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Vincent Raynaud (Traducteur)
EAN : 9782070379866
480 pages
Gallimard (17/09/2009)
3.85/5   819 notes
Résumé :
"Ce ne sont pas les camorristes qui choisissent les affaires, mais les affaires qui choisissent les camorristes. La logique de l'entreprenariat criminel et la vision des parrains sont empreintes d'un ultralibéralisme radical. Les règles sont dictées et imposées par les affaires, par l'obligation de faire du profit et de vaincre la concurrence. Le reste ne compte pas. Le reste n'existe pas. Le pouvoir absolu de vie ou de mort, lancer un produit, conquérir des parts d... >Voir plus
Que lire après Gomorra : Dans l'empire de la CamorraVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (82) Voir plus Ajouter une critique
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sur 819 notes
Fermez les yeux. Que voyez-vous si je vous dis « Italie ! »…des images à profusion vous viennent en grappes généreuses très certainement, une liste à la Prévert, aussi poétique que prosaïque : son charme romantique, sa chaleur méditerranéenne, ses fragrances de fleur d'oranger, ses pins parasol, son chianti, ses Vespa aux couleurs pastel, ses pâtes, ses cafés bien serrés, ses focaccia, ses panna cotta, ses temples romains, ses canaux vénitiens, les couleurs rayonnantes de Portofino, ses gelato emblématiques. Ses pizzas, oui aussi, oui c'est vrai. La liste pourrait être très longue de cette Dolce Vita fantasmée. N'empêche après avoir lu ce livre, le doux gout de crème de votre mozzarella de bufflonne préférée pourrait se teinter d'un goût un tantinet plus amer, plus métallique, disons plus sanguinolent. Car l'Italie c'est aussi la gangrène de la mafia, sa mainmise, la corruption liée, l'économie souterraine, le blanchiment d'argent sale, la violence.
Gomorra est le cri de Roberto Saviano pour sa terre natale. Ce cri à cause duquel depuis plus de dix ans, cet homme est sous protection judiciaire étant menacé de mort. Originaire de Naples, il a côtoyé la camorra, cette mafia sicilienne, et il nous en offre, dans cet écrit édifiant et audacieux, une idée extrêmement précise et détaillée.

Tel un bateau voulant accoster, dans ce témoignage, nous entrons dans Naples par son port et dès le départ, le ton est donné. Notre première vision de Naples est celle d'une terre battue par les ordures où « des années de déchets poussés vers la rive par les marées ont formé une nouvelle couche », où déjections et hydrocarbures maculent le sol…Bienvenue à Naples…Naples et ses zones moribondes, ses ateliers clandestins, son capitalisme intégriste, son ambiance délétère, ses relations sociales, décrites avec minutie dans ce témoignage. Dans cette ville règne en maître la Camorra selon une structuration et une hiérarchie quasi féodale. Roberto Saviano en décortique le mode de fonctionnement, les codes, les affaires, son imbrication avec le monde économique officiel, ses relations sociales. Sa mainmise sur toute une région.

La Camorra est un mot de flics, celui de Système est préféré par ses membres. C'est un mécanisme plutôt qu'une structure. L'organisation criminelle repose directement sur l'économie. le Système détient tout le secteur du textile, Naples étant le centre de production, articulé autour de la puissance économique des différents clans. Ils sont à la base de la contrefaçon des plus grandes marques italiennes, mais de la contrefaçon de qualité. C'est un réseau économique extrêmement organisé qui se base sur des centaines d'entreprises et des milliers de travailleurs et de patrons. L'influence économique et donc politique et sociale de la Camorra régit la région. Il faut savoir que c'est l'organisation criminelle la plus importante d'Europe par le nombre d'affiliés. Plus importante que la mafia sicilienne (Cosa Nostra) ou la ‘Ndrangheta de la Calabre.

