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Dominique Laure Miermont (Traducteur)Aurélia Grandin (Illustrateur)Didier Raymond (Auteur de la postface, du colophon, etc.)
EAN : 9782842053017
96 pages
1001 Nuits (19/05/2003)
  Existe en édition audio
3.59/5   621 notes
Résumé :
L'Art d'avoir toujours raison (en allemand Die Kunst, Recht zu behalten) est une œuvre du philosophe Arthur Schopenhauer qui traite de l'art de la controverse ou « dialectique éristique ».

Rédigée vers 1830-1831 et publiée en 1864, elle est parfois éditée en France sous le titre académique de La Dialectique éristique (en allemand Eristische Dialektik, du grec ἐριστική τέχνη).
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Critiques, Analyses et Avis (45) Voir plus Ajouter une critique
3,59

sur 621 notes
Voilà plusieurs jours que je ruminais les péripéties énervantes d'un conflit de voisinage bien stupide. Et puis je mets la main sur cet opuscule. "L'Art d'avoir toujours raison", voilà le livre qu'il me faut me suis-je dit. Ce soir je vais philosopher "utile", venez-y voir.

Ce petit livre m'aura quand même éclairé sur la raison première de bien des tourments qu'endurent les idéalistes dans mon genre. Voyez-vous, les gens, dans une grande majorité, cherchent à avoir le dernier mot. Ils veulent avoir raison. Et moi aussi je veux avoir raison. Mais je me trompe de chemin car pour avoir raison je cherche le chemin de la Vérité.

Je vous entends rire bande d'animaux sociaux. Mais oui, vous aviez bien compris qu'une vérité mal argumentée prend toujours l'eau dans un océan de mauvaise foi. Avoir raison est étranger à la Vérité, on appelle ça la dialectique et c'est un sport.

Je vais vous dire, le pire ennemi de la Vérité c'est bien l'esprit de compétition !
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Voilà un titre qui me plait beaucoup. Pure coïncidence, mais c'est mon cas : j'ai toujours raison. Mais ce n'est pas un art chez moi, non c'est inné, depuis l'âge d'un jour, j'ai toujours eu raison, c'est comme ça, je n'y peux rien...
Mais revenons à Arthur. Notre philosophe positif nous dit : " Chez certains, la vanité innée est accompagnée d'incontinence de langage et d'une malhonnêteté native... On croit souvent avoir raison alors qu'on se trompe " . Tout à fait d'accord ! C'est incroyable le nombre de vaniteux qui pensent avoir toujours raison !
Schopenhauer nous dit aussi : " La dialectique scientifique, telle que nous la concevons, a pour principale mission d'élaborer les stratagèmes de la malhonnêteté dans la controverse" . Joli programme qui me convient tout à fait.
Il poursuit : " Il faut mettre l'adversaire en colère ; car, dans sa fureur, il est incapable de porter un jugement exact et de s'apercevoir de son avantage. On l'agace en étant ouvertement injuste à son égard, en le harcelant en étalant d'une manière générale son impudence. Et si l'adversaire se met particulièrement en colère lorsqu'on utilise un certain argument, il faut l'utiliser avec d'autant plus de zèle : on peut présumer avoir mis le doigt sur le point faible de son argumentation et qu'il est d'autant plus exposé que maintenant qu'il s'est trahi ". Oui mais il faut quand même faire attention avec la colère, si votre adversaire à un physique à la Teddy Riner, ça peut mal se finir...
Et Arthur de conclure : ""Très peu de gens savent réfléchir et si votre adversaire est timide, ou stupide, et que vous vous montrez suffisamment audacieux et parlez suffisamment fort, déconcerter le, stupéfier le par un flot insensé de paroles. " C'est précisément ce que je fais avec mon vouazin quand il se plaint qu'on fait du boucan en écoutant du métal jusqu'à pas d'heures...
