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Jeanne Stern (Traducteur)Christa Wolf (Auteur de la postface, du colophon, etc.)
EAN : 9782253130758
376 pages
Le Livre de Poche (23/06/2004)
3.82/5   38 notes
Résumé :

"Si ce roman est devenu le plus beau de ce que Anna Seghers a écrit, c'est certainement à cause de la situation historique et politique, atrocement unique, qu'elle a choisie comme modèle-référent. Je doute que notre littérature, après 1933, puisse montrer beaucoup de romans qui soient écrits comme celui-ci, sans défaut, avec l'assurance du somnambule." Heinrich Böll. Marseille 1940. Anciens combattants de ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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Transit, un purgatoire entre le passé anéanti et l'avenir incertain.

Un enfer, plutôt.

Enfer des pas perdus en répétitives errances, en démarches  kafkaïennes, d'une administration à l'autre, d'abord  pour un visa, ( si on est attendu, si on est solvable, si on peut faire la preuve d'avoir un travail là-bas..),  puis pour un transit qui prouve que vous avez bien l'intention de quitter ce lieu provisoire où vous avez échoué.   Et enfin pour un visa de sortie du pays de transit au cas où vous resteriez dans cet endroit qui a pourtant si peu envie de vous garder ...

Mais à ce moment- là,  votre visa d'immigration a déjà perdu sa validité  et sans ce viatique, adieu veau, vache, cochons, couvées...

Retour à la case départ : refaites le siège des consulats pas trop frileux face au vainqueur nazi!

 Vous avez par miracle réuni les trois documents dans les temps? C'est la course à l'embarquement qui commence sur des  bateaux, pas nombreux-nombreux, pas directs-directs, pas nickel-nickel, et qui ont une fâcheuse tendance à couler par le fond ou à faire des périples à rallonges... quand ils ne reviennent pas, sans crier gare,  à leur port d'attache..

À Marseille.

C'est dans la cité phocéenne qu'après un séjour  dans un Paris occupé, sombre et plein de menaces, échoue le narrateur, un opposant allemand au nazisme,  évadé d'un camp de réfugiés. Il s'est sauvé en zone (encore) "libre", avec les affaires et les papiers d'un compatriote, un écrivain connu, que le désespoir a poussé au suicide.

Il a vaguement l'intention de remettre ce colis à la femme de cet écrivain, déjà réfugiée à Marseille,  et qu'il ne connaît pas.  Mais la tentation est grande pour lui d'emprunter l'identité de ce mort qui semble avoir tout ce qu'il n'a pas: de l'argent au Portugal, des amis influents dans les ambassades étrangères.. 

Va pour Marseille, donc...

Marseille a été, quelque temps, la ville de la zone "libre" d'où pouvaient encore partir  (avant que la nasse de la zone libre ne devienne un piège infernal où ils seraient tous pris)   des bateaux pour tous les réfugiés qui s'y pressaient en quête d'un billet pour l'Algérie, le Portugal, l'Espagne et surtout pour  le Nouveau Monde, les USA, bien sûr, ou , plus accessibles, le Mexique ou les pays d'Amérique du Sud. 

Pas un Marseille bleu et or, lumineux et chaleureux, un Marseille hivernal, battu par les vents mauvais du mistral, de la panique et de la déroute,  un Marseille microcosmique, réduit à ses quais avec ses bateaux en partance, à ses bistrots où se croisent et se recroisent les mêmes silhouettes pathétiques d'émigrants juifs, communistes, opposants politiques qui finissent par tous se connaître et se fuient avec horreur tant chacun renvoie à l'autre l'image de son propre désespoir, de sa propre inefficacité,  - et réduit à ses ambassades avec leurs consuls véreux, leurs sempiternelles files d'attente, leurs cachets et leurs tampons si ardemment convoités.

Un Marseille confiné, contraint, étouffant.. .

