AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782081236158
192 pages
Flammarion (08/09/2010)
3.95/5   33 notes
Résumé :

La philosophie vaut-elle une heure depeine ? Oui, mais pas pour les raisonsqu'on invoque habituellement : elle ne nous rend pas meilleurs ni plus savants, mais plus lucides : elle sert à « démystifier des foutaises ronflantes, à mettre un nez rouge aux idoles ».Ce décalogue contient les dix citations (sur l'amour, la tristesse, le travail, l'ennui, la souffrance, la sagesse, la mort, la philosophie), soigneusement choisies et... >Voir plus
Que lire après Philosophie sentimentaleVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
"Le malheur est qu'une fois lucide, on le devienne toujours d'avantage:
pas moyen de tricher ou de reculer. " (Cioran)

Vous pensez que l'étude des grands philosophes permet de mieux mener sa vie, de faire face à sa finitude ou de trouver une consolation aux aléas d'être né ? Habitué très tôt à penser dans les livres, Frédéric Schiffter, enseignant la philosophie depuis trente ans, qui a donc lu et étudié les penseurs, avoue que pour lui, philosopher consiste à examiner la pertinence de notions tenues pour évidentes, à démystifier des foutaises ronflantes et à mettre un nez rouge aux idoles. Il tient là un piste incitante, fil rouge des réflexions qu'il développe de façon convaincante sur dix chapitres, chacun basé sur un aphorisme d'auteur, pas nécessairement celui qu'on attendrait de celui-ci. Sa Philosophie sentimentale a obtenu le Prix Décembre en 2010.

Il est plus praticien que académicien, moins chercheur que maître de vie. Si deviser d'abstractions, se livrer à des joutes idéologiques est un art appréciable, la méditation philosophique inspirée de l'affectif au quotidien et surtout de douloureux événements lui semble la plus justifiable.

Schiffter n'approuve en effet l'oeuvre d'un penseur que si, en filigrane, celui-ci laisse percevoir le récit d'un chagrin personnel. "Sous le masque du cérébral, j'aime deviner l'orphelin, l'amoureux, l'abandonné, le déclassé, le décalé - l' «animal malade». "
Il s'explique à ce propos dans le troisième volet de l'ouvrage qui met Proust en exergue: "Les idées sont les succédanés des chagrins." Les années heureuses sont des années perdues pour un écrivain, affirme le romancier, car les chagrins sont utiles et mettent en marche la pensée et l'imagination en aiguisant la sensibilité. L'artiste donne à voir la réalité telle qu'elle est, dans ses détails et sa complexité, réalité qui demeure inaperçue des autres humains, distraits et préoccupés par la vie à mener, leurs enfants et leur carrière. Ces derniers portent sur leur vie un regard sans justesse, fait de généralités pauvres car ils ne sont conscients ni des motivations de leurs gesticulations et passions chaotiques, ni du drame singulier qu'est leur destinée. Proust rejoint en cela Schopenhauer pour lequel l'art est un activité d'infirme. Schiffter propose sa définition: "L'artiste souffre d'une atrophie du vouloir-vivre et d'une hypertrophie de la conscience. Moins il vit mieux il voit."
La mélancolie, le chagrin agissent en catalyseurs de la sensibilité, engendrant les grandes oeuvres révélatrices du monde tel qu'il est. L'idée ne remplace pas le chagrin mais se transforme en représentation de laquelle naît une nouvelle émotion: la joie esthétique. "Expérience de vérité enfin éclose qu'il vit avec la même allégresse qu'un aveugle recouvrant l'usage de ses yeux."

