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EAN : 9782080704276
189 pages
Flammarion (07/01/1993)
3.95/5   28 notes
Résumé :

Deux textes tout à fait caractéristiques de la manière de ce grand écrivain sicilien : un art de conter subtil et précis où l'écriture s'apparente à l'intrigue policière. Sciascia est un maître de l'énigme, mais les problèmes qu'il dénoue débouchent toujours, au-delà du pittoresque et de l'humour, sur une réflexion politique, voire métaphysique.La Disparition de Majorana ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Ettore Majorana, physicien de génie né en 1906 à Catane, disparut en 1938 dans des circonstances extrêmement troubles, alors que l'ombre des régimes totalitaires d'Italie et d'Allemagne s'épaississait sur l'Europe. Sa disparition, d'autant plus que son corps n'a jamais été retrouvé, a suscité de nombreuses spéculations sur un possible suicide, un obscur complot contre la communauté scientifique italienne à l'aube de la Seconde Guerre Mondiale ou encore une disparition volontaire du scientifique.

« La science, comme la poésie, se trouve, on le sait, à un pas de la folie : et le jeune professeur avait franchi ce pas, en se jetant dans la mer, ou dans le Vésuve, ou en choisissant un autre genre de mort plus sophistiqué. Et les membres de sa famille, comme cela se produit toujours dans les cas où l'on ne retrouve pas le cadavre, ou quand on le trouve par hasard plus tard et méconnaissable, voilà qu'ils entrent dans la folie de le croire encore vivant. Et elle finirait bien par s'éteindre, cette folie, si elle n'était continuellement alimentée par ces fous qui surgissent pour dire qu'ils ont rencontré le disparu, qu'ils l'ont reconnu à des signes certains (qui, en réalité, sont vagues avant qu'ils aient rencontré la famille ; et ce sont précisément les gens de la famille qui, avec leurs interrogations anxieuses et incontrôlées, les font devenir des certitudes). »

S'appuyant sur les documents et les sources fragmentaires de l'enquête de 1938, mollement menée par des autorités italiennes convaincues du suicide de Majorana, Leonardo Sciascia compose une variation sur cette disparition et une réflexion passionnante sur la responsabilité des hommes de science.

Avant Werner Heisenberg, Majorana a élaboré la théorie du noyau constitué de neutrons et de protons, mais il a refusé de la publier et aurait préféré détruire ses papiers. Poussé par l'insistance de Fermi aux côtés duquel il travaillait à l'Institut de Physique de Rome, il était cependant entré en contact avec Werner Heisenberg, s'est rendu en Allemagne à son invitation en 1933, y rencontrant l'homme qu'il a sans doute considéré comme le seul de ses pairs, comme en témoignent ses lettres de l'époque.

À partir de recherches minutieuses, entre enquête policière et fable philosophique, Leonardo Sciascia tente de reconstruire la personnalité d'Ettore Majorana, étoile filante de la physique, homme de science précoce et intuitif fuyant tous les honneurs. Sciascia pressent que la thèse du suicide n'est pas la bonne et que le jeune scientifique, sans doute à l'orée de la découverte de la fission nucléaire, a dû être terrifié par ce résultat et a tendu dès lors vers un seul objectif, trouver un point de fuite, peut-être pour retarder de quelques années la réalisation de la bombe atomique.

« Sans le savoir, sans en avoir conscience, comme Stendhal, Majorana tente de ne pas faire ce qu'il doit faire, ce qu'il ne peut pas ne pas faire. Directement et indirectement, grâce à leurs encouragements et à leur exemple, Fermi et les «garçons de la via Panisperna» l'obligent à faire quelque chose. Mais il le fait par plaisanterie, par pari. Avec légèreté, ironie. Avec l'air de quelqu'un qui, dans une soirée entre amis, s'improvise jongleur, prestidigitateur : mais qui se retire dès que les applaudissements éclatent, s'excuse, dit que c'est un jeu facile, que n'importe qui peut le faire. Obscurément, il sent, dans chaque chose qu'il découvre, dans chaque chose qu'il révèle, un pas qui le rapproche de la mort ; et que «la» découverte, la révélation complète de l'un des mystères que lui confie la nature, sera la mort. Il est tout un avec la nature, comme une plante, comme une abeille ; mais, à la différence de celles-ci, il a une marge de jeu, même si elle est étroite ; une marge grâce à quoi il peut la détourner, où il peut chercher, fût-ce en vain, un passage, un point de fuite. »

C'est grâce à Jérôme Lafargue, libraire d'un soir chez Charybde en juin 2017, que j'ai découvert ce livre dense et fascinant publié en 1975 et traduit de l'italien par Mario Fusco pour Les lettres nouvelles / Maurice Nadeau (1977), réédité par les éditions Allia, qui fait écho aux doutes de Werner Heisenberg, autre personnage insaisissable, magistralement mis en scène par Jérôme Ferrarile principe », Actes Sud, 2015).

