AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Nastasia-B


Quel rapprochement idéal que ces deux pièces ! Quel bel effet de miroir entre ces deux monuments shakespeariens qui se répondent mot pour mot ! C'est effectivement la plus belle association imaginable que nous propose cette édition avec le beau travail de traduction d'André Markowicz.

Tout d'abord Hamlet, bien sûr, l'incontournable Hamlet. J'adore la légèreté, l'humour, la finesse, la profondeur, la qualité d'écriture de l'ensemble de la pièce (pas trop le final cependant). Comment vous dire ?... Il y a des poussières d'Hamlet disséminées tellement partout que c'en est presque une gageure de vouloir les citer.

Les clins d'oeil à Hamlet sont fréquents dans les oeuvres destinées à la jeunesse ; de Goscinny à Walt Disney (Le Roi Lion) en passant par Rudyard Kipling (le fameux poème IF) pour n'évoquer que ceux-là.

Mais la littérature dite " adulte " n'est pas en reste non plus car Hamlet, en époux volage, a aussi fait des petits un peu partout et, à titre d'exemple parmi une pléthore d'autres, je mentionne la fameuse scène hilarante du chapitre XXXI des Grandes Espérances de Charles Dickens.

Or, c'est quoi Hamlet ? À quoi ou à qui peut-il nous faire penser ?

Tout d'abord, si l'on s'intéresse à sa filiation, et l'on sait à quel point Shakespeare était féru de tragédie grecque, on y voit une ascendance très nette en la personne d'Oreste. Lui aussi est fils d'un roi qui s'est fait trucider et dont la mère s'est remariée au nouveau souverain usurpateur. (Oreste, fils d'Agamemnon et de Clytemnestre, frère d'Électre ne supporte pas l'assassinat de son père et décide de devenir le meurtrier de sa mère qui a fomenté le régicide.)

Le thème de la trahison, du doublage par un frère (le vieil Hamlet est assassiné par son frère Claudius) est un thème qui semble fort et important pour l'auteur, c'est d'ailleurs le corps de l'ultime drame de Shakespeare, La Tempête, où Prospero a échappé in extremis à la mort et s'est fait subtiliser le trône par son frère.

Le thème de la mort, ou plus particulièrement de l'inutilité de la vie, est également un sujet de prédilection du grand dramaturge anglais et qui figure au coeur d'Hamlet, d'où cette fameuse tirade du « être ou ne pas être ».

Cependant, si tout cela est vrai et fort, ce qui me semble plus fort et plus évident que tout — et qui m'avait totalement échappé à la première lecture — c'est la réflexion sur le théâtre qui est contenue dans cette tragi-comédie et c'est la théorie que je vais défendre ci-dessous.

Pour bien analyser la question, observons l'architecture, la structure de l'oeuvre : Acte I — révélation du meurtre de son père à Hamlet et de l'usurpation de son trône. Hamlet est par conséquent renvoyé à un rôle subalterne. Acte II — la " folie " d'Hamlet, prise de position sur le théâtre et mise en abîme (le théâtre montre le théâtre). Révélation du stratagème du « théâtre » du roi et de la reine pour cerner Hamlet dans ses amours. Mise en évidence d'un double discours dans ce « théâtre ». Incompréhension d'Hamlet et d'Ophélie.

Acte III — Hamlet, à son tour, utilise le stratagème du théâtre. le théâtre apparaît alors en tant que révélateur de la vérité de l'âme humaine derrière les apparences. Révélation de leur propre trahison au roi et à la reine. Assassinat par Hamlet de Polonius, le courtisan intéressé et qui s'était caché. Acte IV — le pouvoir veut emmener Hamlet en Angleterre pour le tuer. Réapparition de Laërte, fils de Polonius, sorte de dédoublement d'Hamlet, qui lui aussi veut venger la mort de son père.

Acte V — On en a oublié Ophélie qui meurt sans qu'on s'en soit trop occupé, on ne sait que la pleurer. Réflexion sur la mort à l'occasion de l'enterrement d'Ophélie. Combat organisé par le roi entre Hamlet et Laërte. Mort des deux opposants qui entraînent dans leur fin celle du roi.

Voilà, très grossièrement l'ossature de la pièce. Permettez-moi simplement maintenant de vous dire ce que ces personnages m'évoquent : Hamlet, C'EST le théâtre, dans l'acception la plus noble du terme. C'est lui le révélateur, c'est lui qui voit clair dans le jeu orchestré par le roi et c'est lui qui est déchu par la vilenie du pouvoir.