Provocation ensuite: 'Celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée pour soi est un esclave.' (F. Nietzsche).
On entend hurler Stakhanov et des DRH. C'est le commercial qui est sur la sellette. Non pas un commercial mais le commercial, celui qui ne vit que pour l'entreprise, qui en est l'incarnation. Là où, dans le zèle aveugle d'un employé ou d'un cadre, un directeur des ressources humaines verra de la motivation, il faut entendre, selon l'auteur, un 'vouloir-vire sans personnalité', un 'vouloir-être inexistant'. Pour qui donne son temps à un groupe, pour qui choisit une vie de labeur collective et anonyme, nul choix délibéré, nulle obéissance non plus, mais la phobie de s'individualiser et l'appétit de se fondre dans un tout, au point que la raison sociale d'une entreprise devient une identité.
Les gens disent: quoi de plus humain que de travailler et se distraire comme tout le monde ? Ils réclament et obtiennent un monde conforme à leurs exigences grégaires et en aucun cas ils ne cherchent à le rendre autre, à se rendre autres, c'est-à-dire s'aliéner dans l'acceptation favorable du terme(1). "Raison pour laquelle ils boudent l'art en tous ses domaines qui aliénerait heureusement leur sensibilité et leur jugement – si, bien sûr, chose improbable, ils lui consacraient le temps nécessaire pour en pénétrer, comprendre et savourer la beauté."

Le négoce — et les obligations sociales qui y sont liées — n'est pas la seule façon de dilapider le temps: les relations sociales peuvent s'avérer chronophages et même neurophages:"L'ennui avec les bavards c'est qu'ils n'ont aucun talent pour la conversation. "

Les conceptions de Frédéric Shiffter peuvent apparaître misanthropes (le Prix Décembre se veut une sorte d'anti-Goncourt). La réalité telle qu'il la conçoit n'est pas réjouissante: l'existence ressemblerait plus à une comédie dramatique absurde qu'à un miracle devant lequel il y aurait lieu de s'extasier.
Renvoyons le versant le plus souriant de nos esprits au billet précédent qui sollicite Maurice Carême. Nos autres exigences continueront à piocher les thèses idéologiques pessimistes (mais captivantes) dans la seconde partie

http://www.christianwery.be/article-philosophie-sentimentale-frederic-shiffter-2-115361841.html

de ce digest, différée à bientôt mais pas trop, question de méditer allègrement sur notre sort d'humains, tantôt heureux, tantôt moins, de l'être.

(1) L'aliénation dans le sens de s'individualiser, de s'éveiller et non dans son acceptation péjorative, comme l'ont pensée Guy Debord et Henri Lefebvre,... reposant sur le postulat rousseauiste selon lequel les humains sont des êtres de loisirs dénaturés par le système social capitaliste.
Lien : http://www.christianwery.be/..
Commenter  J’apprécie          130
A l'origine il y a une prise de position contre la philosophie (universitaire) et ses auteurs qui prétendent s'/lui arroger la mission de perfectionner l'âme, de discipliner l'esprit, de conduire à la sagesse ; s'y joint la méthode d'extraire une citation d'un auteur (philosophe ou non) que le nôtre chérit, afin d'en faire le pré-texte à des divagations de diverse nature, dont certaines sont foncièrement autobiographiques et d'autres plus classiquement exégétiques.

1. Nietzsche : "Celui qui ne dispose pas de deux tiers de sa journée pour soi est un esclave" -> critique de la société du travail-loisir contemporaine. Cette problématique a été très proche de moi, et le chapitre m'a procuré une jouissance particulière.

2. Pessoa : "Vivre une vie cultivée et sans passion, suffisamment lente pour être toujours au bord de l'ennui, suffisamment méditée pour n'y tomber jamais" -> très autobiographique, sur la manière dont la philosophie a affecté l'histoire de vie de l'auteur. J'ai retenu la cit. en exergue, attiré par l'idée d'une "vie méditée", mais là ma gratitude va surtout à l'écrivain portugais.

3. Proust : "Les idées sont des succédanés des chagrins" -> sur les rapports entre la biographie d'un auteur et son écriture, dans une perspective qui rapproche Proust de Schopenhauer.

4. Schopenhauer : "L'histoire d'une vie est toujours l'histoire d'une souffrance" -> (suite) approfondissement sur le philosophe allemand.

5. L'Ecclésiaste : "Ne sois pas trop juste, ne pratique pas trop la sagesse : pourquoi te rendre ridicule ?" -> mis en opposition avec L'Éthique de Spinoza afin de dégager de celui-là une approche précoce d'un certain nihilisme.

6. Montaigne : "Le but de notre carrière, c'est la mort." -> une lecture assez poussée cet auteur, dans sa filiation vis-à-vis de certains poètes et philosophes antiques, et par rapport à l'écriture du soi.