La première parution du livre en Italie, sous forme de feuilleton dans le journal La Stampa, a suscité une polémique, toujours d'actualité, que les éditions Allia ont eu la bonne idée de faire figurer à la fin du livre.

« Les morts se retrouvent ; seuls les vivants peuvent disparaître. »

Retrouvez cette note de lecture et et beaucoup d'autres sur le blog de Charybde ici : https://charybde2.wordpress.com/2019/07/21/note-de-lecture-la-disparition-de-majorana-leonardo-sciascia/
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Ettore Majorana, né en 1906 était un génie de la physique des particules. Sa carrière fut trop brève pour qu'il figure au Panthéon de la physique moderne comme son compatriote Enrico Fermi. Mais si la mémoire collective a néanmoins retenu son nom, c'est en raison de sa mystérieuse disparition en 1938. Dans son livre « En cherchant Majorana » Etienne Klein était revenu sur cette affaire. En 1975, Leonardo Sciascia y avait consacré une série d'articles en feuilleton pour La Stampa qui furent rapidement republiés sous la forme d'un livre aux éditions Einaudi la même année. Ces publications furent attaquées, notamment par le physicien Edoardo Amaldi, premier biographe de Majorana (Une des réactions d'Amaldi – celle publiée dans L'Espresso, 5 octobre 1975 – figure en annexe de l'édition Allia du texte de Sciascia). Dans une défense contre les attaques dont ses articles furent l'objet, Sciascia présente sa série comme un « récit-pamphlet ».
La thèse de Sciascia sur la disparition de Majorana est la suivante ; Ettore Majorana, génie précoce aurait compris très tôt le potentiel désastreux de l'énergie nucléaire– avant même la découverte de la fission atomique par Otto Hahn en 1938 et les travaux de Lise Meitner et Otto Frisch. C'est d'ailleurs sur la base de cet important point d'histoire, que Edoardo Amaldi conteste la possibilité par Majorana d'avoir anticipé l'arme atomique.
L'attitude générale du jeune physicien dans les milieux de la recherche scientifique était caractérisée par une réticence à s'impliquer dans l'institution scientifique. Ses pairs voyaient en lui un génie aux intuitions fulgurantes mais mystérieusement rétif à la publication. Il ne briguait pas non plus les postes d'enseignement et semblait toujours travailler dans un cadre informel, comme pour sa propre gouverne. Malgré cela, la crème de la physique d'alors le reconnaissait comme un pair ; de Fermi jusqu'à Heisenberg qu'il rencontra à Leipzig en 1933 et la même année chez Bohr à Copenhague.
Dans le peu qu'il est resté de ses écrits, on trouve le sentiment intime que la recherche en physique est alors engagée sur une « mauvaise voie ». Mauvaise, non d'un point de vue épistémique semble t'il mais d'un point de vue que je vais qualifier d'éthique (je me résigne à ce terme désormais galvaudé quand il s'agit de science). Si, comme le pense Leonardo Sciascia, Majorana a bien eut l'intuition de l'énorme pouvoir destructeur de la technologie atomique, l'époque durant laquelle il a vécu ne pouvait guère l'incliner à l'optimisme ; Majorana a grandi et travaillé dans l'Italie fasciste et l'Allemagne où il rencontra Heisenberg était sous l'emprise de la fureur nazie.
Le génie précoce se serait donc effrayé de la perspective Faustienne qu'ouvrait l'énergie nucléaire à l'humanité ; une source potentielle d'énergie illimitée d'un côté ; une arme inouïe aux capacités de destruction promises au qualificatif désormais banal de massives. La recherche s'engageait donc sur une mauvaise voie.
Ce serait cette profonde inquiétude face à l'histoire qui aurait poussé Majorana à organiser sa propre disparition. Disparition et non suicide – car « Majorana était croyant. Son drame était un drame religieux, nous dirions pascalien. Et qu'il ait anticipé le désarroi religieux auquel nous verrons arriver la science, si elle n'y est pas déjà arrivée, c'est la raison pour laquelle nous écrivons ces pages sur sa vie. »
Pour Sciascia le physicien trop clairvoyant aurait terminé ses jours dans un couvent de chartreux qu'il ne localise pas clairement, sans doute à dessein car il a pu le visiter. Un indice ténu, reposant sur le souvenir lointain d'un témoin ayant visité ce couvent en 1945, a imposé cette hypothèse à l'auteur avec toute l'insistance d'une conviction.