Le roi symbolise évidemment le pouvoir, en tant qu'autorité qui muselle l'activité artistique de peur qu'elle ne montre trop explicitement ses propres exactions. Laërte, c'est l'autre théâtre, le théâtre d'état, le théâtre qui dit ce que le roi veut entendre, celui qui est aux bottes du pouvoir.

Les deux théâtres se livrent une lutte à mort, et qui est sacrifié au milieu d'eux ? le public, évidemment, et ici le public est symbolisé par Ophélie, qui devient folle. La reine représente la conscience, la morale à qui l'on a tordu le cou pour avaler des couleuvres (on en reparlera dans Macbeth).

Polonius représente les seconds couteaux, le peuple nombreux des courtisans hypocrites qui lèchent les savates de tout pouvoir, quel qu'il soit, et qui se font étriller par le théâtre (pensez aux bourgeois, aux savants ou aux religieux chez Molière, par exemple) car si l'on ne peut taper sur le pouvoir, on peut tout de même se faire la main sur les courtisans. Mais on peut aussi (et surtout) voir dans Polonius, l'archétype du puritain (voir les conseils qu'il donne à son fils), très en vogue et toujours plus près du pouvoir à l'époque de Shakespeare.

Et la moralité de tout cela, c'est qu'un pouvoir qui n'est pas capable de se regarder en face sous le révélateur, sous le miroir de vérité qu'est le théâtre, tellement il a honte de lui-même est voué à disparaître. Tiens, tiens, j'y vois déjà l'ombre de Macbeth, là-encore.

Pour conclure, si l'on recontextualise la genèse de cette pièce avec les événements historiques dont l'auteur était le témoin, ce qu'il faut voir dans Hamlet, ce n'est ni une tragédie (ou tragi-comédie), ni un quelconque message métaphysique, mais bien plutôt une supplique politique pour maintenir les théâtres publics élisabéthains et leur liberté d'expression face aux attaques toujours plus virulentes des puritains qui essaient d'imposer leur théâtre moralisateur.

On sait par ailleurs que les craintes de Shakespeare étaient fondées car les puritains obtiendront gain de cause avec la fermeture des théâtres publics en 1642 (notamment le Théâtre du Globe où était joué Shakespeare). Vu comme cela, cette pièce est absolument lumineuse, forte, pleine de sens et de désillusions, bref, essentielle.

Passons désormais à La Tragédie de Macbeth qui synthétise, elle aussi, beaucoup des thèmes chers à William Shakespeare : la trahison comme dans Othello, l'usurpation et la vengeance comme dans Hamlet, la prophétie et la destinée comme dans La Tempête, la folie et le changement dynastique comme dans Richard II, pour ne citer que celles-là.

C'est une lapalissade d'écrire qu'il y a différents thèmes dans cette pièce en cinq actes, mais celui qui m'apparaît ressortir plus que tout autre est celui de la morale et de l'acte vertueux.

Restons dans le droit chemin, semble nous dire en substance Shakespeare, car chaque pas en dehors du tracé du bien en appelle un suivant de sorte que, de vilenie en vilenie, le retour à la vertu est impossible et l'on s'embourbe toujours plus profondément dans les fétides marécages du mal jusqu'à n'en plus trouver d'issue, sauf l'ultime.

Au départ, Macbeth a des valeurs, des scrupules, des freins, des remords puis, peu à peu, à chaque nouvelle action pendable, ses verrous intérieurs sautent les uns après les autres jusqu'à lui accorder toute licence dans l'atrocité ou dans la barbarie.

Il convient de signaler également dans cette fonction facilitatrice, le rôle prépondérant de Lady Macbeth, totalement dénuée de scrupules alors que son mari tergiversait. Comment interpréter cette nouvelle mouture de la consommation du fruit défendu par Adam sous la houlette d'Ève et de l'exclusion à jamais qui s'ensuit du Jardin d'Éden ?

Macbeth, de courageux et noble au départ, à mesure qu'il sombre dans les travers du mal mu par sa soif de pouvoir, devient pleutre et vil. Lady Macbeth, de forte et inflexible qu'elle nous apparaît au commencement, se métamorphose progressivement jusqu'à devenir fragile, malingre et instable.

On perçoit, je pense, le sens qu'a voulu donner l'auteur à l'aliénation du couple principal : en déviant de l'axe vertueux, on érode, on corrode, on débrode le joli fil de soie de la morale humaine, livrant au regard la trame brute et laide du textile sans fard, l'animalité crue de l'Homme, dépouillée des règles sociales et morales.