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Aristote, dans ses Topiques, n'avait écrit « presque que des choses allant de soi et que le bon sens prend en considération de lui-même » et Cicéron, dans un ouvrage du même titre, n'avait rien commis de mieux qu'une imitation « faite de mémoire, extrêmement superficielle et pauvre ». Arthur Schopenhauer s'inscrit donc en critique sévère de ses prédécesseurs : comment de tels timorés ont-ils pu réellement analyser la dialectique ? Avec leur gaucherie pleine de bonnes intentions, ils semblent avoir oublié le motif principal de toute controverse : le triomphe. C'est ce qui fonde la dialectique éristique dont la conclusion sonne comme une victoire, et peu importe que les thèses et la matière n'aient aucun rapport avec l'exactitude. On se trouve près de la dialectique sophistique, si ce n'est que cette dernière atteint un degré d'infamie un peu plus élevé car si celle-ci méprise également toute éthique dans sa démarche, elle cherche en plus à s'octroyer un gain financier ou mondain. Mais Schopenhauer n'en est pas encore là…


Avec son cynisme légendaire et outrancier, Arthur Schopenhauer déploie une liste de stratagèmes tous plus immoraux les uns que les autres : faire semblant de ne pas comprendre les arguments de son adversaire et les retourner contre lui, postuler ce qui n'a pas été dit, fâcher l'adversaire, parier sur son idiotie, son manque d'assurance ou du peu de crédit dont il bénéficie vis-à-vis de l'auditoire, raconter n'importe quoi, paraître intelligent en utilisant des grands mots, en inventant des références ou des théories d'autorité, faire diversion ou détourner la conversation –tous stratagèmes qui se foutent de la raison pour mieux dénigrer la bassesse des motivations qui incitent les hommes à jouer aux intellos. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la publication de ce traité hautement pédagogique survint à une période où la philosophie s'encanaillait de sciences. Depuis Port-Royal, Frege et Kant, aucune analyse dialectique ne semblait digne d'être étudiée si elle n'avait pas le moindre rapport avec le modèle mathématique. Mais tout cela sera toujours basé sur du vent, tant que n'aura pas encore été élucidée la nature même, triviale et bestiale, des intentions secrètes des hommes. Schopenhauer procède à la démystification dans ce faux traité pédagogique, moins hypocrite que les autres en raison même de son irrationalisme.

Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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"On croit souvent avoir raison alors qu'on se trompe." ( Schopy )
"La vanité innée, particulièrement irritable en ce qui concerne les facultés intellectuelles, ne veut pas accepter que notre affirmation se révèle fausse." ( Schopy )
Bon, voilà pourquoi nous sommes obligés de nous défendre contre ce que j'appelle les OTR, ceux qui Ont Toujours Raison !
Ce petit livre consiste en 38 stratégies pour contrer l'Adversaire.
Si l'Adversaire était à la recherche de la Vérité comme Schopy, tout serait simple, mais la plupart du temps, c'est plus compliqué : les hommes veulent "valider" leur thèse au mépris de la Vérité.
Les deux adversaires présentent deux thèses ;
il y a controverse ;
et ensuite, soit on chemine vers la Vérité ;
soit il y a dialectique, l'art de se défendre, avec réfutation directe ou indirecte. C'est à ce moment que Schopy part sur les techniques dialectiques issue des topiques d'Aristote, et nous balance grec et latin, tout au long de ses 38 stratagèmes.

Quand on comprend que l'Adversaire cherche à gagner plutôt que d'aller vers la Vérité, alors on utilise les mêmes armes que lui : la dialectique.
La dialectique, c'est une joute intellectuelle qui ressemble à un jeu d'échecs. On essaye de prévoir les coups-arguments de l'Adversaire.
Cela ressemble aussi parfois à du jiu jitsu : utiliser la force de l'Adversaire, accentuer ses arguments afin de le faire tomber.
Enfin, les derniers stratagèmes prennent à témoin le public ignorant qu'il est plus facile à manipuler;
il y a aussi ceux qui appuient sur le point faible de l'adversaire pour le mettre en colère, afin qu'il perde sa concentration.
Le 38è stratagème est l'ultime parade quand on voit qu'on a perdu : l'attaque personnelle : c'est un peu ce qu'il a fait avec Cicéron ou Hegel.
Je pense que les avocats et les politiques s'en donnent à cœur joie avec la dialectique.
Dans "Les Provinciales", de Pascal, j'avais déjà remarqué la sacrée dialectique dont faisaient preuve les rusés jésuites.