7. Chamfort : "La meilleure philosophie, relativement au monde, est d'allier, à son égard, le sarcasme de la gaité avec l'indulgence du mépris." -> sur les personnages de Philinte et d'Alceste dans le Misanthrope de Molière, ou comment Schiffter se voit (ou se représente) en société...

8. Freud : "Homo homini lupus : qui aurait l'audace, devant les enseignements de la vie et de l'histoire, de s'inscrire en faux contre cet adage ?" -> sur le concept de pulsion de mort que Freud développe dans son oeuvre de la maturité Malaise dans la culture, et insistant sur la réception très problématique de ce concept y compris chez des penseurs français récents (Lacan, Ricoeur, Levinas...)

9. Rosset : "L'état 'bordélique' est l'état fondamental de toute chose" -> autre pierre apportée à l'édifice nihiliste, contre la prétendue organisation du kosmos, et ses implications politiques.

10. Ortega y Gasset : "L'amour est la tentative d'échanger deux solitudes" -> sur l'amour : opposition entre la conception stendhalienne et celle du philosophe madrilène. Ce dernier chapitre est particulièrement réussi - je partage l'avis de Franz.
Commenter  J’apprécie          40
Dès la préface bien ourdie, la patte du philosophe moraliste Frédéric Schiffter agrippe tant par l'idée, ramassée, que par la forme, brève et percutante. Démystificateur, l'auteur met d'emblée les choses au net. Il n'existe pas de recette du bonheur et nul n'est en mesure de l'enseigner. Notre psychisme ne saurait être modifié par le biais de la raison, de l'éducation ou de la méditation : « Tels qu'en nous-mêmes la vie nous fige et l'âge nous ossifie. » Partant de cette mise à plat des ego, le lecteur peut verser toute son attention inquiète dans les aphorismes amoureusement couvés par l'auteur, de Nietzsche à José Ortega y Gasset en passant par l'Ecclésiaste, Pessoa, Schopenhauer, Proust, etc. Frédéric Schiffter commente et digresse sur la mélancolie, la mort, l'amour, etc. Les sept pages consacrées à Nietzsche décapent l'homme moderne, esclave de son travail et de ses loisirs. « Mieux vaut être oisif que de s'agiter à ne rien faire ! » A l'inverse, l'homme du loisir préfère le silence favorable à la rêverie. Chacun de nous en prend pour son grade mais il s'agit d'une leçon de survie. Si certaines digressions sont trop didactiques, voir Proust, d'autres commentaires portent une charge de vécu qui les rendent particulièrement émouvants tels ceux consacrés à Fernando Pessoa ou à Michel de Montaigne : « Montaigne meurt dans son manoir à cinquante-neuf ans, le 13 septembre 1592. Il était temps. Depuis des années, la santé désertait ses reins et la joie, son coeur. » Frédéric Schiffter possède l'art de la phrase impeccable, savamment construite, lisible et limpide, immédiatement compréhensible et chargée de sens. C'est un régal de chaque instant, un divertissement goûteux pris au palais croulant de nos vies qui se défont continûment. le dernier commentaire concernant José Ortega y Gasset est éblouissant. A l'auteur cité en exergue : « L'amour est la tentative d'échanger deux solitudes », Frédéric Schiffter conclue son livre par une phrase travaillée comme celle d'un moraliste du XVIIIe siècle, à l'instar du grand Chamfort (1741-1794) : « L'amour est la forme la plus exquise de l'inconfort de vivre. »
Commenter  J’apprécie          60
Un petit essai qui se décline en 10 tableaux, 10 auteurs, 10 concepts philosophiques sentimentales si on peut parler de sentiment en philosophie, mais soyez curieux…

Moi-même, je ne suis pas philosophe même si je l'apprécie, et pourtant j'ai lu ce livre avec beaucoup de plaisir, découvrant des personnages de façon différentes où l'auteur nous expose leur pensée, j'ai apprécié par exemple le chapitre “Montaigne” qui m'a donné l'envie de l'aborder. J'ai aussi souri au chapitre “Travail”, dont je rejoins l'auteur et Nietzche et je vous citerai uniquement cela sans vous dévoiler la profondeur de ce constat amer: “Celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée pour soi est un esclave…” si vous réfléchissez bien, après avoir lu ce chapitre, “l'esclavage” est en chacun de nous. A ce chapitre, l'auteur invite Sartre en abordant le thème de servitude non volontaire mais essentiellement désirée, tellement vrai.