Ce qui fait l'humain, c'est qu'il ne s'abandonne pas à ses instincts primaires, c'est le respect des lois et de la morale. À mesure donc que Macbeth enfreint les règles élémentaires (hospitalité, allégeance, amitié, fidélité, loyauté, etc.), il se déshumanise graduellement jusqu'à devenir un rat acculé au coin d'une pièce, prêt à sauter au visage de n'importe qui simplement pour rester en vie.

Comme je vous l'avais précisé au début, je ne peux m'empêcher de voir dans Macbeth un double inversé d'Hamlet, ou, plus précisément, la même pièce mais focalisée sur un point de vue différent. Dans Hamlet, le roi légitime, le vieil Hamlet, a été trahi et assassiné par son frère Claudius avec la connivence de la reine, propre mère d'Hamlet. le point de vue est donc centralisé sur le fils du roi déchu.

Ici, au lieu d'avoir le point focal sur Hamlet, on l'a sur Claudius, et Claudius se nomme alors Macbeth. Mais c'est la même formule de base ; convertissez Hamlet en Malcolm et le vieil Hamlet en Duncan ; acceptez qu'il puisse y avoir un dédoublement du vieil Hamlet qui en plus d'être Duncan serait aussi Banquo et vous retrouvez le spectre dont le rôle est si prégnant dans Hamlet.

Pour que l'analogie soit totale, il nous faut encore un messager symbolique : c'était le jeu de la pièce de théâtre dans Hamlet, ce sont les trois sorcières dans Macbeth et, comme par magie, l'on retombe sur nos pieds. le thème phare d'Hamlet — la mort et l'inutilité de la vie ( le fameux « to be or not to be ») — s'avère être une part cruciale de Macbeth, prétexte à l'une des plus belles tirades de tout le théâtre shakespearien à la scène 5 de l'acte V.

On pourrait poursuivre encore longtemps le parallèle entre Hamlet et Macbeth. Par exemple, Hamlet se faisait passer pour fou afin de sonder l'entourage du roi Claudius, et ici, Malcolm se fait passer pour vil afin de tester Macduff. Les deux veulent venger la mort de leur père, un roi qu'on a assassiné.

La folie et le suicide de Lady Macbeth répondent comme un écho à la mère de Hamlet et à la fin d'Ophélie. de même que le maléfique Claudius n'avait pas d'enfant, le couple Macbeth, empreint du mal, disparaît sans descendance.

Comment ne pas voir un clin d'oeil ou un appel du pied au règne d'Elisabeth Ière, reine sans enfant, dont on sait qu'elle était probablement impliquée dans des morts louches, notamment celle de la femme de son amant ? le souverain doit donc savoir être réceptif aux avertissements qui lui sont transmis par les esprits éclairés. Dans la vraie vie du XVIIème siècle, c'est le théâtre et notamment Shakespeare qui donne ces signaux d'alarme, dans Macbeth, ce sont les trois sorcières.

Selon Shakespeare, et comme dans Hamlet, le pouvoir oublieux de la morale, qui ne parvient pas à décoder comme il convient les prophéties et les avertissements délivrés par le théâtre est appelé à disparaître. Macbeth reproche d'ailleurs, à la scène 7 de l'acte V, le double entente qu'on peut faire du langage et accuse les sorcières d'être des tricheuses, alors même qu'elles lui ont fidèlement tout annoncé, tout prédit, mais que lui a mal interprété leur discours.

Le lien avec les messages délivrés par le théâtre à l'adresse du pouvoir me semble évident. le théâtre utilise le symbole, la métaphore, les analogies historiques ou les contrées lointaines, mais ce dont il parle vraiment, pour qui sait lire entre les lignes et briser les encodages, c'est du brûlant présent, de l'ici et du maintenant.

J'en terminerai (car même s'il resterait encore beaucoup de choses à dire de cette superbe tragédie, j'ai conscience que ma critique a déjà atteint une longueur critique) en signalant dans le registre du cinéma qu'il y a probablement un peu (ou même beaucoup) de Macbeth dans le personnage ô combien fameux de Dark Vador dans l'épopée Star Wars. de même, Akira Kurosawa transposa Macbeth avec des samouraï japonais dans son film le Château de L'Araignée.

En somme, deux bien belles tragédies, alliant profonde beauté et réflexion profonde, incontournables chacune à sa façon, jalonnant l'histoire mondiale de la littérature et des arts en général, excusez du peu… et comme souvent, souvenez-vous que tout ceci n'est qu'un avis, pas beaucoup plus qu'un spectre de roi assassiné, c'est-à-dire, pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          690



Ont apprécié cette critique (61)voir plus




{* *}