Pour Justine, jeune fille de 20 ans gaie et insouciance, le début de la Seconde Guerre Mondiale marque la fin de l'innocence. Injustement arrêtée par les gendarmes pour défaut de présentation de papiers d'identité, elle est conduite au camp lozérien de Rieucros près de Mende.
Dans cet endroit retiré du monde, le premier centre de rassemblement européen pour «les étrangers indésirables», sont réunies des femmes de divers horizons et de toutes nationalités, prisonnières politiques et/ou de droits communs.
Aux côtés d'antifascistes allemandes, de Républicaines espagnoles, de communistes ou de membres des Brigades internationales, mais aussi avec des prostitués, des voleuses ou des petites criminelles, Justine est détenue pendant deux longues années.
Grand nombre de ces femmes, issues d'un milieu cultivé, elles-mêmes éduquées et instruites, sont incarcérées pour contestation politique. Allemandes, autrichiennes, polonaises, russes, italiennes ou espagnoles, elles ont fui le nazisme, le fascisme ou la guerre civile, espérant trouver sur le sol français un lieu de refuge. Arrêtées, jugées indésirables et présumées politiquement suspectes, elles sont conduites sans ménagement dans l'univers désespérément clos de Rieucros et soumises à des conditions de détention rudes et précaires.
Le froid, la faim, la maladie sont le lot quotidien de ces femmes courageuses et dignes, parquées dans des baraquements isolés au milieu des bois. L'été, les baraques de bois sont de véritables étuves ; l'hiver, il y règne un froid polaire ; le manque d'hygiène, d'eau, de nourriture sont responsables d'un mauvais état de santé permanent.
Malgré tout, avec ses compagnes d'infortune, Justine, grandi trop vite, apprend la valeur de l'amitié ainsi que le sens de la solidarité et de l'entraide. Contre toute espérance, c'est aussi dans le camp qu'elle fera l'apprentissage de l'amour…
Bien que le roman de
Françoise Seuzaret-Barry n'ait pas la force, la dimension, ni l'intensité dramatique d'un «
Si c'est un homme » de
Primo Lévi ou d' «
Une journée d'Ivan Denissovitch » de
Soljenitsyne, comme eux il a le mérite d'aborder l'univers des camps et surtout celui d'évoquer un épisode oublié et méconnu de l'histoire de la Seconde Guerre : celui des femmes internées du camp de rassemblement de Rieucros en Lozère.
Car si l'on évoque fréquemment, avec un sentiment de révolte meurtrie, les camps de concentration en terre étrangère (Auschwitz, Ravensbrück…), l'on parle beaucoup moins, sans doute par honte et par bassesse, des camps d'internement sur le sol français que l'on a eu à coeur d'enfouir au fond des mémoires après la guerre.
Enfant,
Michel del Castillo, a « séjourné » avec sa mère, réfugiée politique espagnole, dans le camp lozérien de Rieucros. Plus tard, l'écrivain a beaucoup oeuvré à faire reconnaître l'existence de ce lieu où des hommes et des femmes furent enfermés sans procès, sur simple décision administrative et souvent de façon totalement arbitraire.
Avec «
Justine, une oubliée de Rieucros », l'enseignante cévenole et écrivain
Françoise Seuzaret-Barry rend hommage à toutes ces femmes, communistes, militantes, opposantes, résistantes, qui, pour avoir voulu combattre l'oppression et la misère, furent internées dans ce centre disciplinaire de 1939 jusqu'à sa fermeture en 1942.
Si le style, sobre et lucide, manque un peu de profondeur et pâtit parfois d'un traitement trop scolaire, l'auteur réussit tout de même à nous immerger dans cet univers difficile, notamment en nous faisant partager le quotidien des centaines de détenues et des nombreux enfants peuplant alors le camp.
Malgré la difficulté et la rudesse des conditions d'existence, ces femmes pleines de ressource et de détermination, mettent en commun leur savoir-faire et leur expérience, développent des trésors d'ingéniosité pour améliorer le quotidien, pour déjouer la peur, vaincre l'ennui et tenter de continuer à vivre dignement. Envers et contre tout, elles restent droites et résistent, organisant des activités ludiques et culturelles, montant des pièces de théâtre, cousant, tricotant, transformant les baraques en salles de classe pour les enfants, vendant et exposant les petits objets d'artisanat qu'elles confectionnent pour gagner quelques sous.
L'on ne peut être qu'admiratif devant tant de persévérance et de volonté à puiser au coeur même de la souffrance le souffle nécessaire à la survie.
A travers des extraits de lettres, des vieilles photos d'archives et par le biais de femmes comme Dora Schaul-Davidson qui ont réellement existées et se sont dressées contre l'injustice et l'oppression, le récit de
Françoise Seuzaret-Barry transmet la flamme d'un beau sentiment de fraternité et d'espérance. L'entraide que ces femmes se sont manifestées, le courage et la dignité qu'elles ont affichés est une leçon de vie et d'humanité à retenir et préserver.
A mi-chemin entre la fiction et le documentaire, «
Justine, une oubliée de Rieucros », en un humb
le devoir de mémoire, offre un témoignage intéressant sur un lieu honteux trop longtemps ignoré et sur une page souvent méjugée de cette sombre période de l'histoire de France.