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Critique de batlamb


Par la magie de l'écriture, une morne ville polonaise provinciale du début du XXème siècle devient un univers extraordinaire, parcouru de révolutions mystiques, élémentaires et astrales. C'est une cosmogonie qui est mise en mouvement par le mécanisme d'un style particulièrement travaillé, surchargé de figures de style. Tout devient métaphore, tout devient allégorie, tout devient signe, et signe de signe ; si bien que les signifiés se perdent parfois dans ces arabesques sans fin, et que l'on se demande même s'ils ont jamais existé. La nuit et le vent confèrent un caractère démesuré et inquiétant à ce monde observé à hauteur d'enfant, où la figure du père joue le rôle de démiurge impotent, parfois emporté par les métamorphoses incessantes de son monde empli de colifichets, de tissus chamarrés et d'oiseaux (empaillés ?).

Ces thèmes amènent des comparaisons entre Schulz et Kafka, mais leurs styles ne pourraient guère être plus opposés, tant la simplicité du deuxième diverge de la complexité baroque du premier. Les mots de Schulz deviennent parfois assourdissants à force d'hyperboles proches de l'hystérie, quoique celles-ci aient la propriété d'être toujours observées à distance sur un ample espace-temps, et ce malgré la focalisation narrative interne. Comme si au point de vue de l'enfant se superposait le point de vue d'un autre démiurge, celui de l'écrivain qui joue à recolorer cette enfance et à la parodier tendrement. Cela confère à l'ensemble une curieuse langueur, aussi tapageur puisse-t-il être. La ville semble être peuplée de mannequins et d'automates, rejouant artificiellement l'envers du monde éveillé. Avec Bruno Schulz le rêve est chose publique, car ses rêves mettent en scène le peuple d'une cité, qui tout entier devient l'objet d'une dérive onirique. C'est donc tout naturellement que les Boutiques de Cannelle se changent en la République des Rêves, peuplée de lecteurs capable de prendre les métaphores de Bruno Schulz « au pied de la lettre », de croire que l'imagination puisse bâtir une vi(ll)e meilleure grâce aux mythes enfouis dans les mots et éveillés par la littérature.

Je ne vois guère d'équivalent à l'écriture de Bruno Schulz, à part peut-être celle du Mandelstam du Timbre égyptien, qui est une possible influence. Les comparaisons s'avèrent tout aussi hasardeuses avec ses amis Gombrowicz et Witkiewicz. Des bribes de correspondance entre les trois hommes closent le recueil. Schulz éclaire sa conception de l'art comme mythologie personnelle, et adresse une réponse-fleuve aux provocations coutumières de Gombrowicz, un des plus beaux exemples d'amitié artistique que j'aie rencontrés, plaçant l'autre face à ses limites et ses possibilités dans un échange d'une franchise rare. Une personnalité et une voix importantes dans l'histoire de la littérature, malgré une oeuvre avortée par les horreurs du XXème siècle.
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