Bon, je suis nul en dialectique, je n'aime pas ça. En tous cas, j'aurais honte à utiliser la stratégie 38.
J'ai eu de rares OTR dans les commentaires de mes critiques, j'ai préféré les virer !
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Cet opuscule est une liste de procédés de la mauvaise foi exaspérante et stérile. Tout ce qui, dans un débat, ne vient pas au fait et détourne de l'exercice méthodique de la raison, tout ce qui éloigne de l'objectivité et ne cherche que des effets d'adhésion pour soi ou de rejet pour autrui, y figure en énumération systématique avec terminologie latine et exemples, provoquant l'agacement lié au souvenir de toute controverse où quelqu'un a préféré détourner le sujet de la recherche sincère et impartiale de la vérité – expérience commune, désespérante routine à notre époque de l'effort suffoqué. L'origine de cette tendance ne se situe pourtant guère dans quelque stratégie ou tactique préparée, ni dans quelconque machiavélisme assumé et conscient, ni dans n'importe quel entraînement rhétorique ; elle est à distinguer presque exclusivement dans la volonté de « garder la face » quand on se sent en position de la perdre : il s'agit alors de déplacer l'enjeu de la polémique non sur la vérité qui s'échappe et dont on se devine lentement démuni – ce qui peut revenir à se savoir dépossédé de tout jusqu'à soi-même –, mais sur l'interlocuteur qu'on veut démettre, par urgence ou par vengeance, de son air de domination, de sa prestance, en laquelle on suppose le souhait de nous réduire, de nous vaincre, de nous annihiler, au lieu seulement d'annuler logiquement et impersonnellement notre thèse.
Or, pour arriver à une telle conception du débat et notamment à une si grande crainte de passer pour faible et d'être défait sur le plan de la vérité, on doit ressentir une fébrilité préalable qui est comme un ridicule intérieur qu'on redoute de révéler. Quelqu'un qui s'inquiète de son image au point de déraisonner n'a pas foi en lui et ne se préoccupe pas tant de sa profondeur que de sa superficie : il veut conserver son apparence de solidité et d'éternité de jugement, mais il n'a cure de déplacer ses vues dans le domaine de l'exactitude pour affiner ses opinions ; c'est, en somme, un être de positions, là où la vérité, tant qu'on n'est pas, par sa puissance acquise, comme destiné à être partout victorieux, consiste toujours en une guerre de mouvements, car on ne saurait, je pense, être sage avant d'avoir longtemps réformé ses avis – c'est une évidence qu'on sent par l'expérience et qu'on préfère donc dissimuler par bravade. Voilà pourquoi toute tentative d'écrasement en-dehors de la sphère rationnelle, c'est-à-dire toute volonté autre que de se perfectionner dans l'appréciation du vrai, me paraît toujours un indice et même la preuve d'un doute intime, ce doute qui, lorsqu'on est acculé à la faute, tient à se précipiter hors d'affaire par une violence qui ne respecte pas les règles du jeu. Ainsi, chaque fois qu'on se croit dépassé par son adversaire, on commet une triche, à la fois par frustration de ne pouvoir rivaliser et par souci d'infliger au « physique » la blessure qui sera la contrepartie de son propre orgueil blessé. Il faut se sentir – donc vraisemblablement pas tout à fait se savoir – inférieur pour recourir à l'abus comme en une partie de cartes l'on n'est tenté à l'anti-jeu que lorsqu'on se trouve perdant et impotent à l'emporter par d'autres moyens. Il faut ainsi craindre beaucoup plus de soi-même que de l'autre pour en arriver à l'extrémité de la mauvaise foi dans une controverse, il faut trouver par exemple qu'on est mal à l'aise, qu'on n'a pas les compétences requises, il faut en avoir vaguement conscience, du moins percevoir sa limite, et jouer alors un jeu de duperie selon des raisons alternatives c'est-à-dire des procédés spécieux. On prétendre cependant avoir raison pour quelque intérêt vénal lié à la fois à l'estime-de-soi qu'on tient à forcer et à l'image publique qu'on a patiemment bâtie sur quelque vantardise, mais c'est au risque, sur un tort bien démontré, que tout s'écroule ensemble et qu'on passe enfin longtemps pour ce qu'on est, c'est-à-dire un simulacre ou un fanfaron. Mais au contraire, on gagne toujours à être modeste au sujet qu'on ignore ou qu'on connaît peu, parce qu'on s'épargne ainsi de s'enfoncer dans des embarras dont on ne saurait sortir sans honte et par des biais difficultueux, encore doit-on au préalable