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Dans les années '20 et '30 du siècle dernier, une révolution conceptuelle sans précédent a été menée à bien dans le domaine de la physique, par des jeunes génies (travaillant principalement en Europe du Nord). En Italie, seul le nom d'Enrico Fermi est resté. Dans ce pays, Ettore Majorana a eu une vie étonnante, qui est évoquée ici par le grand écrivain Leonardo Sciascia. A partir de 1928, il a très vite montré ses qualités exceptionnelles. Mais, réservé et énigmatique, il était peu motivé pour publier ses travaux. Epilogue tragique de sa brève carrière: il a disparu sans laisser de traces en Mars 1938: suicide ? disparition volontaire, peut-être dans un couvent ? Impossible d'en avoir la certitude. Et pourquoi a-t-il voulu fuir le monde ? Sciascia en propose une explication: doué d'une extraordinaire intuition, Majorana aurait pu deviner que les travaux des physiciens contemporains allaient déboucher sur la bombe atomique. En réalité, la disparition du jeune physicien est antérieure à la découverte de la fission de l'uranium 235 (qui est à la base de l'énergie nucléaire). L'hypothèse de Sciascia est contredite par un article d'un professeur italien, qui est donné à la fin de ce livre.
Cet opuscule est assez captivant à lire. Il évoque la figure mystérieuse et presque oubliée de Majorana. Il revient sur une énigme jamais résolue et sur une problématique éthique intéressant les physiciens. Je dois quand même signaler que la prose de Sciascia n'est pas toujours fluide.
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Étrange objet littéraire: court texte, une centaine de pages. Un roman, un essai ou une nouvelle? Est-ce un roman policier philosophique ou un reportage paru en 1975 dans la Stampa en feuilleton. Est-ce la biographie de Majorana, un génie de la physique, méconnu et disparu trop tôt? Est-ce une réflexion sur la responsabilité des savants atomistes, en 1938 Majorana avait-il prévu Hiroshima et Nagasaki? Refus de la science, avance l'auteur?
C'est aussi de la littérature, avec des références littéraires à Shakespeare et à d'autres auteurs moins familiers, surtout les Italiens.
Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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Où comment un écrivain tout à fait honorable et respectable se fourvoie dans un domaine qu'il ne connait pas pour des a priori idéologiques !
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Le citoyen qui n'a jamais rien fait contre les lois, et qui n'a pas subi de la part d'autrui de torts le poussant à faire appel à elles, le citoyen qui vit comme si la police existait seulement pour effectuer des actes administratifs – tels que la remise d'un passeport ou d'une autorisation de port d'arme (pour la chasse), – si les hasards de la vie le conduisent soudain à avoir affaire à elle, à en avoir besoin pour ce qu'elle est, en tant qu'institution, il est pris d'un sentiment de désarroi, d'impatience, de fureur, où s'enracine la conviction que la sécurité publique, dans la mesure où l'on en jouit, repose davantage sur la faible et sporadique tendance des hommes à commettre des crimes, plutôt que sur le sérieux, l'efficacité et la finesse de cette police. Conviction qui recèle une part d'objectivité : plus ou moins selon les époques, plus ou moins selon les pays. Mais, dans le cas d'une personne disparue, dans l'anxiété et l'impatience de ceux qui veulent la retrouver elle peut également être tout à fait subjective – et donc mal fondée. Et nous reconnaissons assurément que nous sommes, nous aussi, injustes à l'égard de la police italienne, et de la façon – qui nous paraît négligente et sans subtilité – avec laquelle la police italienne a mené les enquêtes sur la disparition d'Ettore Majorana. Mais elle ne mena rien du tout ; au contraire, elle laissa la famille les mener, en se bornant (..) à « collaborer » (et à un certain point, il est facile de l'imaginer, à faire semblant de collaborer).

