Correspondance, tome 2 : Juillet 1675 - Septembre 1680

Ils sont plaisants, comme aurait dit la marquise, les lecteurs qui doutent de sa sincérité et la trouvent artificielle. J'avais déjà lu des lettres passionnées mais encore jamais d'une mère à sa fille. Les lettres suivant les séparations sont des petites catastrophes, chaque fois une nouvelle histoire. J'ai beaucoup aimé celles de juin 1677, elles respirent la spontanéité et le désarroi. Je crois que c'est à partir de ce moment que Mme de Sévigné s'inquiète énormément de la santé de sa fille. En huit ans de mariage, Mme de Grignan en était à sa sixième grossesse et sa santé était devenue fragile. Mme de Sévigné donne beaucoup de conseils sur les remèdes, les régimes, l'hygiène de vie et elle se moque aussi un peu des médecins. C'est amusant de voir qu'elle trouve pédants ceux qui appellent la bonne vieille goutte française du mot savant d'arthrite ; c'est plus navrant de constater leur incurie. J'étais déjà au courant des innombrables saignées qu'ils prescrivaient, comme si c'était la panacée, mais leur ignorance était encore plus profonde que je le pensais. La science médicale n'en était même pas à ses balbutiements, les médecins étaient en fait des alchimistes, ils improvisaient totalement. Par exemple, Corbinelli, un bon ami de Mme de Sévigné, prenait de la poudre d'or en guise de médicament. On découvre ainsi toute sorte de recettes plus ou moins charlatanesques. Pas seulement dans le domaine de la santé mais aussi de la beauté, les deux n'étaient pas aussi strictement séparés qu'aujourd'hui ; on prêtait des vertus thérapeutiques à l'eau de la Reine de Hongrie et une certaine pommade de pieds-de-mouton serait l'ancêtre du fond de teint.
Pour entretenir le sien, Mme de Sévigné préférait prendre le serein, se promener en forêt, au clair de lune. Quand ses enfants étaient éloignés, elle se trouvait aussi bien dans les bois de Livry ou dans son château de Bretagne, loin de Paris et de la cour, pour écrire de longues lettres à sa fille et méditer sur la religion et la Providence. Elle décide de louer l'hôtel Carnavalet uniquement pour pouvoir loger avec ses enfants et elle n'entretient ses relations mondaines que pour les aider. Hors ses affaires, elle va très peu à la cour, qu'elle appelle « ce pays-là » comme s'il lui était étranger. Une lettre cependant est merveilleuse pour s'imprégner de ce qu'était Versailles au début, celle du 29 juillet 1676. Elle y décrit l'ambiance qui y régnait, la magnificence, la gaieté, les histoires d'amour, les nombreux jeux : « On parle sans cesse, et rien ne demeure sur le coeur. Combien avez-vous de coeurs ? J'en ai deux, j'en ai trois, j'en ai un, j'en ai quatre : il n'en a donc que trois, que quatre, et Dangeau est ravi de tout ce caquet : il découvre le jeu, il tire ses conséquences, il voit à qui il a affaire ; enfin j'étais fort aise de voir cet excès d'habileté : vraiment c'est bien lui qui sait le dessous des cartes, car il sait toutes les autres couleurs. » Et aussi « la surprenante beauté » de Mme de Montespan, exhibée aux ambassadeurs : « sa beauté est extrême, sa parure est comme sa beauté, et sa gaieté comme sa parure ». Pourtant, elle n'est plus la seule maîtresse du roi, elle est jalouse et son piédestal vacille. On apprend qu'elle s'est fâchée avec Mme de Maintenon dès 1673, alors que la faveur de celle-ci auprès du roi ne cessait de croître.
Elle apprend toutes ces petites histoires de la cour par Mme de Coulanges, mais elle en raconte aussi un tas d'autres avec un réel talent de narration qui rend les scènes très vivantes. Les plus émouvantes sont quand une mère apprend la mort de son fils ou une fille celle de sa mère ; les plus épouvantables quand elle relate les bûchers de « sorcières » comme Mme de Brinvilliers ou la Voisin. Parmi les évènements importants qui ont un rapport avec Mme de Sévigné, on peut noter la disgrâce de M. de Pomponne, la mort de Turenne, de Fouquet, du cardinal de Retz, plus particulièrement celle De La Rochefoucauld et la grande affliction qu'elle provoque chez Mme de la Fayette. Un passage intéressant au point de vue historique est celui de la révolte des bonnets rouges en 1675, puisque Mme de Sévigné se trouvait en Bretagne juste après, en pleine répression.