AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Renatan


« le problème des hommes, c'est qu'ils ne savent s'entendre entre eux que ligués contre d'autres. C'est l'ennemi qui les unit. En apparence, on peut croire que le ciment joignant les membres d'un groupe, c'est une langue commune, une culture commune, une histoire commune, des valeurs partagées ; en fait, aucun liant positif n'est assez fort pour souder les hommes ; ce qui est nécessaire pour les rapprocher, c'est un ennemi commun. »

Bagdad est en feu. Les bombardements grondent de toutes parts. Attentats-suicides, coups de feu et explosifs, la ville est plongée dans le chaos. D'abord, il y eut Leila, ce grand Amour. Puis son père, sa nièce, ses beaux-frères : tous morts. Pourtant, jusque là, Saad n'avait jamais imaginé sa vie ailleurs que sous l'aile protectrice du parti Baas de Saddam Hussein, transmission d'un héritage religieux plus qu'affectif. Admiré par son peuple autant que redouté, le dictateur irakien venait de déclencher, en 90, la guerre contre le Koweït. Alors que son peuple crevait de faim, il construisait de nouveaux palais, proclamant, à coup de dictature, sa haine à l'encontre des kurdes, juifs, chiites, complices d'Israël ou amoureux de l'Amérique. Mais tout cela, c'était avant Leila. Car depuis sa mort, les choses ont changé…

« le passé n'est pas un pays qu'on laisse facilement derrière soi »

Aujourd'hui, Saad déteste le monde arabe. Il a besoin de quitter l'Irak, de s'enfuir, d'éclore ailleurs. Autre villes, autres pays. Il caresse l'idée de gagner l'Europe. D'abord se rendre au Caire, rejoindre ensuite la Lybie, traverser jusqu'à Lampedusa puis Malte et s'établir à Londres. le statut de réfugié lui est refusé. Pour l'aider à passer les frontières, on lui proposera de devenir terroriste, de rallier Al-Qaida et le mouvement islamiste. Sait-il seulement, comme migrant, le chemin qui l'attend? Comment parcourir des milliers de kilomètres sans un dinar? le monde clandestin offre un univers cimenté par la peur et la méfiance. La promesse d'une vie meilleure arrivera-t-elle à effacer en lui cette vie d'avant marquée par la guerre, les souffrances et les morts? Durant ce long périple, il sera accompagné par le fantôme de son père, avec qui il aura des conversations sur l'importance des choix que nous faisons et avec lesquels il faut accepter de vivre.

« Les hommes sont des papillons qui se prennent pour des fleurs : dès qu'ils s'installent quelque part, ils oublient qu'ils n'ont pas de racine »

« le bonheur qu'on attend gâche parfois celui qu'on vit »

À bord des bateaux chargés de clandestins, il souffrira de la soif, de la faim, de crampes à l'estomac, de douleurs insupportables. le visage hagard, épuisé, il savait pourtant qu'il confiait sa vie à une fragile embarcation. Qu'en mer, quand la tempête se lève, les vagues ont des lames affinées qui vous avalent et vous noient. Et que peu survivent au naufrage… Mais Saad était prêt à tout pour oublier cette vie d'avant. Car en plus de la mer, il vivra la peur des gardes-côtes, la terreur des centres de détention et les interrogatoires sans fin. Il fuira la mafia d'Italie, les barbelés, les gens douteux et les assassins. Saad a envie de liberté autant qu'il a besoin de refaire sa vie. Ailleurs…

« -D'où es-tu?
-Je ne m'en souviens plus, Vittoria.
-Bien sûr… tu me le diras plus tard. Comment t'appelles-tu?
-Je ne m'en souviens plus. Comment veux-tu m'appeler?
-Puisque je t'ai trouvé nu sur la plage, telle Nausicaa découvrant Ulysse nu entre les roseaux, je t'appellerai Ulysse. »

Tel Ulysse, Saad est un héros. Il a choisi la vie à la mort, la liberté aux chaînes de la dictature.

« J'aimerais que tu t'épanches, Ulysse, que tu me fasses confiance, que tu me décrives ton passé.
-Qu'est-ce que ça changerait?
-Ça me permettrait de t'aimer mieux.
-Ta façon actuelle me convient.
-Ça prouverait que tu m'aimes. »

Éric-Emmanuel Schmitt arrive une fois de plus à me secouer les tripes. Cet homme, de loin l'un de mes auteurs favoris, est un vrai génie. Un génie de sensibilité face aux souffrances humaines et aux couleurs de l'âme. Il arrive à analyser le contexte historique et les enjeux dans lesquels ses personnages s'inscrivent pour nous faire vivre, de près, tantôt leurs blessures, tantôt leurs défis. Son univers romanesque est habité par la générosité et l'entraide. Dans Ulysse from Bagdad, donnant vie à Ulysse à travers le personnage de Saad, il questionne le sens du mot liberté et du sentiment d'appartenance. Être libre, mais a quel prix? Avec et contre qui? On a beau fuir son pays, ce qu'on trouve au bout du chemin n'est pas forcément le rêve qu'on souhaitait. Si l'homme était resté nomade, aujourd'hui, y aurait-il autant de frontières? Une chose est certaine, le rêve est le moteur de la vie. Et cette lecture s'inscrit parfaitement dans la crise actuelle des migrants en Syrie.

« Ériger des frontières, est-ce la seule manière pour les hommes de vivre ensemble? »

Merci à vous M. Schmitt, votre plume est magnifique et vos mots trouvent écho en moi…


Petit encart pour mentionner les romans d'Éric-Emmanuel Schmitt que j'ai adoré, comme je n'aurai peut-être jamais l'occasion de faire des billets sur ces lectures. Mes plus gros coups de coeur vont à ses romans du Cycle de l'invisible : Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran, Oscar et la Dame rose et L'enfant de Noé. Sans oublier tous les autres : Lorsque j'étais une oeuvre d'art, Milarepa, le Sumo qui ne pouvait pas grossir, La Part de l'autre, Ma vie avec Mozart et d'autres encore.

Lien : http://www.lamarreedesmots.c..
Commenter  J’apprécie          260



Ont apprécié cette critique (16)voir plus




{* *}