Saviano met en valeur, de façon quasi chirurgicale, entre autres, la concurrence chinoise grandissante et son impact sur la Camorra, les réactions des grandes marques contrefaites, son code d'honneur, les règlements de compte. Il explique comment la Camorra est incontournable pour toute entreprise de la région, un chef d'entreprise étant souvent obligé de devenir salarié de la Camorra car lorsqu'un appel d'offre est lancé pour obtenir un marché public, c'est souvent elle, en corrompant des hommes politiques locaux, qui envoie des sous-traitants. Nous découvrons un monde impitoyable où toute morale est saccagée, hormis le code d'honneur qui lie les membres d'un même clan, sur l'autel du business : trafics de drogues, assassinats expéditifs, même de femmes ou de prêtres, d'hommes politiques surtout, trafics d'armes, enfouissement de déchets toxiques. Et ce en toute impunité. Sans foi ni loi. Nous sommes loin du banditisme mâtiné de couleurs locales et de folklore, la Comorra c'est avant tout du capitalisme pur jus où tout est prétexte à l'échange tant qu'il y a une offre et une demande, tant qu'il n'y a aucune régulation, aucun impôt, aucune trace, les gains obtenus étant ensuite blanchis.

Au-delà de l'horreur souvent dévoilée, j'ai été particulièrement intéressée par la facette sociétale de cette étude. Notamment celle liée aux femmes, toujours présentes et importantes dans les dynamiques de pouvoir des clans. Pour une femme, il est intéressant de se mettre en couple avec un homme de la Camorra car si celui-ci meurt elle percevra un salaire. Chaque conquête est le fruit d'une stratégie et non du hasard, même en amour…

« Tu fais déjà l'ammore, Francesca ? Tu sais pas qu'Angelo finira à Poggioreale (Prison de Naples, considérée comme l'une des plus dures d'Italie) ? – lui a-t-il dit. Faire l'ammore ne veut pas dire faire l'amour mais sortir avec quelqu'un. Cet Angelo étant entré dans le Système depuis peu et il semblait déjà exercé des fonctions d'une certaine importance. D'après le pion, il ne tarderait pas à se retrouver en prison. Sans même songer à défendre son petit ami, la fille avait déjà sa réponse toute prête : - Et alors ? Pourquoi je toucherais pas mon mois Il m'aime vraiment lui – Son mois. C'était la première conquête de la fille. Si le garçon finissait en prison, elle toucherait un salaire. le mois est la paie mensuelle que les clans versent aux familles des affiliés. S'ils ont une fiancée, une copine, c'est elle qui touche la paie, mais pour plus de sûreté, il vaut mieux être enceinte ».

Instructif, captivant, bien écrit et pourtant…pourtant ce ne fut pas une lecture agréable. Au-delà de l'horreur, souvent très bien décrite et que le lecteur affronte en connaissance de cause dans ce genre de témoignage, j'ai eu du mal à saisir la structure du livre, à percevoir son fil directeur, l'auteur passe d'un thème à un autre, nous donnant le tournis, comme quelqu'un d'effrayé, de passionné, d'enragé voulant à tout prix extérioriser toute l'horreur vue et vécue dans un enchevêtrement d'idées se bousculant au portillon, sans ordre les unes par rapport aux autres.
Si chaque chapitre débute avec éclat, serti par une plume étonnante et captivante, il finit par s'enliser dans de longues énumérations faisant étalage d'une connaissance approfondie, voire encyclopédique sur la Camorra. Saviano tient tellement à nous transmettre ce qu'il a découvert, que la plume, de belle et légère, se transforme peu à peu en froid et lourd rapport judiciaire, rendant la lecture difficile, voire lassante. Je l'ai ressenti à chaque chapitre. Un début incroyable, minutieusement surligné, corné, annoté avec enthousiasme, et ensuite un ventre mou rendant la lecture difficile. Certes, je suis bien consciente que ce livre est avant tout une enquête incroyable et immersive, risquée, et une réflexion sur la situation de Naples, mais cette façon non homogène de l'écrire m'a quelque peu perturbée.

Mais finalement peu importe, je reste fascinée par le fabuleux travail accompli par Saviano et ce que nous en apprenons, admirative du courage qu'il a su déployer pour lever le voile sur ce système aux allures de pieuvre. C'est un livre nécessaire, certes pas évident à lire. L'hôpital se moquant souvent de la charité, Silvio Berlusconi, a accusé l'auteur de « faire la promotion des gangs mafieux « et de « donner une mauvaise image de l'Italie », en avril 2010. Par ailleurs, ce livre, paru en 2006, a fait l'objet d'une adaptation au cinéma par Matteo Garrone qui a reçu le Grand Prix du Jury à Cannes en 2008. Il me plait d'imaginer les conséquences que le livre et le film ont eu dans les milieux des affaires et de la politique locale, visés par les révélations de Roberto Saviano.

