; c'est à l'école de la muflerie, de la violence qu'il a été élevé. Une fois sorti de cet horrible château, avec l'aide des idées de Rousseau, Edmée aura bien du travail pour le rééduquer … « Vous êtes un sauvage, Bernard. » Mais le fait que ce sauvage tombe éperdument amoureux d'elle va bien l'aider …

Petit à petit, Bernard change, avec le caractère violent et entier qui est le sien : « Je parvins à gouverner mes mouvements jusqu'à un certain point. Je ne me corrigeai jamais de l'orgueil et de la violence. On ne change pas l'essence de son être, mais on dirige vers le bien ses facultés diverses; on arrive presque à utiliser ses défauts; c'est au reste le grand secret et le grand problème de l'éducation. »

Si Edmée est tout de suite attachante, et que l'on sent qu'elle sera le personnage pivot du roman, le récit est pourtant centré sur celui de Bernard. Pour cause, le roman se présente comme un récit de Bernard lui-même, au crépuscule de sa vie. Un angle intéressant car le vieux Bernard condamne tout ce qu'il a été avant de rencontrer sa cousine Edmée, et porte un regard plus que sévère aussi bien sur ses propres actes que sur ses pensées d'alors.

Il me semble que Sand a trouvé une manière habile de démontrer les vertus et la puissance de l'éducation, qui peut combattre tous les mauvais instincts et penchants animaux de l'homme. Mais elle montre surtout que ce travail ne peut être fait que de l'intérieur. C'est son amour pour Edmée qui poussera Bernard à s'amender, à essayer de comprendre ses réactions et à changer. Mais ce ne sera pas si facile, et bien des obstacles, physiques et moraux vont séparer ces deux personnages clés.

« L'homme ne naît pas méchant; il ne naît pas bon non plus, comme l'entend Jean-Jacques Rousseau [...]. L'homme naît avec plus ou moins de passions, avec plus ou moins de vigueur pour les satisfaire, avec plus ou moins d'aptitude pour en tirer un bon ou mauvais parti dans la société. Mais l'éducation peut et doit trouver remède à tout; là est le grand problème à résoudre, c'est de trouver l'éducation qui convient à chaque être en particulier. »

Roman romantique, roman gothique, histoire d'amour, histoire de famille, roman d'éducation, manifeste féministe, Mauprat est tout cela à la fois, et bien plus encore, concentrant les thèmes chers à Sand, ainsi que ses combats les plus intenses.

Un roman capital dans l'oeuvre de George Sand, et une magnifique lecture pour moi.
Lien : http://missbouquinaix.wordpr..
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Quelques années avant et après la Révolution.

« … sa santé robuste, sa taille droite, sa démarche ferme et l'absence de toute infirmité annoncent quinze ou vingt ans de moins. Sa figure m'eût semblé extrêmement belle sans une expression de dureté qui faisait passer, malgré moi, les ombres de ses pères devant mes yeux. »

Bernard Mauprat, vieil homme de quatre-vingts ans, reçoit dans sa demeure près de Châteauroux, dans l'Indre, un jeune homme qui souhaiterait entendre, par le dernier des Mauprat, l'histoire de cette famille légendaire.
Cette curiosité est teintée des peurs enfantines…

« C'est que dans mon enfance, j'ai placé le nom de Mauprat entre ceux de Cartouche et de Barbe Bleue, et qu'il m'est souvent arrivé alors de confondre, dans des rêves effrayants, les légendes surannées de l'Ogre et de Croquemitaine avec les faits tout récents qui ont donné une sinistre illustrations dans notre province, à cette famille des Mauprat. »