(p. 17)
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Quelqu’un qui, ne fût-ce que sommairement (comme nous, soit dit par précaution), connaît l’histoire de la physique atomique, de la bombe atomique, est en mesure de faire cette simple et pénible constatation : se sont comportés librement, c'est-à-dire en hommes libres, les savants qui, pour des raisons objectives, ne l'étaient pas ; se comportèrent en esclaves, et furent esclaves, ceux qui au contraire jouissaient d'une condition de liberté objective. Furent libres ceux qui ne construisirent pas la bombe. Esclaves, ceux qui la firent. Et non pas parce que, respectivement, ils la firent ou ne la firent pas, – ce qui reviendrait à limiter la question aux possibilités pratiques dont les uns disposaient, et que les autres, au contraire, n'avaient pas, – mais principalement parce que les esclaves en ressentirent de la préoccupation, de la peur, de l'angoisse ; alors que les hommes libres, sans aucune retenue, et même avec une pointe d'allégresse, la proposèrent, y travaillèrent, la mirent au point, et, sans poser de conditions ou demander d'engagements (dont la plus que possible inobservation aurait du moins atténué leur responsabilité), ils la remirent aux hommes politiques et aux militaires. Et dire que les esclaves l'auraient remise à Hitler, à un dictateur doué d'une folie atroce et froide tandis que les hommes libres la donnèrent à Truman, homme de « sens commun », qui représentait le « sens commun » de la démocratie américaine, cela ne fait pas de différence : du moment que Hitler aurait décidé exactement ce que décida Truman, c'est-à-dire de faire exploser les bombes disponibles sur des villes soigneusement, « scientifiquement » choisies parmi celles que l'on pouvait atteindre d'un pays ennemi ; des villes dont on avait pu calculer la destruction totale (parmi les « recommandations » des savants : que l'objectif soit une zone d'un rayon d'un mille, et avec une forte densité de constructions, qu'il y ait un pourcentage élevé d’édifices en bois ; qu’il n’ait pas jusqu’à ce moment subi de bombardements, de façon à pouvoir établir avec la plus grande précision les effets de celui qui serait le seul, et définitif…)

(pp. 43-45)
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Né dans cette Sicile qui pendant plus de deux millénaires n’avait pas donné un seul homme de science, où l’absence, sinon le refus de la science, était devenue une forme de vie, le fait d’être, comme lui, homme de science, était déjà comme une dissonance . Le fait de « porter », de plus, la science, comme une partie de soi, comme une fonction vitale, comme une mesure de vie, devait être pour lui un poids angoissant ; et plus encore lorsqu’il entrevoyait ce danger de mort dont il se sentait porteur s’objectiver dans la recherche particulière et dans la découverte de la nature, se déposer, croître, se répandre dans la vie humaine comme une poussière mortelle.
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La science, comme la poésie, se trouve, on le sait, à un pas de la folie : et le jeune professeur avait franchi ce pas, en se jetant dans la mer, ou dans le Vésuve, ou en choisissant un autre genre de mort plus sophistiqué. Et les membres de sa famille, comme cela se produit toujours dans les cas où l’on ne retrouve pas le cadavre, ou quand on le trouve par hasard plus tard et méconnaissable, voilà qu’ils entrent dans la folie de le croire encore vivant. Et elle finirait bien par s’éteindre, cette folie, si elle n’était continuellement alimentée par ces fous qui surgissent pour dire qu’ils ont rencontré le disparu, qu’ils l’ont reconnu à des signes certains (qui, en réalité, sont vagues avant qu’ils aient rencontré la famille ; et ce sont précisément les gens de la famille qui, avec leurs interrogations anxieuses et incontrôlées, les font devenir des certitudes).
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Si les morts sont, comme dit Pirandello, les « retraités de la mémoire », les disparus en sont les salariés, par un plus considérable et plus long tribut de mémoire. Dans tous les cas, mais plus spécialement dans un cas comme celui de Majorana, dans la disparition mythique duquel venaient assumer des significations mythiques la jeunesse, l’esprit prodigieux qui était le sien, la science. (p. 73)
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