Très lentement, de façon oppressante,  de plus en plus détachée du réel ,  à mesure que les tâches se répètent, que les silhouettes se perdent, s'effacent, broyées par l'attente et les espoirs déçus, le récit INSTALLE...une situation qui est , paradoxalement, celle d'une vertigineuse précarité. 

C'est alors que survient la rencontre du narrateur avec Marie , une rencontre elle  aussi répétitive, lancinante, tournoyante .

Marie est si jolie qu'il la remarque, si perdue qu'il a envie de la sauver, si éperdue qu'il ne peut l'atteindre ni lui dire ce qu'il a à  lui dire, ce qu'il a découvert sur elle et sur lui-même.

Marie a quitté son mari pour un autre homme, un médecin que fréquente le narrateur, mais on lui a dit que son mari est à  Marseille, qu'il a demandé un visa d'immigration, qu'on l'a vu dans plusieurs lieux. Elle le cherche donc, pleine d'angoisse, de remords et , peut-être encore, d'amour...

À Marseille...

Un destin, ironique et cruel, a fait de cette jeune femme en fuite perpétuelle une pièce maîtresse dans la propre fuite du narrateur, à laquelle soudain elle redonne sens, espoir et énergie..

S'il fuyait avec elle? Et pourtant il est le dernier avec qui elle devrait fuir...

De Marseille..

TRANSIT est un roman magnifique, supérieurement bien écrit et bien traduit, empreint du même désespoir que celui de Erich Maria Remarque dans Cette terre promise, de la même ironie désabusée que celle de Lion Feuchtwanger dans le Diable en France...

 Il a été inspiré à Anna Seghers par sa propre situation d'opposante au nazisme.  Juive et communiste,  elle avait toutes les raisons de quitter cette zone libre qui n'allait pas le rester longtemps. Elle a vu ses amis écrivains céder au désespoir, au suicide : Walter Hasenclever, Carl Einstein, Walter Benjamin..

Christian Petzold a fait, paraît-il, une adaptation cinématographique de qualité de ce grand livre, en défrayant pourtant  la chronique : il a eu l'audace, tout en maintenant le contexte historique de l'occupation et de la collaboration,  d'en actualiser l'apparence. Il a filmé un Marseille contemporain, des immigrés avec vêtements  et accessoires d'aujourd'hui, des forces de l'ordre portant l' uniforme actuel...

Je n'ai pas vu son film, mais en lisant Transit j'ai eu l'impression de toucher à l'essence même de toute immigration-  quand elle est commandée par une nécessité absolue, vitale- , et je comprends ce parti pris d'anachronisme  politique  volontaire du cinéaste...

Si Transit,  le livre, m'a bouleversée c'est qu'il est intemporel,  bien au-delà du témoignage plus ou moins autobiographique.

Anne Seghers n'a pas campé une héroïne ayant mari et enfant, comme c'était son cas:  son narrateur est un inconnu, un être revenu de tout, un "homme sans qualité " qui hérite bien malgré lui de l'encombrant bagage d'un écrivain, et qui le devient par la force des choses et celle des événements.
 
L'exil le sacre écrivain.

Et le livre qu'il nous laisse est la bouteille à la mer de tous les exilés que la guerre ( ou la misère, ou la faim,  rayez la mention inutile ) jette dans les ports, sur les côtes ou sur les routes du monde sauvage qui est le nôtre. 


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En 1940, la horde des gens qui avaient fui le régime nazi en France est à nouveau en panique lors de l'invasion allemande, elle se masse dans les ports en attendant visas ou n'importe quel moyen pour s'embarquer vers un ailleurs. Ces gens fuient parce qu'ils sont Juifs, parce qu'ils ont publiquement manifesté leurs idées ou leur désaccord avec un régime oppressif. C'est le cas du narrateur, un homme échappé d'un camp de concentration trois ans plus tôt et réfugié à Paris depuis. Grâce à un concours de circonstance, il se retrouve en possession des effets personnels d'un certain M. Weindel, un poète qui s'est suicidé dans sa chambre d'hôtel. C'est une identité comme une autre, autant en profiter… Puis, comem ses semblables, il prend la direction de Marseille dans l'attente d'un visa ou d'un transit, espérant s'embarquer sur un paquebot à destination des Amériques.