Bernard devient orphelin à sept ans. Sa tutelle est disputée par les deux branches de la famille, l'aînée et la cadette. C'est son grand-père Tristan qui l'emmène dans le Château de la Roche-Mauprat, un repère féodal lugubre, malsain, tenu par un pont-levis. Dans cet antre pernicieux, il fait la connaissance de ses huit oncles, tous plus vicieux, méchants et dégénérés les uns que les autres. Seul enfant dans ce cloaque, il est confié à la garde de l'oncle Jean, un handicapé, qui lui fait subir des sévices et des vexations. Traité comme un animal, il endure des tortures physiques et morales sans pouvoir s'en échapper. Au fil du temps, son caractère se forge, et sans être aussi immoral que sa parenté, Bernard devient dur et calque son tempérament sur celui de ses oncles, cachant son humanité sous un masque ignoble.
La vie et leurs subsides sont faits de larcins, de taxations, de brigandages et de viols. Les seigneurs d'autrefois sont devenus des tourmenteurs, des charognards et des voleurs.
Bernard a quinze ans lorsque le grand-père décède, il en a dix-sept quand pour la seconde fois sa vie bascule…
Un jour, oncle Laurent qui s'était absenté toute la journée, rentre en compagnie d'une jeune fille. Perdue, elle pense pénétrer dans la demeure de Madame Rochemaure, une dame dévote de la région, et accorde bien innocemment sa confiance.
Bernard succombe à sa beauté et, dans un conciliabule, arrive à soutirer à ses oncles la permission d'être le « forceur ». S'enfermant avec elle dans une pièce, il commence à se faire pressant. La belle ne tarde pas à comprendre le piège et se présente aussitôt… Elle est Edmée, fille de Monsieur le chevalier Hubert de Mauprat, frère cadet de son grand-père. Petit à petit, dans le bref temps qui leur est imparti, l'un essaie de lui voler un baiser, l'une tente de le raisonner, l'un est poursuivi par le sang bouillonnant des Mauprat et de dix années d'une éducation sauvage, l'une ne murmure que deux mots « Sauve-moi, sauve-moi ! ».

Et si en la sauvant, Bernard s'affranchissait en même temps ? L'évasion serait une double délivrance. L'enfant grossier et barbare, bien souvent cruel, voit son avenir près d'Edmée qu'il aime déjà passionnément. Avant de partir, une promesse est scellée…

« - Jurez que vous serez à moi d'abord, et après vous serez libre ; je le jure. Si je me sens trop jaloux pour le souffrir, un homme n'a qu'une parole, je me ferai sauter la cervelle.
– Je jure, dit Edmée, de n'être à personne avant d'être à vous.
– Ce n'est pas cela, jurez d'être à moi avant d'être à qui que ce soit.
– C'est la même chose, répondit-elle, je le jure.
– Sur l'Evangile ? sur le nom du Christ ? sur le salut de votre âme ? sur le cercueil de votre mère ? »

J'ai aimé ce roman, entre aventure et amour. Il est une saga fragmentée en plusieurs épisodes. L'introduction est celle d'un vieil homme qui se retourne sur son passé. Sa nostalgie n'est pas remplie de rancoeur, elle est douce pour celle qu'il a aimée, voire vénérée.
« Elle fut la seule femme que j'aimai ; jamais aucune autre n'attira mon regard et ne connut l'étreinte de ma main. Je suis ainsi fait ; ce que j'aime, je l'aime éternellement, dans le passé, dans le présent, dans l'avenir. »
La première partie raconte la pitoyable moralité de sa famille, le château La Roche-Mauprat, les bois, l'ermite philosophe Patience, la tour Gazeau, Marcasse « le preneur de taupes »… Bernard est un sauvageon dont l'attitude est avant tout une fanfaronnade tirée de l'orgueil, de la peur et de l'inculture. Jusqu'au jour où il rencontre celle qui le fera évoluer. Plus qu'une amante, Edmée sera une mère. Dans cette deuxième partie, Bernard se retrouve à Sainte-Sévère dans la maison de son grand-oncle où il recevra l'éducation, les bases, qui lui font défaut. Ces leçons seront données par l'abbé Aubert, ami d'Edmée et de Patience. Troisième partie, c'est Paris et les salons littéraires, philosophiques, les poseurs, les précieux, le ridicule, mais aussi un début de modernité. La Fayette enrôle pour les Etats-Unis… Quatrième partie, l'Amérique et une ouverture sur un autre monde ; l'amitié fraternelle avec un scientifique-herboriste, Arthur. Cinquième partie… et dernière ; le procès.
A l'aube de la Révolution, George Sand nous présente les années d'un « siècle éclairé ». L'esprit est libre et commence à se défaire des carcans familiers. Elle donne aussi un beau rôle à Edmée qui est l'initiatrice, la femme qui tait sa passion pour faire grandir un homme.