« Je sentais sur moi une odeur indéfinissable. Comme la puanteur qui imprègne les vêtements quand on entre dans une friterie et s'atténue lentement une fois à l'extérieur, en se mêlant aux poisons des gaz d'échappement. On a beau prendre des dizaines de douches, tremper des heures dans la baignoire, utiliser sels et baumes parfumés, impossible de s'en débarrasser. Et pas parce qu'elle est entrée dans la chair, comme la transpiration des violeurs : l'odeur qu'on sent, on sait qu'on l'avait déjà en soi, comme libérée par une glande qui n'a jamais été stimulée auparavant, une glande assoupie qui se met soudain à sécréter ses hormones, parce qu'on a peur, mais plus encore parce qu'on est face à la vérité. Comme s'il existait dans le corps un organe susceptible de nous signaler ce qui est vrai. En utilisant tous les sens. Directement. Une vérité jamais racontée, jamais filmée ni photographiée, mais qui est là et s'offre à nous. Comprendre comment les choses fonctionnent, quel cours suit notre temps ».

Un livre tel un cri, une dénonciation, un coup de pied dans la fourmilière…au péril de la vie de son auteur. En contrepartie d'une odeur à jamais incrustée en lui, l'odeur de la peur.

Merci à Paul Le caméléon pour cette lecture qui me sort totalement de mes lectures habituelles !
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L'Italie et la Mafia… Serait-ce un cliché, un mythe, une délirante théorie du complot ourdie par les xénophobes qui pointaient du doigt jadis les « ritals », les immigrés italiens, pour les dénigrer ?

Roberto Saviano bat en brèche les idées reçues avec cette enquête minutieuse sur l'univers du crime organisé qui est aussi une analyse pertinente du monde contemporain, des excès de la mondialisation et du capitalisme sauvage où tout devient une marchandise, une source de profits, de business : des produits stupéfiants aux armes en passant par l'être humain.

Gomorra dénonce le fonctionnement du système mafieux en Campanie et à Naples. Les familles mafieuses se réunissent autour de leur chef, que nous appelons « le parrain » depuis le film de Francis Ford Coppola qui a médiatisé ce système très codifié. Elles se livrent parfois des guerres de territoire et de succession sanglantes. La Camorra domine la vie économique et commerciale de la Campanie comme Cosa Nostra domine celle de la Sicile et la ‘Ndrangheta celle de la Calabre. Son fonctionnement est similaire à celui d'une multinationale du crime et ses leaders ont intégré les codes de l'entreprise et de la mondialisation. Les chefs d'entreprise locaux, s'ils veulent du travail, sont obligés de devenir des salariés de la Camorra car, lorsqu'un appel d'offres est lancé pour obtenir un marché public, c'est elle qui envoie ses sous-traitants. Il s'agit d'une manière de réinvestir et blanchir l'argent, y compris à l'étranger, en construisant, par exemple, des immeubles en Espagne, sur la côte maritime.

La Camorra est profondément enracinée et bénéficie de la complicité de certains politiciens et de certaines industries, notamment pour le traitement illégal des déchets toxiques. Elle offre des prestations à très bas coût et enfouit les déchets toxiques du Nord dans la campagne du sud de l'Italie. Elle se positionne aussi, avec les Chinois, sur le marché du textile et de la contrefaçon des grandes marques. Elle a des ateliers clandestins où les Italiens du Sud travaillent au noir, ce qui permet de fabriquer des vêtements de luxe discount, de les revendre dans le monde et de faire ainsi de la publicité pour les grandes marques. Elle règne enfin en maître sur le B.T.P. et le trafic d'armes ; sur le B.T.P., grâce à ses ouvriers bon marché car sans protections sociales et travaillant sur des chantiers qui ne respectent aucune norme de sécurité ; sur le trafic d'armes car la mafia albanaise leur fournit un accès direct aux arsenaux militaires des pays de l'ancien bloc de l'Est. Les camorristes sont les principaux pourvoyeurs des guérilleros d'Afrique et d'Amérique latine.

Ce livre, à la fois édifiant et effrayant par rapport aux mécanismes cyniques qu'il décrit et qui profitent apparemment à beaucoup de monde, m'a fait découvrir les nouvelles formes du crime organisé, difficiles à démasquer pour les magistrats, les enquêteurs, tant elles se cachent derrière les pratiques habituelles du capitalisme : l'entreprenariat, l'argent qui coule à flot, le profit, le business, la réduction à tout prix des coûts salariaux, un accroissement toujours plus grand des marges de bénéfices etc.