***

Beaucoup de réflexions qui nous laissent en interrogation, et dont vous ne sortirez pas indifférents.

Le passage que j'ai relevé et en rapport avec la lecture, et sa réflexion encore une fois reflète aussi ma conviction, dans le sens, que je préfère me plonger dans un bon bouquin que de devoir subir en société, une présence fade et dépourvue d'intérêt, d'écouter les âneries des uns et des autres, et pire devoir y répondre
Un petit essai où la pensée de l'auteur se lie à ceux de ces 10 philosophes invités en ce lieu.

Malgré le côté pessimiste, j'ai apprécié cette lecture, qui m'a incité à réfléchir sur bien des points fondamentaux.

Voici 10 petites phrases citées par ces 10 personnages

Nietzsche : «Celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée pour soi est un esclave »

Pessoa : « Vivre une vie cultivée et sans passion, suffisamment lente pour être toujours au bord de l'ennui, suffisamment méditée pour n'y tomber jamais »

Proust : « Les idées sont des succédanés des chagrins »

Schopenhauer : « L'histoire d'une vie est toujours l'histoire d'une souffrance »

l'Ecclésiaste : « Ne sois pas trop juste, ne pratique pas trop la sagesse : pourquoi te rendre ridicule ? »

Montaigne : « le but de notre carrière c'est la mort »

Chamfort : « La meilleure philosophie, relativement au monde, est d'allier à son égard, le sarcasme de la gaieté avec l'indulgence du mépris »

Freud : « Homo homini lupus : qui aurait l'audace, devant les enseignements de la vie et de l'histoire, de s'inscrire en faux contre cet adage ? »

Rosset : « L'état « bordélique » est l'état fondamental de toute chose »

Ortega y Gasset : « L'amour est la tentative d'échanger deux solitudes »

Le livre s'achève donc sur une note plus gaie avec l'amour et j'ai aussi noté cette phrase que je trouve très belle : L'amour est la forme la plus exquise de l'inconfort de vivre..

Il faut avoir lu ce qui précède pour comprendre le réel sens de cette phrase et les autres, ne tentez donc pas de deviner ni même de supposer, lisez donc cet essai pour mieux appréhender toutes ces citations.

Vous y apprendrez également des petites choses décalées sur ces auteurs, pourquoi par exemple Platon n'était pas présent quand Socrate a bu la cigüe ? Je vous le demande en mille ! Nous vient même pas à l'idée tout simplement que Platon haïssait peut-être Socrate, allez savoir, après tant de siècles passés, l'histoire et les vérités se fondent souvent dans un puits d'imaginaire.


Lien : http://lesmotsdepascale.cana..
Commenter  J’apprécie          60
A travers dix auteurs, philosophes ou non et dix citations : Nietzsche : «Celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée pour soi est un esclave », Pessoa : « Vivre une vie cultivée et sans passion, suffisamment lente pour être toujours au bord de l'ennui, suffisamment méditée pour n'y tomber jamais », Proust : « Les idées sont des succédanés des chagrins », Schopenhauer : « L'histoire d'une vie est toujours l'histoire d'une souffrance », l'Ecclésiaste : « Ne sois pas trop juste, ne pratique pas trop la sagesse : pourquoi te rendre ridicule ? », Montaigne : « Le but de notre carrière c'est la mort », Chamfort : « La meilleure philosophie, relativement au monde, est d'allier à son égard, le sarcasme de la gaieté avec l'indulgence du mépris », Freud : « Homo homini lupus : qui aurait l'audace, devant les enseignements de la vie et de l'histoire, de s'inscrire en faux contre cet adage ? », Rosset : « L'état « bordélique » est l'état fondamental de toute chose » et Ortega y Gasset : « L'amour est la tentative d'échanger deux solitudes », Schiffter, professeur de philo dans un lycée du Sud-Ouest, nous propose sa vision très personnelle de la philosophie.
On comprendra que ses choix sont parfaitement parcellaires et subjectifs et que lui-même se considère comme un « penseur » atypique, dilettante, au sens noble du terme, nihiliste non conformiste et anarchiste non-violent. Il donne d'ailleurs une magnifique définition du terme : « L'anarchie n'est pas pour moi une option idéologique, ni un idéal à atteindre, une utopie alternative à la forme de désordre social qu'il combattent. Elle m'apparait comme la réalité même du politique. La mère et la reine des sociétés, des nations, des empires, dirait le sage d'Ephèse. de quoi me pousser au fanatisme de l'inaction. » Il ne se fait aucune illusion sur la bienveillance de ses semblables : « Le flegme philosophe de Philinte ? Soit. A condition de bénéficier d'un port d'armes. » Il n'aime guère les pédants, les donneurs de leçons ou les marchands de bonheur et n'a que mépris pour les successeurs de Freud, tels Reich, Lacan ou Lévinas. En bon humaniste, il se sent plus proche de Michel de Montaigne. Un joli essai, intelligent, un peu mélancolique mais très agréable à lire dans lequel, à défaut d'un art de vivre, le lecteur apprendra quelques petites choses amusantes sur nos grands penseurs. Spinoza organisait des combats d'araignées. Kant invitait des inconnus à sa table car il détestait manger seul. Et Platon était absent quand Socrate but la cigüe au milieu de ses amis. Charmante vulgarisation qui changera des sottises habituellement couchées sur papier blanc...
Lien : http://www.etpourquoidonc.fr/
Commenter  J’apprécie          60

Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Lors des interminables réunions entre professeurs qui me retiennent au lycée, je feins de m’absorber dans l’étude de tel ou tel document que l’on m’a distribué et dans lequel je cache mon bouquin. Serais-je moins bien élevé, je m’évaporerais pareillement quand je me barbe avec des proches. Même si je n’ouvre pas le livre que j’ai avec moi, sa présence me rassure. Je tiens là, à portée de main, un ami prêt à me faire franchir à tout moment la ligne de démarcation qui sépare la zone de la vie sans l’esprit, occupée par les forces de la bêtise, de la vulgarité ou de la platitude, de la zone libre où l’esprit circule de l’imaginaire à l’intelligence. Je ne cherche pas dans les livres un dépaysement. Si je pratique la lecture comme art de me transporter mentalement ailleurs, ce n’est pas dans le but de changer d’horizon, mais, au contraire, de retrouver mes pénates les plus intimes.
Commenter  J’apprécie          130
Notre savoir n'est autre que ce que notre pensée parvient à saisir du chaos avec le moins de confusion possible. Entre une croyance et une vérité, il n'y a pas une différence de nature mais de degré de précision — raison pour laquelle Montaigne en appelle pour lui-même à un gai savoir comme à une docte ignorance.
Commenter  J’apprécie          220
Montaigne est nihiliste parce qu'il est l'homme d'une pensée unique, la pensée de la mort. Il ne pense pas la mort, puisque la chose est impossible. "La mort, nous ne la pouvons essayer qu'une fois; nous y sommes tous apprentis quand nous y venons." En revanche, il pense à la mort - la sienne propre, celle des autres, celle de toutes choses - et en dépit du ton plaisant avec lequel, souvent, il en parle, il ne peut cacher qu'elle l'épouvante. Quand il lit chez Epicure que "la mort n'est rien pour les hommes", dans la mesure où "tant qu'ils vivent, elle n'est pas", et que, "quand elle est, ils ne vivent plus", il se demande si ce philosophe ne se paie pas de mots. "N'ayons rien si souvent en la tête que la mort", lui rétorque-t-il, même si pareille pensée en augmente la frayeur.
Commenter  J’apprécie          60
Je tiens depuis que philosopher ne consiste pas à enseigner à vivre ou à mourir, encore moins à nous consoler de notre finitude, mais à examiner la pertinence de notions tenues pour évidentes, à démystifier des foutaises ronflantes, à mettre un nez rouge aux idoles. En m'adonnant à ces exercices de lucidité, je ne vis pas mieux: je me divertis un peu.
Commenter  J’apprécie          120
Molière nous décrit tous les radins dans L'Avare ; tous les hommes qui aiment les femmes dans Dom Juan ; tous les faux-culs dans Tartuffe. Le fabuleux bestiaire de La Fontaine nous rappelle combien les mœurs ne varient jamais malgré le temps. En peignant la cruauté des hommes ou les saccages du temps, Bosch, Goya, Schiele nous surexposent la douleur d’exister en son essence même.
Dans Madame Bovary Flaubert démonte les mécanismes mortels de nos illusions narcissiques, Kafka, dans Le Procès, les rouages étatiques qui nous écrasent, Houellebecq, dans Les Particules élémentaires, les ressorts déprimants de notre plaisir sexuel.
Le temps de la contemplation picturale, de la représentation théâtrale, de la lecture poétique ou romanesque, nous accédons à une connaissance claire, distincte et jubilante de tout ce que produit la Volonté dans l’univers et en nous-mêmes. En cela, toute grande œuvre répond exactement à la définition scolastique de la vérité : une adéquation entre la conscience et la réalité.
Commenter  J’apprécie          20