Bernard dit…
« Ne croyez à aucune fatalité absolue et nécessaire… et cependant, admettez une part d'entraînement dans nos instincts, dans nos facultés, dans nos impressions qui ont entouré notre berceau, dans les premiers spectacles qui ont frappés notre enfance… Admettez que nous ne sommes pas toujours absolument libres de choisir entre le bien et le mal… L'homme ne naît pas méchant ; il ne naît pas bon non plus, comme l'entend Jean-Jacques Rousseau, le vieux maître de ma chère Edmée. L'homme naît avec plus ou moins de passions, avec plus ou moins de vigueur pour les satisfaire, avec plus ou moins d'aptitude pour en tirer un bon ou un mauvais parti dans la société. Mais l'éducation peut et doit trouver remède à tout ; là est le grand problème à résoudre, c'est de trouver l'éducation qui convient à chaque être en particulier… »
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Un roman très intéressant qui se déroule durant la période pré-révolutionnaire, dans la campagne berrichonne.

L'histoire est rapportée par le personnage principal, Bernard, à un narrateur inconnu, à qui il fait le récit tumultueux de son amour pour Edmée, dans des proportions telles qu'il n'est pas évident de comprendre l'intérêt de cet emboîtement, puisque Bernard, le personnage, aurait presque pu assumer de bout en bout la narration. Insistant sur la rupture fondamentale de la Révolution, y compris sur le plan esthétique, le roman reprend de nombreux traits de l'écriture et des thèmes du XVIIIème siècle, quoique l'auteur soit du XIXème. Beaucoup de pleurniche, donc, beaucoup de génuflexions intempestives devant la femme aimée, beaucoup de décisions suicidaires, beaucoup de subjonctif, beaucoup de formules annonciatrices du malheur à venir, etc... Mais surtout, une élégance de style imitant de façon très convaincante les auteurs du Grand Siècle, même dans la bouche des personnages censés incarner des brutes épaisses.

Roman d'apprentissage pour Bernard, sorte de fauve orgueilleux sauvé in extremis par la philosophie de Rousseau, Mauprat constitue une réflexion poussée sur l'éducation, sanctionnée par une morale qui se distingue toutefois des leçons du maître. Il ne faut pas croire que tout fonctionne comme sur des roulettes dans la rédemption de Bernard : il passe d'un extrême à l'autre, conserve un caractère violent qui montre que ses démons sont toujours là. Mais l'oeuvre est profondément optimiste au sens où elle défend l'hypothèse de la perfectibilité de l'homme, quel que soit son niveau de sauvagerie (et Bernard en est initialement un sacré spécimen). Il y a donc une grande satisfaction à suivre l'évolution tantôt poussive, tantôt prodigieuse de Bernard sous l'influence salutaire d'Edmée et de ses amis.

D'ailleurs, il y a là une idée qui infuse tout le récit, certainement hardie pour l'époque, selon laquelle la femme n'est pas inférieure ni même égale à l'homme, mais supérieure, et que c'est donc à lui de se hausser à son niveau (par l'éducation et les moeurs) pour l'obtenir. le pauvre Bernard passe tout le récit au bord de la crise de nerfs en ne voyant pas ses efforts récompensés, faute d'entendre le refus d'Edmée de céder à plus médiocre qu'elle ne mérite. Alors je calme tout de suite les féministes 2.0 : l'auteur, à travers la rivalité entre Bernard et M. de la Marche, aristocrate "bien comme il faut" mais à la rusticité douteuse, pour le coeur d'Edmée, défend la nécessité pour la femme de disposer "d'un homme et non pas d'un brin de muguet", qui sache accomplir les travaux pénibles (à l'époque, pousser la charrue et tuer le gibier) et entretienne force de corps et de coeur, d'autant plus à l'approche des périodes de crise que le bon sens paysan, incarné par le personnage extraordinaire de Patience, voit pointer à l'horizon. Pas question "d'accepter la faiblesse", "d'assumer sa part de féminité" ou toute autre expression de fragiles déconstruits : l'homme doit être un roc qui prodigue sécurité et stabilité à la femme, c'est son rôle d'homme. Simplement, cela ne l'exempte pas de tendre vers la noblesse morale, comme l'exige Edmée de la part de Bernard.

