Tout de suite après la préface instructive par
Dominique Laure Miermont, suit un "Avertissement" de l'auteure elle-même, qui commence par ces mots : "Ce livre donnera peu de joie à ses lecteurs.... Car c'est d'égarements qu'il s'agit dans ce livre, et son sujet est le désespoir". On peut difficilement prétendre qu'
Annemarie Schwarzenbach pousse à la consommation. Mais rassurez-vous car après une visite-éclaire à Téhéran, l'auteure vous emmène dans
la Vallée heureuse de Perse.
Détrompez-vous, je ne veux certainement pas manquer de respect à une auteure que j'admire. Ce que cette écrivaine nous a laissé durant son bref passage sur terre, à peine 34 ans, compte tenu du fait de tout ce que son "adorable" mère a pu brûler le jour même du décès tragique de sa fille, est incontestablement impressionnant. Parm
i les trésors brûlés, il y avait entre autres des
nouvelles et toute sa
correspondance avec la célèbre
Erika Mann (1905-1969) et
Carson McCullers (1917-1967), l'écrivaine américaine qui lui avait dédié son roman à succès "
Reflets dans un oeil d'or" en 1941.
Sur Babelio, j'ai rajouté une photo-document sur laquelle on voit
Annemarie Schwarzenbach flanquée de la soeur et du frère Mann, Erika à gauche et Klaus à droite. Par contre, je n'ai pas réussi à rajouter une photo de Carson et Annemarie à cause d'une bête raison de pixels.
Écrire a toujours été exceptionnellement important pour elle. Dans son projet de livre "
Journal afghan" n'a-t-elle pas noté, le 30 août 1939 à Kaboul : "Je ne vis vraiment que lorsque j'écrive" ?
Selon moi,
Annemarie Schwarzenbach (1908-1942) était en avance sur son temps. Lorsqu'en 1934, elle voulait publier son recueil de
nouvelles orientales, aucun éditeur ne voulait le publier, malgré les interventions de ...
Thomas Mann et
Stefan Zweig. Les grands maîtres eux avaient déjà compris le talent de la jeune Suissesse.
La vie de ce talent littéraire n'a pas été particulièrement simple. Née dans une famille richissime de Zurich, conservatrice et plutôt très à droite, qui avait de la sympathie pour un certain caporal autrichien prénommé Adolf, dont l'adolescente avait horreur et éduquée par une mère despote, elle aspirait au grand large. D'où ses longs
voyages en voiture à travers l'Europe, avec des pointes jusqu'en Russie, Iran et Afghanistan. Et un crayon ou plume éternellement à portée de la main.
À en juger par le grand nombre de photos (beaucoup prises par l'artiste photographe allemande, Marianne Breslauer (1909-2001), qui existent de l'intrépide voyageuse, elle avait un goût certain et original de se maquiller et de s'habiller à la garçonne. Certains critiques professionnels ont même tourné en dérision son allure artistique-androgyne. Ce qui explique probablement la colère de sa mère Renée Schwarzenbach-Wille, son isolement, et sa nécessité de rédiger et de s'évader. Bien qu'elle ait fait des études à l'université de Zurich et à la Sorbonne, un diplôme avait à ses yeux manifestement moins d'importance que de découvrir le vaste monde.
Au cours d'un séjour
à Berlin en 1930, notre Annemarie a malencontreusement commencé à expérimenter avec de la morphine ce qui lui a valu une addiction à des drogues dures pendant le restant de sa vie. Sa consommation de drogues a d'ailleurs fort irrité
Erika Mann de qui elle a été cependant si proche.
Ce qui m'a personnellement particulièrement séduit parm
i les maintes initiatives dont elle est à l'origine, c'est sa création - et financement partiel - du magazine littéraire "Die Sammlung" (la collection), dans les années 1933-1935, et ouvert à tous les auteurs interdits par les nazis. La rédaction en était confiée à
Klaus Mann et de très illustres auteurs ont contribué à ce magazine, publié à Amsterdam chez l'éditeur Querido, tels
Stefan Zweig,
Joseph Roth,
Alfred Döblin,
Bertolt Brecht etc. le comité de consultation de la revue comprenait outre
Klaus Mann, son oncle
Heinrich Mann,
Aldous Huxley et
André Gide.
Notre Annemarie fut aussi participante au premier congrès des écrivains de l'URSS, à Moscou en août 1934, et où elle fit la connaissance de
Maxime Gorki,
Louis Aragon et
André Malraux. Ce dernier s'étonnait un peu de son engouement pour la Perse, où elle s'est rendue 4 fois en 6 ans.
Il est vrai qu'elle s'est mariée en mai 1935 à Téhéran à l'ambassade de France avec le 2e secrétaire d'ambassade, Claude
Achille Clarac, né à Nantes en 1903 et mort à Oudon, en Loire-Atlantique, en 1999.
Je vous laisse découvrir toute la beauté et poésie que les expéditions, pèlerinages et simples errances au Moyen-Orient ont inspirée dans ces 150 pages à cette grande dame de la littérature, décédée des décennies trop tôt !
Un petit exemple, tout de même, de son style, langage et personnalité : "Tous les chemins que j'ai suivis, toux ceux que je n'ai pas suivis, aboutissent ici, dans cette "Vallée heureuse" d'où il n'y a plus d'issue, et qui, pour cette raison, doit ressembler au royaume des morts." (page 62).
Triste, mais beau !