être en mesure de reconnaître la différence entre ce qu'on sait et ce qu'on ignore, ce qui implique au moins de savoir quelque petite chose, distinction qui n'est pas du tout évidente au Contemporain parce qu'il n'entend plus, à force de tout méconnaître, ce que signifie la certitude d'être expert en tel domaine, par conséquent c'est faute d'être bon en un seul sujet que, se croyant égal en tous, il panique à l'idée d'être défaussé d'une seule connaissance, ce qui revient soudain pour lui à être reconnu universellement nul. Autrement dit, si le Contemporain manque de distinguer ses savoirs (de ses lacunes), c'est parce qu'il n'en possède pas. C'est, en somme, parce que j'ai acquis la connaissance de spécialités qui suffisent à me valoriser d'un côté que, sans hésitation ni douleur, j'avoue sur-le-champ ce qui me fait défaut, n'ayant pas l'usage de recourir à des tromperies pour atteindre à des succès que je priserais peu et qui m'humilieraient les sachant de faible valeur cependant que je me sais sur maints autres sujets en pleine capacité de triompher justement parce que j'y suis plus propre qu'aucun autre. En quelque sorte, les victoires que je me devine sur des sujets où j'excelle compensent maintes défaites que je puis avoir sur d'autres de façon que je n'en tire aucune façon d'humiliation – une voix en moi me dit alors, au moindre soupçon de vexation : « Mon adversaire l'a bien emporté ici, mais sur plusieurs autres sujets il ne rivaliserait pas », et voilà, s'il était besoin, qui suffit à me consoler d'une infériorité que, puisqu'elle n'est que ponctuelle, je ne redoute plus d'admettre volontiers (même si cet aveu d'incompétence ne m'empêche pas de signaler parfois ce qui manque à mon contradicteur pour prétendre à me dominer).
C'est ainsi que je ne crains guère de me tromper ; j'apprécie plutôt – c'est apparemment désarmant – qu'un interlocuteur m'enseigne clairement l'endroit de mes insuffisances, le lieu où je manque mon argumentation, parce qu'un tort ne me nuit pas tout entier et parce que je me sais plus valeureux et plus complet à ne pas avoir peur de me révéler et d'apprendre – en somme, je surprends l'ennemi, pareil au chien qui se sait d'emblée vaincu et qui, ne voulant pas risquer de combattre pour sa défaite certaine, se met sur le dos et ne montre les dents qu'à la dernière extrémité (mon cocker procédait ainsi avec cette sorte de désarmante amitié, et il n'a jamais été mordu, même par un chien belliqueux et massif). Je ne ressens ainsi nulle humiliation à indiquer que j'ignore quelque chose ou que je suis moins fort sur tel sujet particulier, et c'est parce que je ne m'avance jamais en me faisant plus puissant et imposant que je ne suis. Même dans mes domaines de spécialité, j'admets fort que je puisse être temporairement supplanté, si bien que je n'appréhende pas négativement qu'on m'enseigne là-dessus ce que je ne connaissais pas. C'est ainsi qu'une controverse n'a pour moi jamais rien qui puisse m'abaisser, je me crois même une certaine hauteur à admettre hautement ignorer quelque chose et vouloir l'apprendre de celui qui m'objecte ; je ne me sais nulle réticence à changer d'avis ou à émettre des réserves sur mes propres opinions quand je me sais les improviser ou quand je doute de leur bien-fondé ; j'expose toujours plutôt mes failles que je ne les dissimule, et c'est à peine si je comprends qu'on puisse s'offusquer d'avoir tort. Oui, mais voilà : ce siècle est puéril, il se sait foncièrement et presque constamment tort faute d'avoir jamais dûment appris une chose, et tout ce qui s'y présente est une consternante somme d'approximations qu'on veut faire passer pour sûres afin de ne point se donner la peine d'en rechercher davantage les fondements. Aujourd'hui, l'objection efficace ne blesse pas seulement l'égo, mais elle heurte par avance la patience parce qu'on se désespère d'avoir à multiplier ensuite des lectures fastidieuses (j'ai maintes fois constaté que toute lecture documentaire est devenue fastidieuse au Contemporain) pour pouvoir répondre ultérieurement à son détracteur : on préfère se contenter toujours de ce qu'on croit savoir, c'est moins fatigant, et si l'on prétend manquer de temps à notre époque, c'est que le temps libre est devenu affaire de pur divertissement et nullement d'édification quelconque. Un contradicteur, outre qu'il nuit à votre image quand celle-ci constitue la possession morale qui, longue à bâtir, est votre