Ainsi, Transit est l'histoire d'une longue attente, d'une attente qui ne sera peut-être jamais comblée. Toutefois, cette histoire est moins poignante qu'elle n'aurait pu l'être : le sort de Weindel est certes déplorable mais ma compassion pour lui n'était pas particulièrement marquée. Peut-être parce que je connaissais peu son histoire, son passé, sa véritable identité ! le mystère n'est pas le problème. À s'approprier celle du poète suicidé, il me donnait l'impression d'un voleur. Aussi, une épouse éplorée ou un enfant malade – le sien, pas celui d'un ami – aurait attisé davantage ma sympathie mais je suppose que la majorité des fugitifs n'étaient pas des pères de famille mais des hommes enhardis, des intellectuels ou opposants politiques sans attaches.

Donc, Weindel patiente comme beaucoup d'autres. Par moment, cette attente devenait aussi lourde pour moi. Non pas parce que l'écriture d'Anna Seghers était ennuyeuse mais parce que le quotidien de ces gens en attente d'un statut quelconque l'était. Faire le tour des consulats, retourner régiulièrement à certains d'entre eux, de rencontres prometteuses à rendez-vous inutiles. Mais il est impossible de faire autrement. Pendant les heures creuses, cette bande de fugitifs se retrouve dans les cafés et vit de faux espoirs et de lendemains toujours plus sombres. Ils sont embourbés dans des tracasseries administratives, certaines imposée par un système qui dépassait tout le monde, à commencer par des employés compatissants. D'autres par des gens sans scrupules ou contaminés par un soudain pouvoir dont ils se mettent à abuser. Sans oublier certains, corrompus, qui profitent de la situation pour gagner un peu d'argent… C'est presque de la torture psychologique. Dans tous les cas, ils en souffrent. À tout moment, je m'attendais à ce que la Gestapo arrive et ne viennent arrêter le héros et ses amis. Aussi, l'arrivée inattendue de la veuve du vrai Weindel a apporté une touche de tendresse, de vague sentiment d'attachement – je n'ose parler d'amour ni de romance – qui ajoutait à l'intrigue. Allait-elle le démasquer ? Ces moments étaient angoissants.

Transit occupe une place particulière pour l'autrice Seghers parce qu'elle a vécu cette situation. Elle a attendu son transit à Marseille pendant que son mari était interné dans un camp tout près. Et c'est sur le bateau qui l'amenait vers la liberté qu'elle a écrit ce roman Cette histoire, c'est la sienne et celle de nombreux autres, comme son ami l'auteur Ernst Weiss qui lui a inspiré le personnage de Weidel, le vrai, celui qui s'est suicidé dans sa chambre d'hôtel.