Son auteur connut un succès d'édition qui médiatisa le phénomène. Avant lui, de nombreux journalistes d'investigation et magistrats tentèrent de s'attaquer à ce problème, au péril de leur vie, comme les juges assassinés Giovanni Falcone et Paolo Borsellino. le reportage "Italie et Mafia, un pacte sanglant" de Cécile Allegra et Mario Amura leur rend hommage et va jusqu'à évoquer la thèse d'un pacte entre l'État italien (en particulier la démocratie chrétienne de Giulio Andreotti) et la mafia sicilienne. Il remonterait à la Seconde Guerre mondiale et au débarquement des Alliés en Sicile, rendu possible grâce à l'aide d'un gangster italo-américain en prison, Lucky Luciano. Il contrôlait les dockers new-yorkais et pouvait donc obtenir des renseignements sur les éventuels espions allemands. Il fut, en effet, curieusement libéré à la fin de la guerre et rentra en Sicile où il reprit ses activités criminelles. Les chefs mafieux de Cosa Nostra remplacèrent les fascistes de Mussolini à la tête des villages. L'écrivain sicilien Leonardo Sciascia, auteur du Jour de la chouette, évoque également le pouvoir de la mafia, longtemps nié : la célèbre omerta, et le « préfet de fer » Cesare Mori, nommé par Mussolini, bien qu'il ait critiqué les fascistes, pour éradiquer la mafia. Pour cette raison sans doute, le nom de Mussolini en Italie, pendant longtemps, ne fut pas aussi honni que celui d'Hitler, son allié nazi.

Pour sortir définitivement des clichés, la mafia ne concerne pas que l'Italie mais malheureusement bien d'autres pays, comme l'Albanie, la Colombie, le Mexique où le cartel de Juárez a rendu cette ville célèbre pour sa violence et son taux de criminalité. Quant au cartel de Sinaloa, il n'est pas en reste. Son chef, El Chapo, évadé de prison, a rencontré Sean Penn et a même failli avoir droit à un film sur sa vie, comme Lucky Luciano en son temps.
Qu'est-ce qui motive ces hommes – et parfois ces femmes ? le fric facile ? La célébrité ? Pas forcément. El Chapo a dit qu'il n'avait eu que cette opportunité, rien d'autre à faire dans le coin pourri où il est né et où son père était fermier, cultivateur de pavot à opium ; le Colombien Pablo Escobar avait même lancé le programme « Medellín sans taudis » pour tenter de résoudre le problème avec l'argent sale de son cartel de la drogue. Corleone, petit village sicilien d'où est partie Cosa Nostra, n'était pas non plus un exemple de prospérité économique. Quant aux bédouins du désert qui vendent des migrants érythréens et font ainsi de la traite humaine en complicité avec des passeurs, des réseaux de trafiquants, ils se justifient eux aussi en disant que c'est le seul moyen de survivre, à l'heure actuelle, dans ces contrées hostiles. le bouleversant reportage "Voyage en barbarie" de Cécile Allegra et Delphine Deloget, qui a eu le prix Albert Londres, le montre très bien. Dans certains endroits de la planète, il ne fait pas bon vivre ou naître. Qui sommes-nous pour les juger ? Aurions-nous fait mieux à leur place ?
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Ce que j'ai ressenti:

Gomorra, c'est une odeur persistante. Une humeur saisissante, du papier brûlant, des chiffres vertigineux, de la poésie phénoménale, une « pièce » sanglante, une action foudroyante, un coeur en souffrance, un abime sans fond…Une fulgurance en somme. Un moment unique et douloureux de lecture aussi. Difficile de vous raconter toutes les émotions qui m'ont traversées en lisant Gomorra…Seul le ciel et le silence pourrait comprendre les prières que j'envoie pour la Campanie…

Le mot camorra n'existe pas, c'est un mot de flics, utilisé par les magistrats, les journalistes et les scénaristes.

Je pourrai vous dire qu'il y beaucoup de beaucoup, et beaucoup de trop même…C'est peut être le destin de trop d'enfants perdus qui m'a fait le plus mal en vrai. Ces enfants qui n'ont d'autres choix que la Camorra. Pas d'autres horizons, pas d'autres rêves, juste une illusion éphémère de pouvoir…Gomorra, c'est trop de drogues, de sang et de balles. Trop de stratégies, de drames et de crimes. Trop de secrets, de disparitions et de pleurs. Trop de familles exposées et explosées par ce phénomène économique et social. Gomorra, c'est une enquête minutieuse d'un journaliste passionné, mais c'est aussi la puissance du sentiment d'un écrivain ravagé par le mal qui détruit son pays, et c'est dans ce mélange de genre qui fait que ce livre est tellement bouleversant.