Je passe rapidement sur le message politique, qui prend sa source dans les affrontements du XIXème siècle. C'est une glorification de l'action révolutionnaire, inspirée des Lumières, contre un ordre inique où le clergé tient le plus mauvais rôle. L'abbé Aubert, seul ecclésiastique positif du livre, est en réalité totalement acquis aux idées de Rousseau, au point d'être à peu près en marge de l'Église. Tout le dernier tiers du livre, occupé par le procès, illustre les conflits d'intérêt et l'incitation à la délation occasionnés par ce système féodalisant en fin de vie, dans un cadre choisi qui est celui de la justice. L'évocation appuyée de la guerre d'indépendance américaine, riche de nombreux traits historiques, annonce de façon peut-être un peu manichéenne les profonds bouleversements qui vont bientôt agiter la France pour y mettre un terme, sur lesquels Bernard, âgé, pose un regard a posteriori un peu moins crédule.

Je n'ai pas parlé des nombreuses descriptions de la nature, attendues chez cette écrivain attachée à sa terre natale, toujours d'une extrême sensibilité. Elles contribuent à faciliter une lecture bien cadencée entre action, analyse et longs dialogues, sans jamais tomber dans la trivialité à laquelle plusieurs passages se prêtent pourtant. Les personnages sont vraiment très attachants, sauf Edmée, à dessein ; je retiens surtout Marcasse, sorte de don Quichotte taiseux assez transparent jusqu'à la phase américaine, mais qui se révèle mémorable par la suite.

Une excellente découverte que je recommande vivement aux amateurs de romans historiques, et au-delà.
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Je ne sais pas pour vous mais Mauprat, moi, cela ne me rappelait rien. La mare au diable, ou La petite fadette ou encore Consuelo, oui, mais ce titre, il me semble bien ne jamais l'avoir entendu auparavant. Et c'est une agréable découverte car Mauprat est un roman tout à la fois captivant, émouvant et enrichissant. Mauprat est le nom de la famille qui est au centre de ce roman. Il s'agit, comme les décrit la quatrième de couverture, « de petits seigneurs berrichons, incultes et cruels, qui ne seraient pas déplacés dans un roman de Sade et perpétuent au dix-neuvième siècle les pires usages du monde féodal ».

La famille Mauprat est en réalité divisée en deux branches : les Coupe-Jarret , la branche aînée qui, c'est un euphémisme de le dire, a mal tourné, et les Casse-tête, sages et justes, héritiers de l'esprit des Lumières. le narrateur, Bernard Mauprat, dernier héritier des Coupe-Jarret, est un homme âgé qui revient sur sa vie, longue et agitée. L'histoire débute alors qu'il a dix-sept ans et vit avec ses horribles oncles, les Mauprat Coupe-Jarret, depuis qu'il a perdu ses parents à l'âge de sept ans. Son oncle Hubert Mauprat, de la branche cadette des Casse-tête, avait essayé de le recueillir quelques années avant, afin de l'enlever des mains de ces infâmes bandits, mais en vain.

Nous sommes dans le Berry, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, peu avant la révolution française. La fille d'Hubert Mauprat, enlevée par ses infâmes oncles, est amenée par ceux-ci à Bernard Mauprat, afin qu'il fasse preuve de sa virilité. Mais Bernard, bien qu'élevé par ses oncles, ne partage pas leur penchant pour la violence, les exactions et autres crimes qu'ils commettent régulièrement, et tombe amoureux d'Edmée. Il s'évade avec elle de l'affreuse demeure de la Roche-Mauprat, après lui avoir fait promettre qu'elle n'appartiendrait jamais à aucun autre que lui-même. Bernard ramène Edmée chez son père, qui installe Bernard chez lui et l'adopte enfin.

Commence alors une longue période pendant laquelle Bernard vit aux côtés d'Edmée. Celle-ci exige que Bernard s'instruise, ce qu'il fait avec l'abbé Aubert, ami de la famille. Edmée promet à Bernard de l'épouser lorsqu'il sera devenu un gentilhomme cultivé et apte à vivre en société, c'est-à-dire tout d'abord, à s'y comporter de façon mesurée. Mais les doutes assaillent fréquemment Bernard. Il s'impatiente et craint qu'Edmée ne change d'avis ou ne soit pas sincère. D'autant que celle-ci est depuis longtemps promise à M. de la Marche. Bernard s'ouvre parfois à Edmée, ce qui est l'occasion d'échanges passionnés mettant à l'épreuve les sentiments exacerbés des deux cousins. C'est d'ailleurs suite à l'un de ces épisodes qui représentent pour lui une torture, que Bernard décide de s'engager auprès de Lafayette, et de partir combattre pour l'indépendance de l'Amérique. Bernard ne rentrera que six ans plus tard en France. Et c'est alors qu'un événement grave viendra tout remettre en question, au moment même où tout se présentait pour le mieux, Edmée ayant en effet attendu Bernard pendant ces longues années.