bien le plus précieux, vous engage toujours à des travaux supplémentaires, et, en vous révélant votre insuffisance, réalise sur vous une contrainte qu'on ne voudrait jamais permettre à autrui, qu'on juge une impudeur, une façon de viol de l'intimité, de désagrément en tous cas, qui approche la nuisance et qui devrait pour cela être illicite. Souffrir un opposant oratoire, c'est souffrir tout court : or, voilà ce qu'on ne permet plus en un siècle de droits policés ; ainsi autant, face à une si outrageuse délinquance, avoir recours aux plus grandes disproportions de la pensée et de la parole, ce que, croit-on, la violence subie permet. On rend ainsi l'impression d'un dommage au moyen d'une rétorsion plus infecte encore comme une manière de légitime défense, parce qu'on sent bien qu'on risquerait, autrement, de disparaître. Oui, mais ce sentiment de fragilité précède de loin une véritable agression qu'on aurait effectivement reçue : il ne s'agissait que de trouver une raison !
Ainsi, la mauvaise foi, je le répète, n'est pas calculée ou délibérée, elle ne se définit pas comme une technique élaborée de la parade dialectique, elle n'est pas davantage le fruit d'un enseignement que ne le serait, aux antipodes, quelque glossaire méthodique de la franchise ou de la vérité, mais c'est spontanément qu'elle s'impose comme un rempart, comme une riposte démesurée, comme une contrepartie cinglante dont la superficialité troublée est masquée par l'effet immédiat de violente rancune. C'est que la mauvaise foi tâche à prévenir par déloyauté un péril induit à la structure même du Contemporain plutôt que, comme l'opposant se le figure à l'imitation de son propre ressenti s'il est sage, à la forme malléable de sa pensée : il ignore, cet opposant, que la pensée de son rival n'est ni perfectionniste ni ductile, mais qu'y toucher et que l'étendre revient à la travailler et à la rompre, que c'est y introduire une tension, et que c'est l'échauffer durement que d'y intervenir et la manipuler. Car un vrai philosophe, lui, ne se soucie guère de l'identité de son interlocuteur, il n'en a cure, seules ses pensées l'intéressent avec ses objections, et jamais il ne croit jamais blesser une personne en lui opposant ses raisons puisqu'il suppose que, comme lui, seules ses pensées sont engagées qu'il a flexibles et mutables. Or, ce penseur détaché, si sagace soit-il, n'est pas toujours apte à comprendre que le Contemporain avec qui il s'entretient, ne disposant guère de profondeur, n'use quasiment que de mauvaise foi parce qu'il est en constante détresse de se découvrir entier, parce que ses vertus sont toujours usurpées et feintes, parce qu'il ne dispose d'aucune défense, parce qu'il est désarmé face à toute critique et parce qu'il n'envisage pas même le moyen qu'il aurait de lutter contre ce qu'il ressent comme sa réduction totale, hormis une variété de morsure. Cet homme moderne est acculé, se sent tout entier menacé, en péril dans son être et pas seulement sur tel petit sujet dérisoire parce que ce sujet est analogue à tout ce qu'il croit le mieux savoir, alors il exprime la hargne des désespérés qui souffrent d'être sans capacité et dont la frustration implique l'excès parce qu'ils craignent autrement d'avoir de quoi réfléchir pour finir par s'en vouloir de leur incompétence. La mauvaise foi est ainsi à peu près une improvisation, jamais un calcul, en quoi dresser la liste des procédés de mauvaise foi est assez inutile, car elle suppose qu'on serait assez pertinent pour apprendre les stratagèmes biaiseux du mensonge alors que les franches astuces de la vérité ne sont pas plus difficiles à acquérir et n'induisent pas, au surplus, l'inconfort intérieur de se sentir en faute ou en tort. En somme, il est plus aisé de songer à une méthode qui ne laisse aucune répartie à ses opposants plutôt que de chercher par quel propos contourné et auquel on n'adhère pas on peut parvenir à gagner l'illusion d'avoir emporté une escarmouche – contournement risqué du reste, car si l'adversaire réussit à y répliquer, il faudra s'aventurer plus loin dans un système auquel on ne croit déjà pas et qui nous fera probablement déraisonner en excès patents, de sorte qu'il sera impossible à quelque terme de faire admettre qu'on y adhère sans susciter une impression de bizarrerie, impression qui caractérise la mauvaise foi déjouée. C'est pourquoi la mauvaise foi consciente et volontaire est un pari où l'on a beaucoup à perdre.