Aussi, Transit devrait occuper une place particulière pour tout le monde parce que cette situation continue d'être vécue. En Afrique du Nord et au Proche-Orient, des gens désespérés se massent dans les ports dans l'espoir non pas d'un visa ou d'un transit – qui ose encore y croire ? – mais d'une place sur un bateau clandestin à destination de l'Europe. La situation s'est inversée mais la détresse humaine est la même. À suivre.
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Marseille 1940 – 1941, le Vieux Port, le Cours Belsunce, tous ces lieux fourmillent de réfugiés en transit, ils courent d'un consul à un autre, de la préfecture à la compagnie maritime, d'espoir en désespoir, dans un univers administratif absurde, « à devenir fou », errant dans la ville, désoeuvrés. Ils attendent le « Sésame » qui leur permettra de partir, d'embarquer sur un bateau qui les emmènera vers une nouvelle vie si le bateau arrive à bon port.
Mais voilà, vu les multiples démarches, les nombreuses garanties à donner émanant de services totalement indépendants les uns des autres voire du pays de destination, il arrive qu'une autorisation survienne alors qu'une autre, accordée précédemment, soit parvenue à échéance et il faut tout recommencer !
Tout cela avec la peur au ventre, la hantise de voir apparaître une croix gammée, d'être raflé, envoyé aux travaux forcés ou déporté. Effrayant de s'installer dans un café en fixant la porte, toujours aux aguets où à la recherche d'un regard connu.
Dès les premières lignes du récit, j'ai ressenti le ton désabusé du narrateur anonyme qui, assis dans un café, invite le lecteur à s'assoir près de lui afin de pouvoir lui raconter son histoire.
« Il fut un temps où je m'embarquais facilement dans des histoires dont j'ai honte aujourd'hui. Un tout petit peu honte puisqu'elles sont passées. Mais j'aurais terriblement honte si j'embêtais les gens. Pourtant, je voudrais pour une fois tout raconter depuis le début » (page 13).
Dans cette histoire, il sera aussi question du manuscrit d'un écrivain autrichien Weidel qui se suicidera au moment de l'invasion allemande dans sa chambre d'hôtel à Paris. Cet évènement ne sera pas sans rappeler le suicide d'Ernst Weiss, ami d'Anna Seghers, comme celui de ces trois écrivains allemands qui dans les années 1939 -1941 se suicideront pour les même raisons : Walter Hasenclever, Carl Einstein et Walter Benjamin qui devant la collaboration du gouvernement français, ont eu le sentiment de ne jamais pouvoir échapper à leurs bourreaux nazis.
Anna Seghers, pseudonyme de Netty Reiling, romancière juive allemande, communiste, écrira ce roman en 1941 sur le bateau le « Capitaine Paul Lemerle » qui l'emmène, elle et sa famille, en exil loin de l'Europe, à Mexico grâce à l'intervention de la « League of American Writers » et je comprends mieux ce « ton désabusé », elle qui croyait dans les valeurs de la France, sa narration suinte la désillusion, l'amertume.
Anna Seghers a connu ces journées d'angoisse, seule attablée au Vieux Port à regarder la porte et à trembler. Son mari a été enfermé au camp du Vernet puis au camp des Milles avant leur départ pour Mexico.
L'écriture m'a propulsée à Marseille avec les fugitifs. Je me suis sentie prise au piège, enfermée à Marseille. Une sensation de claustrophobie m'a étreinte, j'avais hâte de terminer ce livre.