Je ne vous en dirai pas plus pour préserver la fin de l'intrigue, dont on suit les rebondissements avec intérêt. En effet, on s'attache rapidement aux personnages de Bernard et Edmée, comme à ceux tout aussi intéressants de Patience, Hubert, et Marcasse. Mauprat est un roman très riche, aux multiples facettes, que J.P Lacassagne caractérise ainsi dans sa préface : « un roman indéfinissable, dense et captivant que l'on a pu lire comme un roman d'aventures, un roman d'éducation, un roman d'amour, le premier des grands romans champêtres ou des grands romans sociaux » .

En effet, le roman se veut parfois romantique, -et c'est là que se situent à mon avis les quelques longueurs, avant le voyage en Amérique notamment-, parfois aventurier, avec un horrible château, une évasion, quelques poursuites à cheval, et d'effrayants moines qui se retrouvent dans une auberge sordide. C'est aussi un roman social, lorsque Edmée devise avec ses amis proches et refait le monde, ou lorsque Patience développe des idées égalitaristes. On y retrouve d'ailleurs l'influence de Jean-Jacques Rousseau, que George Sand cite à plusieurs reprises, puisqu'il est particulièrement admiré par Edmée. Celle-ci a d'ailleurs beaucoup apprécié La nouvelle Héloïse et s'emploie à développer les qualités que Rousseau aime chez une femme : « elle aimait à reconnaître avec lui que le plus grand charme d'une femme est dans l'attention intelligente et modeste qu'elle donne aux discours graves ». Enfin, c'est un roman d'éducation qui comporte de très belles pages sur l'intérêt de la culture, comme lors de l'initiation de Patience à la poésie.

Vous l'aurez compris, une très belle lecture que je vous conseille, et qui donne envie de se replonger dans les classiques !

Mauprat, George Sand, Folio classique n°1311, Paris, 1981, 476 p.