Le fait est qu'ici la seule chose qu'on apprend, c'est à mourir.

Naples la Superbe, cache en son sein un empire de violence qu'on ne soupçonne pas. Roberto Saviano a laissé dans ses pages, des vérités stupéfiantes, des dénonciations ahurissantes, de l'encre enflammée pour nous faire comprendre la puissance de la mafia. Mais surtout, il y a laissé, au nom d'un idéal qu'il croit plus grand, sa propre liberté…Il est obligé de vivre aujourd'hui sous protection policière depuis la parution de Gomorra. Depuis quatorze ans, sa vie n'est plus la même…C'est ce courage qui l'anime et sa résistance au Système, qui rend ce sacrifice admirable et éblouissant.

Ici on n'a pas peur que le ciel nous tombe sur la tête. Ici on s'enfonce. On plonge. Car il y a toujours un abîme au fond de l'abîme.


Ma note Plaisir de Lecture 9/10
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Avant de commencer la lecture, malaise avec la photo de couverture (celle de Gallimard). Deux jeunes debout et en maillot de bain sur une plage font feu avec des kalachnikovs. Ils rient. Derrière eux, la mer. Effrayant et fascinant ! La critique de Zwyns ‘m'obligeait' pourtant à le lire. ‘Dossier' très fourni sur la mafia italienne. Les nombreux coups de poings sur la tronche oblige à lire autre chose pour reprendre son souffle, en l'occurrence pour moi Bukowki. Des tueries morbides et horribles qui se passent dans notre siècle. Je n'ai eu de cesse de me dire que je n'étais pas dans un roman, mais bien dans la réalité. Je salue bien bas l'énorme travail et courage de Roberto Saviano qui risque sa vie chaque jour. Je ne pourrais plus voir des vêtements de grandes marques sans écoeurement. Une des dernières parties est consacré à l'évacuation des ordures chimiques. Encore une horreur qui met l'être humain dans une rage folle. Récit effrayant et indispensable.

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Paru en 2006, un livre surprenant écrit par un journaliste et écrivain italien qui, depuis, doit vivre en permanence sous protection policière. Roberto Saviano a effectué un long travail d'enquête, il en est ressorti un texte édifiant à mi-chemin entre la fiction et le journalisme.

"Je ne voulais pas écrire un essai classique ni une simple fiction, explique-t-il, je me suis donc inspiré du genre "non fiction novel'' de Truman Capote. J'ai utilisé la liberté et l'indiscipline du roman, en les croisant avec la rigueur des statistiques, des archives, des analyses sociologiques. Sous cet angle, la littérature cesse d'être une fuite de la réalité, comme elle l'a souvent été pour beaucoup d'écrivains du sud de l'Italie, et devient l'instrument le plus à même de raconter un univers qui est devant les yeux de tous, tout en restant apparemment insaisissable."

Naples et toute sa région sont dominés par la criminalité organisée, la camorra, sur fond de guerre entre clans rivaux lorsque certains veulent prendre le pouvoir et bouleverser les hiérarchies. Le livre devient très vite passionnant mais également inquiétant car on le lit comme un roman policier alors qu'il s'agit d'une réalité décrite avec minutie par l'auteur. En effet, le livre oscille sans cesse entre le roman et l'enquête et le cours de la réalité et celui de la fiction finissent par se rejoindre. On n'y trouve aucune fioriture littéraire, le style sobre et précis est très journalistique.

Seul importe le profit à court terme puisque les menottes ou les balles mettent fin à toute carrière. "Je n'ai rien écrit de nouveau, tout était déjà connu… Il ne faut jamais avoir peur de dire la vérité… » affirme Roberto Saviano, il s'apprête toutefois à passer le reste de sa vie sous bonne escorte...

