Ce livre n'est ni un roman, ni un essai, pas davantage un récit, peut être au carrefour de ces trois genres ; intrépide et burlesque, autant que les vieillards qu'il met en scène, l'auteur plonge à fond dans les malentendus entre les différentes classes d'âge pour mieux leur faire la peau....
Je n'ai guère apprécié par contre le style scénario de science fiction, mais apprécié en revanche, même si c'est contradictoire, tout ce qu'il permet d'imbriquer de problématiques sociales en raccourcis, et de mêler drame et tendresse.
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Ils en arrivent à faire régler la terreur, ils dérèglent d'abord les mécanismes du marché avant d'accéder à la pure violence. Mais pourquoi leur supposer cet esprit de conquête, voire cette agressivité, que l'on prête habituellement aux jeunes gens ou aux adultes ? Pourquoi ce ressentiments, cette « méchanceté » chez des êtres auxquels on délègue la sérénité ? Cette paix supérieure relève, sans doute de la fable, et il est possible que, dans un premier temps, les vieillards aient cherché à ne plus être mythifiés, bêtifiés, béatifiés. A quitter cette niche soporifique, ennuyeuse, où on les enfermait malgré eux. Non, ils n'étaient pas ces gagas bienheureux, pomponnés, talqués, proprets, souriant aux anges comme on les représente dans les revues familiales à grand tirage ou dans les flatteries préélectorales. Ils savent jouer, se piquer au jeu, organiser des carnavals avec du plâtre et non avec des confettis ou des fleurs. Boire et danser et se gausser jusqu'à faire rougir leurs enfants qui les auraient voulu plus décents, et encore s'étreindre et, pourquoi pas étreindre des corps tellement plus jeunes que les leurs – et, suprême impudeur, exhiber la mort, cette compagne, la leur, dont personne ne veut plus entendre parler.
Un homme d'un certain âge a le droit de rêver ses vertes années et de leur donner un peu plus de couleurs qu'elle n'en eurent. A quoi j'ajoute le terme de résolution. Le même homme pense qu'il est bien tard pour prendre de « bonnes résolutions ». Cependant, il met le cap sur l'ultime partie de son existence. Il se demande comment mettre à profit ce peu qui lui est échu. Si nos sens perdent en vigueur, n'y a-t-il pas moyen d'effleurer le monde au lieu de l'empoigner ? De nous montrer attentifs au presque naissant, au presque disparaissant? Il n'y a d'échanges que si recevoir et donner changent de mains. Comment est-ce possible lorsqu’on est du côté des personnes démunies, en l'occurrence des personnes âgées ? Vieillir ensemble : ils s'assurent l'un par l'autre qu'ils existent encore. Cette ballade des « petits vieux » ne manque pas de grandeur. Par leur gestes, leurs paroles indéfiniment répétées qui prêtent à rire, ils font tournoyer les saisons.
La distribution des prix jouaient un rôle d'une façon - j'allais dire terminale, comme l'on dit inaugurale, en chargeant cet adjectif de majesté. Tout le collège était rassemblé... Les meilleurs, ceux qui montaient sur l'estrade, avaient droit à des livres qui n'étaient pas comme les autres, en quelque sorte hors commerce, et qu'un particulier, si riche soit-il, n'était pas en droit d'acheter.... J'aperçois à nouveau leurs tranches dorées à couverture rouge pour les plus cotés, à couverture verte pour le second choix. Ils résumaient une cavalcade effrénée parcourue d'octobre à mai, une somme d'efforts, de constance, de l'automne au printemps. Ils portaient en eux les grappes vermeilles de l'été indien, la trace de la neige, de la boue, des bourrasques, et la pâmoison du printemps. Pouvions-nous, dans ces conditions, les lire ? En les ouvrant, en nous approchant d'eux, même avec délicatesse, nous risquions de leur faire perdre leur parfum. Mieux valait qu'ils reposent dans la bibliothèque d'un salon où nous pénétrions rarement.
J'étais, me semble-t-il, un enfant trop sensible. En ce temps-là, les auteurs avaient la naïveté d'inscrire le mot "Fin" à la dernière page d'un roman. Quand un livre m'avait ravi à ma terre du Lot-et-Garonne, j'éprouvais un sentiment d'abandon ou de disparition. Je n'admettais pas que les héros me tirent ainsi leur révérence. Un bon apôtre m'eût conseillé de me plonger à nouveau dans l'ouvrage. Il m'aurait assuré qu'une seconde lecture me procurerait un plaisir plus subtil. Seulement il ne s'agissait pas d'un plaisir, mais d'un envoûtement - maintenant, je sais que c'était une machinerie, que ces personnes de chair n'existaient que par la vertu de mots, je ne serai pas dupe une seconde fois. Enfant il m'est arrivé de traiter l'imposteur (l'écrivain) de "vilain". Avec l'âge, j'ai manifesté plus de mesure. Néanmoins, j'ai conservé l'impression qu'après m'avoir accordé la permission de pénétrer dans une autre monde, j'en étais expulsé à jamais.
Leur autrefois fut immense et nul n'a le droit de le recroqueviller à une enveloppe dérisoire.
Les "richards" de vents : Pierre Sansot, philosophe, sociologue et écrivain