Ici, Schopenhauer prétend qu'à défaut de pouvoir, dans l'instant d'une dispute, identifier si l'on a tort ou raison, on peut transmettre au moins quelque profitable illusion de persuasion, pour l'adversaire ou pour l'audience, au moyen d'effets travaillés et prévus, et que ce livre a pour dessein de les rendre explicites et évidents, que ce soit pour en user ou s'en défendre. Mais je doute que ni l'idiot ni le sage ait besoin de les trouver ainsi classés (ad rem, ad hominem, ad personam, apagogè, instance, pétition de principe…), car l'idiot ne saura les apprendre comme repères de sagesses, et le sage n'ignore pas comment les signaler spécieux c'est-à-dire idiots : c'est prêcher ou des sourds ou des convaincus. Et voici donc un répertoire qui, pourtant joliment docte et compendieux, ne sert à personne, reproche que, du reste, l'auteur lui-même a la finesse et l'audace d'adresser à Aristote à cause de ses Topiques dont il juge, s'agissant des topoi dont le philosophe antique dresse une longue liste rébarbative, « qu'il est plus facile d'en remarquer le respect ou la violation dans un cas particulier que de se souvenir du topos abstrait applicable en ce cas : de là vient justement que l'utilité pratique de cette dialectique est mince » : pourquoi Schopenhauer n'a-t-il su appliquer à lui-même cette critique avisée qui convient à son essai ? C'est vrai qu'on y retrouve la plupart des actes captieux de la sophistique tels que souvent on les entend sans pour autant les croire travaillés ni intentionnels (se figure-t-on qu'un sophiste pense, dans l'instant d'une difficulté : « Je vais, à cet instant critique du débat, être délibérément de mauvaise foi en recourant à tel procédé déloyal ! ») ; vrai aussi que l'auteur y adjoint parfois un bref « guide de désamorçage » à dessein d'y obvier, mais je ne sache pas que ces indications permettent de les annuler des conversations quand même tout débateur actuel serait lecteur de Schopenhauer, et je ne crois pas que les gens soient aptes, ou même l'aient jamais été, à tirer avantage d'un livre pour en transposer les leçons dans l'existence, de sorte qu'ils ne sortiront pas plus raisonnables d'une description systématique de la mauvaise foi, en ce qu'ils préfèreront l'estimer applicables à d'autres pour qui le profit serait plus grand que pour eux-mêmes ; ils ne s'empêcheront pas non plus d'avoir « toujours raison » par n'importe quel moyen mordant, et ils ne jugeront pas avec plus de lucidité qui est, dans un débat, celui qui détient la vérité la plus grande et remporte le conflit, notamment par l'analyse de celui que l'emprunt à telle irrégularité logique, classifiée dans cet opus, disqualifie.
