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Critique de GabyH


La lucidité, ou une fable politico-philosophique des temps modernes.
Difficile de décrire ce texte : corrosif peut-être, subversif assurément, c'est en tous cas une réflexion très habile sur la crise de la représentation dans les démocraties occidentales.

Le récit commence de façon assez cocasse, presque humoristique : à l'issue d'une scrutin, les résultats donnent la majorité au vote blanc, à hauteur de 83% ! C'est la panique dans les plus hauts cercles de pouvoir. On crie au complot, on rappelle aux citoyens leurs devoirs, mais jamais, au grand jamais, on ne pose la question de la légitimité des représentants ni de leur possible démission. C'est le traditionnel « moi ou le chaos », le dernier ressort du pouvoir lorsqu'il a tout perdu.

La lecture de cet essai à haute teneur politique n'est pas facile au début, il faut s'habituer aux phrases longues et aux paragraphes denses, presque sans respiration, où le récit et les dialogues s'entremêlent. Mais on finit par se prendre au jeu, notamment dans la dernière partie du livre, construite comme un roman d'espionnage. C'est d'ailleurs, on s'en rend compte à la fin, un stratagème littéraire très puissant puisque tout est objectivé. le pays n'est jamais nommé, la capitale n'a pas de nom, pas plus que les partis ou responsables politiques, ni même les personnages centraux de l'intrigue policière.

Le roman est construit comme un entonnoir : le peuple qui a voté blanc est d'abord présenté comme une masse informe puis, à mesure que le récit avance, des individualités émergent, parfois malgré elles, dans la recherche d'un bouc émissaire. Pour autant, les personnages n'ont pas d'identité. Les responsables politiques ou administratifs sont présentés par leurs fonctions, les autres personnages par leurs professions ou un trait caractéristique de leur physique. La force de cet anonymat est incroyable car c'est elle qui donne sa dimension universelle au récit qui, d'une analyse sans concession de la crise de la représentation actuelle des démocraties occidentales, devient une critique intemporelle des mécanismes de perpétuation du pouvoir politique.

Grâce à des situations et réflexions absurdes, José Saramago ne fait pas l'apologie du vote blanc mais celle de l'auto-organisation des sociétés. Il moque le pouvoir politique dans les règles de l'art, en offre une critique acerbe et efficace. Mais son récit est finalement profondément pessimiste quant à la possibilité de sortir du système représentatif qui est le nôtre. En un sens, La lucidité est le récit de la mise en place d'un pouvoir autoritaire par les responsables politiques (tout changer pour que rien ne change, en somme) alors que le peuple appelle, sans concertation préalable, à un changement pacifique.
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