Temporel/Spirituel
pp. 110-112
« L’expression pouvoir temporel fait tautologie – plutôt plate -, celle de pouvoir spirituel, contradiction – et, parfois, mensonge. Un pouvoir, en effet, déploie et impose force, armée, police, contraintes corporelles et physiques, le tout immergé dans les enjeux du temps. Non engagé, l’esprit décrit, au-dessus, un souffle, une brise, souvent douce, quoique parfois en vent impétueux : ruagh en hébreu, anemos en grec, âme et esprit en langues latines. Cette coulée fluide s’oppose aux roches cristallines, le soft anglais à son hard. Du coup, dès qu’un pouvoir spirituel impose une force, il quitte sa nature propre et retombe dans le temporel. Il laisse l’esprit et devient un pouvoir. Ainsi la justice tombe dans le droit et s’y réalise ; la mystique chute en politique, avait dit Péguy. L’histoire des diverses Eglises relate souvent cet effondrement. On voit ce dernier partout.
En voici au moins deux exemples, inquiétants, tirés des sciences et de la culture. Depuis Hiroshima, depuis Nagasaki et leurs milliers de morts, la science ne peut plus accéder au rôle que lui assignèrent Condorcet, Comte et Renan, d’un pouvoir authentiquement spirituel, capable de la guider ou d’orienter le temporel. Elle l’assuma deux siècles ; la voici dans la guerre et hors jeu. D’autant que mille entreprises, désormais, trouvent fortune et gagnent en puissance et gloire grâce à la recherche et au développement. La voici, derechef, dans la concurrence dure et hors jeu. La Big Science gère un pouvoir temporel.
Ce que l’on appelle aujourd’hui la culture : industrie cinématographique, grandes chaînes de radio et de télévision, lancement de best-sellers mondiaux, rencontres sportives, musique obligatoire dans les lieux publics… toutes entreprises concourant à la société du spectacle, mobilisent un investissement financier colossal, pour toucher le plus grand nombre. La voici dans l’exploitation des consciences et hors jeu. Cette « culture » gère un pouvoir temporel.
Après la science et ce que l’on définit, aujourd’hui, comme culture, j’hésite à citer les grandes religions, dont on dit partout qu’elles précipitent les guerres, comme le conflit de Palestine et d’Israël, voire les attentats terroristes, comme font les intégrismes d’islam et d’ailleurs. Les voici dans le temporel, donc hors jeu. »
p. 156 « Arrogantes de leur nouveauté, les sciences humaines n’ont pas, que je sache, songé à se doter d’un étage extérieur et supérieur de réflexion, comme la physique se donna, voici plus de deux millénaires, une métaphysique. Mieux valait, en effet, pour ces sciences dites dures, qu’apparaisse cette discipline nouvelle, munie de concepts abstraits, non falsifiables, dont la stérile fécondité gomma les figures ridicules, mensongères et fabriquées, de Zeus, Neptune ou Aphrodite, faux dieux dont la connaissance objective, dès les présocratiques jusqu’à Lucrèce, rit.
N’imitant pas les sciences physiques, les sciences sociales ne se dotèrent jamais d’une métanomique. Pourquoi ? Parce qu’elles ne sont pas falsifiables. Falsifiables au contraire, les sciences dures ont besoin d’une métaphysique, elle-même non-falsifiable. Elles y cherchent, en effet, à dépasser leurs limites, à trouver une liberté de penser, une banque de données, un complément… garde-fou, peut-être, mais, pourquoi pas ? droit d’être fou.
Il existe quelque équivalence fine entre la falsifiabilité d’un savoir et l’existence d’une métascience non falsifiable que le premier promeut et dont il a besoin. Du coup, nul ne manque de remarquer cette dissymétrie entre les sciences dures et douces.
"J'ai parié jadis que nos luttes à mort contre les microbes se solderont, vite, par de coûteuses défaites. Vieux de trois ou quatre milliards d'années, ils survécurent, en effet, à des myriades d'attaques mortelles. Je doute donc que, même savante, même foudroyante, note advenue récente puissent résister à leurs stratégies adaptatives, interminables et rapides. (...) ... nous procédons de lui. L'une de ses branches ne tue pas un tronc sans mourir.
Leçon donc : symbiose et paix."
p128/129
P. 68 « Qui donc va gagner ? Voilà l’un de nos principaux narcotiques ».
Quoiqu'il arrive, lecteur, ne tue pas.