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Critique de Eric75


Regardez bien cette photo en couverture, on y voit deux Einstein : Eduard et Albert, le fils et le père. Cette photo immortalise leur dernière rencontre, juste avant le départ d'Albert Einstein fuyant l'Allemagne nazie pour les Etats-Unis. La scène se passe à Zurich, dans l'hôpital de Burghölzli. Les Einstein sont sur leur 31, ils viennent de donner un concert ensemble, ils ne se regardent pas. Albert porte un élégant costume trois pièces et une cravate (un peu de travers), il tient un violon et un archet, il a l'air absent et triste. Eduard arbore un noeud papillon et semble totalement absorbé par la lecture d'une partition, il a l'esprit ailleurs, comme s'il cherchait à s'extraire de l'instant présent et à s'isoler de la réalité, peut-être pour ne pas avoir à parler à son père, qu'il déteste.

Sur cette photo, tout est dit.

Sur cette photo, on ne devine pas que le fils est fou, qu'il est schizophrène. Qu'il entende dans sa tête des loups hurler et voit parfois des choses qui n'existent pas. On ne devine pas qu'il a plusieurs fois tenté de se suicider. Eduard Einstein, né en 1910, passera la plus grande partie de sa vie dans cet hôpital psychiatrique, jusqu'à sa mort en 1965. Cette photo de couverture, premier contact avec le livre, ressurgit de façon époustouflante à la fin du récit.

Laurent Seksik a choisi de faire parler à tour de rôle les trois personnages principaux de cette histoire familiale. Eduard, Albert, et bien sûr Mileva, née Maric, la mère d'Eduard et la première femme d'Albert dont elle se sépare en 1914 lorsque Eduard a quatre ans.

Laurent Seksik parvient de façon incroyable à donner corps à ses personnages, à les reconstituer dans leur réalité humaine. Bien entendu, des esprits chagrins pourront toujours prétendre que les pensées et les dialogues intérieurs, voire certaines anecdotes du récit, ne sont que le résultat de l'imagination de l'auteur et peuvent s'écarter de la réalité historique. Mais ces éventuelles critiques doivent être balayées devant l'efficacité du procédé qui permet d'accéder à la psychologie et à l'intimité des personnages, de façon logique et presque évidente, à partir d'éléments retrouvés dans des lettres et des témoignages.

Albert Einstein n'a jamais pu s'occuper correctement de son fils. Son divorce, sa fuite et son exil peuvent revêtir l'apparence d'une lâcheté teinté d'égoïsme, malgré l'argent promis et versé. On peut penser cependant que jusqu'à sa mort, il regrettera d'avoir été un père absent et inutile.

Mileva Maric consacrera sa vie à veiller sur Eduard. C'est une scientifique. Elle a probablement aidé son mari à bâtir sa théorie de la relativité tout au début de sa vie de couple. Divorcée, oubliée de tous, son destin est tragique.

Les monologues d'Eduard Einstein sont les plus poignants. Malgré sa folie, il est cultivé, sensible et intelligent. Il est conscient de sa différence et de ses brusques excès de violence, même s'il n'en perçoit pas toujours la portée. Il reste toujours digne, bienveillant avec son entourage, et s'attache surtout à ceux qui ont la bonté de s'intéresser à lui. Les électrochocs et la camisole constituent l'essentiel des soins prodigués et sont peut-être d'ailleurs partiellement responsables de son état. Les méthodes thérapeutiques permettant de soigner les fous en ce début de XXe siècle sont encore balbutiantes et sans doute inefficaces. Mais son principal problème reste sa relation conflictuelle avec son père. Ce dernier est paradoxalement omniprésent et absent, sa renommée est trop écrasante pour le fils et il est coupable d'avoir abandonné sa famille.

Laurent Seksik ne parle pas, sauf çà et là par petites touches, projetées comme des éclaboussures par des événements extérieurs au récit, des faits d'armes scientifiques et des différents engagements qui ont rendu célèbre Albert Einstein. On plonge donc ici surtout dans l'intime, dans les replis oubliés de la biographie du savant. Ce livre n'est pas un essai mais un roman. Cependant, il dévoile une partie importante et méconnue de la vie du plus grand scientifique du XXe siècle, qui fut l'un des artisans de la théorie des quantas (pour laquelle il obtient le prix Nobel) et le père de la relativité, mais également le père de… comment déjà ? Ah oui, le père d'Eduard Einstein, le fils oublié de l'histoire, le fou qui voulait devenir psychanalyste.
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