J'ai oublié de noter le livre : 5/5
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Opposants politiques, Juifs, citoyens en quête d'un nouveau monde fugitifs : tous se retrouvent à Marseille en 1940 dans le prolongement de la grande débâcle et là, ils attendent. Trainant de café en café, de consulats en ambassades, englués dans un présent vide et angoissant, ils se perdent dans le parcours labyrinthique pour obtenir visa, billet pour d'hypothétiques bateaux, certificat de transit, visa de sortie, parcours sans cesse recommencé quand l'expiration du premier document annule l'effort accompli pour obtenir tous les autres.
Dans ce temps arrêté entre un passé qui n'existe plus et un avenir incertain, un homme lutte pour ne pas sombrer dans ce néant, rester maître de son présent et à travers lui, de son identité profonde, quitte à en usurper une autre et lâcher la main du destin quand celui-ci s'incarne dans les yeux fuyants d'une femme.
Un livre sur le déracinement qui vient faire vibrer des fibres très profondes chez le lecteur en lui faisant vivre jusqu'au malaise la réalité de ce qu'est le transit, réalité d'autant plus palpable qu'elle fut retranscrite sur le vif par l'auteur, communiste, juive, allemande, qui nourrit cette fiction de ses propres errements dans la ville, ses heures d'attente et d'espoir ténu avant de parvenir à prendre un bateau pour le Mexique.
Ce livre m'a salement dérangée mais je suis contente d'avoir à travers lui perçue une réalité qui m'était mal connue.
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Il y a une vingtaine d'année (comme le temps passe ...) Baboucar, un jeune étudiant sénégalais préparait sa maîtrise d'allemand à Dakar . Il devait analyser Transit d'Anna Seghers, mais avait quelques difficultés. J'avais lu, alors, rapidement le livre pour tenter de l'aider.
J'ai repris, plus posément, cette lecture en connaissant maintenant, beaucoup mieux les lieux où se déroule cette sombre histoire, notamment le camp d'internement et de déportation des Milles qui se visite depuis peu.
Le narrateur rencontre à Paris Paul, dit Popol, tous deux allemands. Quelque temps auparavant, ils s'étaient enfuis, à l'approche de l'armée allemande, d'un camp de travail où ils étaient retenus.
Paul demande à son copain de remettre un courrier émanant de son épouse à Weidel, un poète résidant dans un hôtel. Mais Weidel s'est suicidé pour échapper à la Gestapo (Weidel est un peu le frère jumeau de Ernst Weiss, cet écrivain autrichien d'origine juive qui se suicida à Paris suite à l'invasion de Paris par les troupes allemandes). le narrateur récupère auprès de la tenancière de l'hôtel une valise lui ayant appartenu . Parmi les objets contenus dans la mallette, figure un courrier précisant qu'un visa et une somme d'argent seraient disponibles auprès du consulat du Mexique à Marseille.
Il y a aussi une lettre de rupture de l'épouse.
Après avoir envisagé de remettre la valise au consulat du Mexique à Paris et devant cette impossibilité il va se rendre à Marseille …
Je retrouve la même atmosphère pesante, interlope, empreinte de cette peur glaçante , cette solitude poignante qui gagne le lecteur qui se retrouve, lui aussi, désespéré au coeur de Marseille où se déroule la majeure partie de l'action , cherchant lui aussi à se fondre dans le lacis des rues pour échapper au pire.
Comme les nombreux fugitifs, antifascistes, persécutés du régime nazi qui affluent à Marseille dans l'espoir de pouvoir partir vers de nouveaux horizons plus sereins j'ai ressenti l'angoisse , les pressions psychologiques, les souffrances psychiques des personnages, celles qu'éprouva d'Anna Seghers tachant de se fondre dans l'anonymat de la cité portuaire, cherchant à quitter la France pour échapper à la Gestapo .