En somme, on trouve certes un peu d'auto-complaisance autobiographique et pédante en ce relevé des ruses pour triompher tout en ayant tort, et il ne se peut qu'un lecteur avisé n'y discerne une sorte de malin plaisir de Schopenhauer à montrer combien le vice en rhétorique peut-être rentable et délicieux, plutôt qu'un souhait d'édification à inciter à débattre avec à-propos et vertu : la focalisation est assez nettement du côté du tricheur, et, quand l'auteur paraît s'offusquer du vilain procédé qu'il explique, il n'incite le plus souvent à le contrecarrer qu'en recommandant le recours à la triche opposée – c'était nettement un matois bonhomme que ce Schopenhauer qui n'ignorait pas, au point d'en dresser une classification, tous les trucs par quoi, à défaut de certitude ou de triomphe objectif, il se savait, en présence d'un piètre adversaire ou d'une mauvaise audience, pouvoir gagner dialectiquement une controverse, quelle que fût ses arguments. C'est ainsi l'ouvrage plutôt anecdotique d'un régal de vilénies, pas si assumé qu'un Machiavel, mais tout de même assez pour faire vibrer en soi la fibre de l'agacement, puisque c'est désormais de nos jours que la controverse est bâtie de pareils insupportables enfantillages, et puisqu'on ne tarde pas à s'apercevoir que la théorie ainsi explicite de la bêtise et de la hargne rencontre, chez nous, le constat non de l'exception, mais de la normalité.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Citations et extraits (77) Voir plus Ajouter une citation
La vanité innée, particulièrement susceptible en tout ce qui concerne les facultés intellectuelles, ne veut pas admettre que notre affirmation originelle est fausse, ni que celle de l'adversaire apparaisse juste. Par conséquent, chacun, sans doute, ne devrait rien chercher d'autre que de formuler des jugements justes : pour en arriver-là, il devrait commencer par réfléchir, et ensuite ouvrir la bouche. Mais, chez la plupart des hommes, la vanité innée est accompagnée d'incontinence de langage et d'une malhonnêteté native.
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Ce que l’on appelle l’opinion générale est, somme toute, l’opinion de deux ou trois personnes et il est aisé de s’en convaincre lorsque l’on comprend comment l’opinion générale se développe. C’est deux ou trois personnes qui formulent la première instance, l’acceptent et la développent ou la maintiennent et qui se sont persuadées de l’avoir suffisamment éprouvée. Puis quelques autres personnes, persuadées que ces premières personnes avaient les capacités nécessaires, ont également accepté ces opinions. Puis, là encore, acceptées par beaucoup d’autres dont la paresse a tôt fait de convaincre qu’il valait mieux y croire plutôt que de fatiguer à éprouver eux-mêmes la théorie.

Ainsi, le nombre de ces adhérents paresseux et crédules grossit de jour en jour, car ceux-ci n’allaient guère au-delà du fait que les autres n’ont pu être que convaincus par la pertinence des arguments. Le reste ne pouvait alors que prendre pour acquis ce qui était universellement accepté afin de ne pas passer pour des révoltés résistant aux opinions que tout le monde avait accepté, soit des personnes se croyant plus intelligentes que le reste du monde.

Lorsque l’opinion a atteint ce stade, y adhérer devient un devoir, et le peu de personnes capables de former un jugement doivent rester silencieux : ceux qui parlent sont incapables de former leurs propres opinions et ne se font que l’écho des opinions d’autres personnes, et pourtant, sont capables de les défendre avec une ferveur et une intolérance immenses.

Ce que l’on déteste dans les personnes qui pensent différemment n’est pas leurs opinions, mais leur présomption de vouloir formuler leur propre jugement, une présomption dont eux -mêmes ne se croient pas coupables, ce dont ils ont secrètement conscience. Pour résumer, peu de personnes savent réfléchir, mais tout le monde veut avoir une opinion et que reste t'-il sinon prendre celle des autres plutôt que de se forger la sienne? Et comme c’est ce qui arrive, quelle valeur peut-on donc donner à cette opinion, quand bien même cent millions de personnes la supportent ? C’est comme un fait historique rapporté par des centaines d’historiens qui se seraient plagié les uns les autres : au final, on remonte qu’à un seul individu.
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Le seul comportement sûr est donc celui que mentionne Aristote dans le dernier chapitre de son Topica : de ne pas débattre avec la première personne que l’on rencontre, mais seulement avec des connaissances que vous savez posséder suffisamment d’intelligence pour ne pas se déshonorer en disant des absurdités, qui appellent à la raison et pas à une autorité, qui écoutent la raison et s’y plient, et enfin qui écoutent la vérité, reconnaissent avoir tort, même de la bouche d’un adversaire, et suffisamment justes pour supporter avoir eu tort si la vérité était dans l’autre camp. De là, sur cent personnes, à peine une mérite que l’on débatte avec elle. On peut laisser le reste parler autant qu’ils veulent car desipere est juris gentium, et il faut se souvenir de ce que disait Voltaire : « la paix vaut encore mieux que la vérité », et de ce proverbe arabe : « Sur l’arbre du silence pendent les fruits de la paix ».