Videos de Frédéric Schiffter (8) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Frédéric Schiffter
« Les gens sérieux friands de spéculations philosophiques jugent les aphoristes navrants parce qu'ils y voient des flemmards. Ils n'ont pas tort. La flemme est le ressort de ces penseurs primesautiers qui, fatigués à l'avance de se lancer dans des démonstrations, privilégient un style lapidaire et se reposent sur l'esprit de finesse de leurs lecteurs. Qu'on ne compte pas sur eux pour faire le travail tout seuls. […] Je ne connais pas personnellement Blaise Lesire, alias le Marquis de l'Orée, mais je crois pouvoir affirmer sans grand risque de me tromper que c'est dans son lit qu'il couche sur le papier ses « inscriptions » pendant qu'une amazone somnole à ses côtés, ou bien étendu sur l'herbe pendant que ses amies les chèvres, mutines disciples de Montaigne, laissent leurs pensées aller à sauts et à gambades. Il n'y a qu'un fervent praticien de l'écriture en état d'attention flottante pour réveiller son lecteur en le régalant de remarques lucides. […] » (Frédéric Schiffter)
« Ce devrait être un livre d'où surgiraient des ruisseaux, de la fumée, des calvaires, des musiques de foire, des caravanes pliantes, toutes sortes de lumières et d'horreurs. Ce devrait être un livre plein de vertiges, de femmes nues, de fausses ingénues, de trucs foireux et de ravissantes jeunes tueuses. Ce devrait être un livre que l'on pourrait ouvrir à n'importe quelle page, pour le reprendre ensuite des années plus tard. Ce devrait être un livre paresseux comme un miroir, les odeurs en plus. Ce devrait être la fin de l'homme, espérant le commencement de l'humanité sans jamais y croire vraiment. » (157, Marquis de l'Orée)
« La vieillesse m'apporte un seul et unique avantage : les voix qui me harcelaient en parlant haut et fort se sont peu à peu éloignées. Quant à celle qui persiste, la plus entêtée, je garde espoir de l'anéantir en la couchant sur quelques pages. En refermant rapidement cet opuscule navrant, j'espère atteindre ce plaisir inexprimable d'enfin réussir à écraser l'ennemi. » (1304, Marquis de l'Orée)
0:00 - 125. 0:10 - 174. 0:21 - 208. 0:34 - 209. 0:48 - 347. 0:59 - 386. 1:22 - 421. 1:36 - 610. 1:53 - 627. 2:35 - 958. 2:49 - 1022. 3:03 - 1114. 3:12 - 1124. 3:25 - 1152. 3:40 - 1267. 3:53 - 1286. 4:09 - 1389. 4:20 - 1405. 4:38 - 1501. 4:49 - 1670. 5:03 - 1702. 5:14 - 1858. 5:33 - Générique
Référence bibliographique : Blaise Lesire, Opuscule Navrant, Édition numérisée par l'auteur.
Bande sonore originale : Mini Vandals - Vespers on the Shore Vespers on the Shore by Mini Vandals is licensed under a CC-BY attribution license.
Site : https://www.youtube.com/channel/UCTdSDPjB1kle7puRKAuHP_g/videos
#BlaiseLesire #OpusculeNavrant #Aphorismes
+ Lire la suite
autres livres classés : philosophieVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (83) Voir plus



Quiz Voir plus

Philo pour tous

Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?

Les Mystères de la patience
Le Monde de Sophie
Maya
Vita brevis

10 questions
433 lecteurs ont répondu
Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

{* *}