Blog le livre d'après, http://lelivredaprès.com/mauprat-de-george-sand/
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Encore une intéressante découverte grâce à Babelio !
Il y a plusieurs romans dans cette oeuvre : elle commence comme un roman gothique très noir, rare chez George Sand. Je n'ai trouvé dans ses écrits que dans la fin de Lélia une telle violence et une telle angoisse en tant que lectrice. L'action commence dans un donjon féodal qu'on a du mal à dater dans le temps : le seigneur s'y comporte comme un véritable meneur de bande du Moyen-Âge, fidèle à son surnom de "Coupe-Jarret". La nuit est noire, les ripailles, les beuveries et les orgies s'enchaînent, on jure et on insulte, l'orage tonne, les loups crient, et les femmes ne sont que des proies pour les désirs des hommes. Edmée est en danger, la pulsion de viol est perceptible chez Bernard, ce qui en fait vraiment un personnage masculin à part dans l'oeuvre de Sand - on est loin du Germain de la Mare au diable par exemple qui est presque un saint... Non, Bernard fait peur, d'autant qu'il n'a pas de limite, il n'a pas été "policé" par la société.
C'est là le deuxième roman dans le roman, un roman d'apprentissage, un roman de formation. Edmée signifie "riche protectrice" d'un point de vue étymologique - j'ai cherché. Et c'est ce qu'elle est pour Bernard, une formatrice dévouée, comme une soeur ou comme une mère. C'est la mise en acte, en pratique, de l'Emile de Rousseau que lisent passionnément Edmée et l'abbé : il faut éduquer Bernard, non pour en faire un pédant - pas besoin du latin, une instruction longue et trop théorique, non pour en faire un homme du monde - il ne s'y sent pas à l'aise parmi les mondains hypocrites, mais pour développer son bon coeur. Il y a implicitement toute une théorie sur l'inné et l'acquis : quelle est la part de la nature ou la part du milieu dans la formation d'un caractère et d'une personnalité ? Bernard développe son intelligence mais surtout raffine ses sentiments au contact de personnes qui sont des modèles, qu'il admire. Cependant, on retrouve une forme d'ambiguïté : Bernard ne veut pas d'une mère ou d'une soeur, il cherche une amante. On retrouve un type de relation qui est souvent présent dans les écrits de George Sand, écrits de fiction ou en partie autobiographique : certes, Edmée n'est pas plus âgée que Bernard comme beaucoup de personnages féminins chez George Sand, mais elle est plus sage que lui et elle lui enseigne ce qu'elle sait.
Voici le troisième roman dans le roman, le roman sentimental. Autant dire que celui-ci est assez prévisible, d'autant que l'on sait dès le début comment le récit de Bernard devenu âgé va finir et comporte de nombreuses longueurs, avec, encore une fois, des torrents de larmes ; les personnages admirent la Nouvelle Héloïse, ceci explique cela...
Quelques traces diffuses de roman historique avec la participation de Bernard à la Guerre d'indépendance américaine décrite très rapidement ou avec les conséquences - très minimes - de la Révolution sur les personnages. George Sand développe surtout sur la peinture intellectuelle, philosophique et morale d'une époque, la fin de l'Ancien Régime,avec la diffusion des idées des Lumières, idées d'égalité et d'humanisme. Tout cela restant teinté d'une morale chrétienne, une des dernières paroles de Bernard étant d'ailleurs "aimez-vous les uns les autres".
Encore un mot sur deux personnages que j'ai trouvé particulièrement intéressant, Patience le philosophe proche de la nature, et Marcasse, le chasseur de taupes au grand coeur.
Décidément, moins George Sand est fleur bleue, plus je l'apprécie.
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Citations et extraits (40) Voir plus Ajouter une citation
« Que je suis malheureux, disais-je avec des yeux pleins de larmes, que je suis malheureux de t’offenser toujours et d’être haï de plus en plus à mesure que je t’aime davantage ! »
Edmée était de nature impérieuse et violente. Son caractère, habitué à la lutte, avait pris avec les années une énergie inflexible. Ce n’était plus la jeune fille tremblante, fortement inspirée, mais plus ingénieuse que téméraire à la défense, que j’avais serrée dans mes bras à la Roche-Mauprat ; c’était une femme intrépide et fière, qui se fût laissé égorger plutôt que de permettre une espérance audacieuse. D’ailleurs, c’était la femme qui se sait aimée avec passion et qui connaît sa puissance. Elle me repoussa donc avec dédain, et, comme je la suivais avec égarement, elle leva sa cravache sur moi et me menaça de me tracer une marque d’ignominie sur le visage, si j’osais toucher seulement à son étrier.
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Il y a des cabarets et d'autres lieux plus dangereux encore, où le gouvernement prélève, dit-on, ses bénéfices ; il y a aussi des prêtres qui montent en chaire pour nous dire ce que nous devons au seigneur de notre village, et jamais ce que notre seigneur nous doit. Il n'y a pas d'écoles où l'on nous enseigne nos droits, où l'on nous apprenne à distinguer nos vrais et honnêtes besoins des besoins honteux et funestes, où l'on nous dise enfin à quoi nous pouvons et devons penser quand nous avons sué tout le jour au profit d'autrui, et quand nous sommes assis, le soir, au seuil de nos cabanes à regarder les étoiles rouges sortir de l'horizon.