Un thriller historique prenant et éprouvant parce qu'on sait que cette histoire repose sur des faits qui se sont effectivement déroulées…
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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
Il était six heures du soir. Mon regard vide, par-dessus les têtes des gens, fixait la porte. Elle tourna une fois de plus. Une femme entra. Que vous dirai-je ? Je puis seulement dire : elle entra. L’homme qui s’est suicidé rue de Vaugirard, il savait s’exprimer autrement. Moi, je ne puis que dire : elle entra. Ne vous attendez pas à ce que je vous la décrive. Ce soir-là, d’ailleurs, je n’aurais pas su dire si elle était blonde ou brune, si c’était une femme ou une jeune fille. Elle entra. Elle s’arrêta et regarda autour d’elle. Il y avait sur son visage une expression d’attente exaspérée, presque de crainte. On eût dit qu’elle espérait et redoutait de trouver quelqu’un en cet endroit. Mais, quelles que fussent les pensées qui l’entraînaient, elles n’avaient certes rien à faire avec des histoires de visas. Elle traversa d’abord la partie de la salle que je pouvais embrasser du regard, celle qui donnait sur le quai des Belges. Je vis encore le bout pointu de sa capuche sur la grande vitre devenue grise maintenant. J’eus peur qu’elle ne revînt plus jamais : il y avait là-bas, dans l’autre secteur de la salle, une porte qui menait au dehors : elle ne faisait que passer, sans doute. Mais elle revint presque aussitôt. Sur son jeune visage, l’expression d’attente cédait à la déception.
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Jusqu’alors, quand une femme survenait, une femme qui pouvait me plaire, mais qui ne venait pas pour moi, j’avais toujours réussi à me convaincre que je ne l’enviais pas à celui qui l’aimait, et que rien d’irremplaçable ne m’avait échappé. La femme qui passait maintenant près de moi, je ne la laissais à personne. Il me semblait insupportable qu’elle fût entrée, mais pas pour moi ; seule une chose eût été aussi désastreuse : qu’elle ne fût pas entrée du tout. Elle examinait encore une fois, très attentivement, la partie de la salle où je me trouvais moi-même. Elle scrutait tous les visages, toutes les places, comme les enfants cherchent, avec une insistance maladroite. Quel était donc celui qu’elle cherchait désespérément ? Qui pouvait donc être attendu avec cette ferveur ? Qui pouvait provoquer cette déception amère ? Cet homme qui n’était pas là, j’aurais voulu l’assommer à coups de poing.
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- Je veux rentrer chez moi.
- De plein gré? Vous savez aussi bien que moi ce qui vous attend.
- Et ici? Qu'est-ce qui m'attend ici? Vous connaissez peut-être le conte de l'homme mort. Il attendait dans l'éternité que le Seigneur décidât de lui. Il attendait, attendait toujours. Un an, dix ans, cent ans. Puis il implora son verdict; Il ne pouvait plus, disait-il, supporter l'attente. On lui répondit: Qu'est-ce que tu attends donc? Il y a longtemps que tu es en enfer." Et l'enfer, c'était cela: l'attente imbécile de rien. Quoi de plus infernal? La guerre? Elle vous rejoint d'un bond par-dessus l'océan. Maintenant j'en ai assez. Je veux rentrer chez moi.
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En ce temps-là, tous n'avaient qu'un désir : embarquer. Tous n'avaient qu'une crainte: rester en arrière.
Partir, partir de ce pays écroulé, de cette vie écroulée, de cette planète! les gens vous écoutent avidement tant que vous parlez de départs, de bateaux capturés qui jamais n'arriveront au port, de visas achetés et de visas falsifiés, et de nouveaux pays de transit. Tous ces racontars servent à abréger l'attente, car les gens sont rongés par l'attente. Ce qu'ils écoutent de préférence, c'est l'histoire de bateaux partis sans eux, mais qui, pour une raison quelconque, n'ont jamais atteint leur but.
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Je montai dans un tram, en tête de ligne. J’entrai sans encombre à Marseille. Vingt minutes après, je déambulais avec ma valise sur La Canebière. On est presque toujours déçu par les rues dont on a beaucoup entendu parler. Moi non, je n’étais pas déçu. Je marchais avec la foule dans le vent qui jetait sur nous, par rafales rapides, lumières et ondées. Et cette légèreté qui me venait de la faim et de l’épuisement se mua en une légèreté sublime, magnifique, créée tout exprès pour ce vent qui m’emportait toujours plus vite jusqu’au bas de la rue. Quand je compris que ce scintillement bleu, au bout de la Canebière c’était la mer, le Vieux-Port, je ressentis enfin, pour la première fois après tant d’absurdités et de misères, le seul vrai bonheur qui reste accessible à chaque être, à chaque seconde le bonheur de vivre
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Vidéo de Anna Seghers
?Transit?, de Christian Petzold - bande-annonce .Le cinéaste allemand Christian Petzold adapte le beau roman d?Anna Seghers publié en 1944 dans un grand film romanesque où se répercute subtilement l?écho des crises migratoires actuelles. Transit est à découvrir en salles mercredi 25 avril 2018. En voici la bande-annonce, en exclusivité pour telerama.fr
>Littérature (Belles-lettres)>Littérature des langues germaniques. Allemand>Romans, contes, nouvelles (879)
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