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Citations et extraits (77) Voir plus Ajouter une citation
Le port est à l'écart de la ville, un appendice toujours présent dans l'abdomen de la côte dont l'infection n'a jamais provoqué de péritonite. Certaines zones désertes sont coincées entre la terre et la mer mais semblent n'appartenir ni à l'une ni à l'autre. Un espace amphibie, une mutation aquatique. De la terre battue et des ordures : des années de déchets poussés vers la rive par les marées ont formé une nouvelle couche. Les bateaux vident leurs latrines et nettoient leurs soutes, laissant couler dans l'eau une mousse jaune. On répare les hors-bords et les yachts, on purge leurs moteurs, jetant tout dans la poubelle marine. Et tout se concentre sur la côte, formant d'abord une masse molle puis une croute dure. Le soleil fait apparaitre tel un mirage une mer faite d'eau, mais en réalité la surface du golfe est aussi brillante que des sacs-poubelle en plastique noir. La mer du golfe ressemble à une immense baignoire remplie d'hydrocarbures, non d'eau, et bordée par le quai couvert de milliers de conteneurs multicolores telle une barrière infranchissable. Naples est entourée par une muraille de marchandises, des remparts qui ne protègent pas la ville : c'est au contraire la ville qui défend ses remparts.Nulle part on n'aperçoit les bataillons de dockers, ni la pittoresque populace des ports. On imagine le port comme un lieu bruyant, envahi par des foules frénétiques, par le va-et-vient d'hommes cousus de cicatrices et parlant des langues improbables. C'est au contraire le silence d'une usine automatique qui pèse sur lui. Il ne semble plus y avoir personne sur le port, et les conteneurs, les bateaux et les camions semblent animés par un mouvement perpétuel. Une vitesse qui ne fait aucun bruit.
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Il était braqueur. Il faisait ça le samedi, tous les samedis, depuis pas mal de temps. Toujours sur la même route. La même route, à la même heure, le même jour. Car le samedi était le jour de ses victimes privilégiées : les jeunes couples. Et la départementale 87 était l'endroit où tous les jeunes couples du coin venaient pour s'isoler. Une route de merde, au bitume rapiécé, bordée de décharges sauvages. Chaque fois que j'y passe et que je vois ces couples, je me dis qu'il faut vraiment faire appel à toute la fougue dont on est capable pour passer un bon moment au milieu de cette désolation. C'est ici qu'Emanuele et deux de ses amis se cachaient, attendant qu'une voiture se gare et que ses phrases s'éteignent. Puis ils patientaient encore quelques minutes pour que le couple ait le temps de se déshabiller et, quand il était le plus vulnérable, ils surgissaient. Ils brisaient la vitre à coups de crosse et braquaient l'arme sous le nez du garçon. Ils les dépouillaient et passaient le week-end ainsi : commettant des dizaines de braquages, pour un butin de cinq cent euros.
Un butin minuscule, qui peut pourtant ressembler à un trésor.
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(Saviano cite une lettre d'un jeune détenu)

Tous ceux que je connais sont soit morts, soit en prison. Moi, je veux devenir un parrain. Je veux avoir des centres commerciaux, des boutiques et des usines, je veux avoir des femmes. Je veux trois voitures, je veux que les gens me respectent quand je rentre quelque part, je veux des magasins dans le monde entier. Et puis je veux mourir. Mais comme meurent les vrais, ceux qui commandent pour de bon. Je veux mourir assassiné.
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"C'est quoi un homme sans diplôme et avec un pistolet ?
- Un con avec un pistolet...
- Exact. C'est quoi un homme avec un diplôme et sans pistolet ?
- Un con avec un diplôme...
- Exact. Et c'est quoi un homme avec un diplôme et un pistolet ?
- Un homme, papa ! "

(p261)
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Choisir de sauver la vie à celui qui doit mourir, c'est vouloir partager son sort, car ici la volonté ne fait pas bouger les choses. Aucune décision ne permet de résoudre un problème, aucune prise de conscience, aucune idée ni aucun choix ne peut donner la sensation d'agir de la meilleure des façons. Quoiqu'on fasse, ce sera une erreur, pour une raison ou pour une autre. C'est ça, la vraie solitude.
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Vidéo de Roberto Saviano
"Mon ambition est de me venger envers ceux qui m'obligent à vivre ainsi." Roberto Saviano est un homme qui refuse de se taire. Il en paie le prix : depuis 2006, le journaliste italien est menacé de mort par la mafia et vit sous protection policière 24h sur 24.
Dans son nouveau livre “Crie le !”, il dresse le portrait de journalistes qui ont mis leur corps au service de la recherche de la vérité. Rencontre.
#mafia #justice #italie ________
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