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Sur les confins de la Marche et du Berry, dans le pays qu'on appelle la Varenne, et qui n'est qu'une vaste lande coupée de bois de chênes et de châtaigniers, on trouve, au plus fourré et au plus désert de la contrée, un petit château en ruines, tapi dans un ravin, et dont on ne découvre les tourelles ébréchées qu'à environ cent pas de la herse principale. Les arbres séculaires qui l'entourent et les roches éparses qui le dominent l'ensevelissent dans une perpétuelle obscurité, et c'est tout au plus si, en plein midi, on peut franchir le sentier abandonné qui y mène, sans se heurter contre les troncs noueux et les décombres qui l'obstruent à chaque pas. Ce sombre ravin et ce triste castel, c'est la Roche-Mauprat.
Il n'y a pas longtemps que le dernier des Mauprat, à qui cette propriété tomba en héritage, en fit enlever la toiture et vendre tous les bois de charpente; puis, comme s'il eût voulu donner un soufflet à la mémoire de ses ancêtres, il fit jeter à terre le portail, éventrer la tour du nord, fendre de haut en bas le mur d'enceinte, et partit avec ses ouvriers, secouant la poussière de ses pieds, et abandonnant son domaine aux renards, aux orfraies et aux vipères. Depuis ce temps, quand les bûcherons et les charbonniers qui habitent les huttes éparses aux environs passent dans la journée sur le haut du ravin de la Roche-Mauprat, ils sifflent d'un air arrogant ou envoient à ces ruines quelque énergétique malédiction; mais quand le jour baisse et que l'engoulevent commence à glapir du haut des meurtrières, bûcherons et charbonniers passent en silence, pressant le pas, et de temps en temps font un signe de croix pour conjurer les mauvais esprits qui règnent sur ces ruines.
J'avoue que moi-même je n'ai jamais côtoyé ce ravin, la nuit, sans éprouver un certain malaise; et je n'oserais pas affirmer par serment que, dans certaines nuits orageuses, je n'aie pas fait sentir l'éperon à mon cheval pour en finir plus vite avec l'impression désagréable que me causait ce voisinage.
C'est que, dans mon enfance, j'ai placé le nom de Mauprat entre ceux de Cartouche et de Barbe-Bleue, et qu'il m'est souvent arrivé alors de confondre, dans des rêves effrayants, les légendes surannées de l'Ogre et de Croquemitaine avec les faits tout récents qui ont donné une sinistre illustration, dans notre province, à cette famille des Mauprat.
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(…) Je vous déplais parce que je n’ai pas d’esprit, et vous aimez M. de la Marche parce qu’il sait dire des niaiseries dont je rougirais.
- Et si, pour me plaire, dit-elle en souriant, après m’avoir écouté avec beaucoup d’attention, et sans retirer ma main que j’avais prise à travers le grillage ; si, pour être préféré à M. de la Marche, il fallait acquérir de l’esprit, comme vous dites, ne le feriez-vous pas ?
- Je n’en sais rien, répondis-je après un instant d’hésitation ; peut-être serais assez fou pour cela, car je ne comprends rien au pouvoir que vous avez sur moi ; mais ce serait une grande lâcheté et une grande folie.
- Pourquoi, Bernard ?
- Parce qu’une femme qui n’aime pas un homme pour son bon cœur mais pour son bel esprit, ne vaut guère la peine que je me donnerais. Voilà ce qu’il me semble. »
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Vous l’aimez parce qu’elle est belle comme la marguerite des prés, et moi je l’aime parce qu’elle est bonne comme la lune qui éclaire tout le monde. C’est une fille qui donne tout ce qu’elle a, qui ne porterait pas un joyau, parce qu’avec l’or d’une bague on peut faire vivre un homme pendant un an. Et, si elle rencontre dans son chemin un petit pied d’enfant blessé, elle ôtera son soulier pour le lui donner et s’en ira pied nu. Et puis c’est un cœur qui va droit, voyez-vous.
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Vidéo de George Sand
Des lettres inédites de la célèbre écrivaine, révélant des échanges inconnus avec de grandes personnalités du XIXe siècle. Un livre exceptionnel ! Lettres réunies et présentées par Thierry Bodin.
Ces 406 nouvelles lettres retrouvées couvrent presque toute la vie de George Sand, depuis ses quinze ans jusqu'à ses derniers jours. La plupart, du court billet à la longue missive, sont entièrement inédites et viennent s'ajouter au corpus de sa volumineuse correspondance. D'autres, dont on ne connaissait que des extraits, sont ici publiées intégralement pour la première fois. Plus de 260 correspondants — dont une cinquantaine de nouveaux — sont représentés, des moins connus aux plus illustres, comme Barbey d'Aurevilly, Hector Berlioz, Henri Heine, Nadar, Armand Barbès, Eugène Sue, Victor Hugo, Louis Blanc, Eugène Fromentin, Jules Favre, Pauline Viardot, la Taglioni, ainsi que les plus divers : parents, familiers, éditeurs, journalistes et patrons de presse, acteurs et directeurs de théâtre, écrivains, artistes, hommes politiques, domestiques, fonctionnaires, commerçants, hommes d'affaires... On retrouve dans ces pages toute l'humanité et l'insatiable curiosité de l'écrivain, que l'on suit jusqu'à ses toutes dernières lettres, en mai 1876, quelques jours avant sa mort. Les auteurs : George Sand (1804-1876) est une romancière, dramaturge et critique littéraire française. Auteure de plus de 70 romans, on lui doit également quelque 25 000 lettres échangées avec toutes les célébrités artistiques de son temps. Thierry Bodin est libraire-expert en lettres et manuscrits autographes. Ses travaux sont consacrés au romantisme français, en particulier Honoré de Balzac, Alfred de Vigny et George Sand.
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