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[Stratagème 10 – Prendre avantage de l’antithèse]

Si vous vous rendez compte que votre adversaire répond par la négative à une question à laquelle vous avez besoin qu’il réponde par la positive dans votre argumentation, interrogez-le sur l’opposé de votre thèse, comme si c’était cela que vous vouliez lui faire approuver, ou donnez-lui le choix de choisir entre les deux afin qu’il ne sache pas à laquelle des deux propositions vous voulez qu’il adhère.
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[Stratagème 12- Choisir des métaphores favorables]

Si la conversation porte autour d’une conception générale qui ne porte pas de nom mais requiert une désignation métaphorique, il faut choisir une métaphore favorable à votre thèse. Par exemple, les mots serviles et libérales utilisés pour désigner les partis politiques espagnols furent manifestement choisis par ces derniers.
Le terme protestant fut choisi par les protestants, ainsi que le terme évangéliste par les évangélistes, mais les catholiques les appellent des hérétiques.
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Vidéo de Arthur Schopenhauer
« […] les auteurs d'aphorismes, surtout lorsqu'ils sont cyniques, irritent ; on leur reproche leur légèreté, leur désinvolture, leur laconisme ; on les accuse de sacrifier la vérité à l'élégance du style, de cultiver le paradoxe, de ne reculer devant aucune contradiction, de chercher à surprendre plutôt qu'à convaincre, à désillusionner plutôt qu'à édifier. Bref, on tient rigueur à ces moralistes d'être si peu moraux. […] le moraliste est le plus souvent un homme d'action ; il méprise le professeur, ce docte, ce roturier. Mondain, il analyse l'homme tel qu'il l'a connu. […] le concept « homme » l'intéresse moins que les hommes réels avec leurs qualités, leurs vices, leurs arrière-mondes. […] le moraliste joue avec son lecteur ; il le provoque ; il l'incite à rentrer en lui-même, à poursuivre sa réflexion. […]
On peut toutefois se demander […] s'il n'y a pas au fond du cynisme un relent de nostalgie humaniste. Si le cynique n'est pas un idéaliste déçu qui n'en finit pas de tordre le cou à ses illusions. […] » (Roland Jaccard.)
0:00 - Vauvenargues 0:10 - Georges Perros 0:19 - Anatole France 0:29 - Prince de Ligne 0:40 - Jules Renard 0:49 - Blaise Pascal 1:13 - André Ruellan 1:23 - Jean Rostand 1:35 - Georg Christoph Lichtenberg 1:45 - Michel de Montaigne 2:08 - Marc Sautet 2:29 - Cardinal de Retz 2:40 - Montesquieu 2:54 - William Blake 3:05 - Emil Cioran 3:23 - Arthur Schopenhauer 3:57 - Alphonse Esquiros 4:11 - La Rochefoucauld 4:23 - Alexander Mitscherlich 4:34 - Générique
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Référence bibliographique : Roland Jaccard, Dictionnaire du parfait cynique, Paris, Hachette, 1982.
Images d'illustration : Vauvenargues : https://www.buchfreund.de/de/d/p/101785299/luc-de-clapiers-marquis-vauvenargues-1715-1747#&gid=1&pid=1 Georges Perros : https://editionsfario.fr/auteur/georges-perros/ Anatole France : https://rickrozoff.files.wordpress.com/2013/01/anatolefrance.jpg Prince de Ligne : https://tresorsdelacademie.be/fr/patrimoine-artistique/buste-de-charles-joseph-prince-de-ligne#object-images Jules Renard : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a5/Jules_Renard_-_photo_Henri_Manuel.jpg Blaise Pascal : https://www.posterazzi.com/blaise-pascal-french-polymath-poster-print-by-science-source-item-varscibp3374/ André Ruellan : https://www.babelio.com/auteur/
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