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sur 584 notes
Une pièce superbe. Une écriture vive et belle, malgré les altérations subies par l'anglais depuis lors et l'outrage que constitue toute tentative de traduction, quelle qu'elle soit.
Comment voulez-vous rendre en polonais, en laotien, en swahili, en hindi ou en piètre français des formules aussi sublimes que : « We are such stuff as dreams are made on ; and our little life is rounded with a sleep… »

Pour vous en convaincre, essayez donc de traduire en anglais le fameux « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Vous obtenez des choses miteuses dans le genre : « Triumph without peril brings no glory » ou bien « In conquering without danger we triumph without glory. » ou bien alors l'indigent « To win without risk is to triumph without glory » ou encore l'horrible « If one beats without difficulty, one triumphs without glory ». Bref, des bredouillis insoutenables et incomparables en force et en beauté à l'original. (J'aurais pu choisir pour ma démonstration tout autre formule merveilleuse comme « Mais pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes » ou « Couvrez ce sein que je ne saurais voir »)

Il ne faut pas espérer mieux en retour quand on s'immisce sur les terres anglophones, ou quelque terres que ce soit, d'ailleurs. Comme l'exprime si bien Umberto Eco, on ne peut s'efforcer que de dire « presque la même chose », avec tout l'abîme contenu dans le « presque ». Il nous faut donc nous contenter, nous autres francophones, de « presque » la même pièce, avec « presque » la même force et « presque » la même émotion.

Il n'en demeure pas moins, même en français, une belle pièce, que l'on pourrait qualifier de tragi-comédie, un peu à la façon de Lope de Vega, d'aucuns disent également qu'il s'agit d'une romance. Peu importe la case dans laquelle on la glisse, l'important est ce qu'il y a dedans.

Prospéro était, il y a des années de cela, le légitime duc de Milan. Il a été dépossédé de son titre par son frère Antonio avec la complicité du roi de Naples, Alonso. Échappant de peu à la mort, Prospéro et sa toute jeune fille Miranda échouent sur une île quasi déserte, à l'exception d'une sorcière et de son diable de rejeton Caliban.

Durant de nombreuses années, avec ses quelques livres, au fond de sa grotte, Prospéro a le temps de s'adonner à son art des sciences occultes et acquiert même une certaine dextérité en matière de magie. Il a aussi le temps de voir grandir sa fille et de constater l'échec de sa tentative d'éducation du petit sauvage Caliban.

Vient ensuite le moment où Prospéro, qui s'est rendu maître d'un certain nombre d'esprits en tout genre, décide de rentrer en possession de son bien, le duché de Milan. Pour se faire, il organise avec son esprit de main Ariel, le naufrage du bateau royal d'Alonso, lequel, avec toute sa suite s'était rendu au mariage de sa fille avec le roi de Tunis.

Le fils du roi Alonso, Ferdinand, l'un des seuls à conserver un coeur pur est l'objet des soins de Prospéro, qui souhaite une union entre sa fille Miranda et lui… Complots, machiavélisme à tout crin émaillent cette histoire, mais aussi des scènes carrément burlesques, notamment sous la houlette de Stéphano, le sommelier ivrogne et de Trinculo, le bouffon d'Alonso.

CQFD, ferments tragédiens + comédie = tragi-comédie. Et je dois reconnaître qu'elle est suffisamment riche pour donner lieu à de multiples interprétations. La première, et la plus classique, consiste à considérer chaque personnage un peu comme un symbole ou une allégorie d'un trait de la nature humaine avec ses multiples facettes, parfois noble, désintéressée et sublime, parfois fourbe, arriviste et pendable. On peut encore y voir une allégorie du colonialisme et de la nature féroce des rapports qu'entretiennent les autochtones et les colonisateurs.

Mais on peut aussi, bien que je ne rejette en rien les autres interprétations, y voir un clin d'oeil propre de William Shakespeare, dont on sait qu'il s'agit probablement de sa dernière pièce, suite à son choix de se retirer de la scène. le personnage de Prospéro prend alors une tout autre dimension et c'est alors, l'auteur lui-même que l'on voit poindre à travers lui. Prospéro, l'homme du livre et du savoir, qui règle ses vieux comptes avec ses pairs. Prospéro qui s'en retourne sur ses terres, loin de la sauvagerie. (Il faut alors entendre que c'est Londres, la terre de sauvagerie et d'empoignade, et que lui retourne dans son paisible pays natal de Statford, tout comme Milan représente le paisible âge d'or pour Prospéro.)

On peut y lire aussi que Prospéro ne se fait pas d'illusions sur la nature humaine, il sait qu'elle peut être belle et noble, mais aussi félonne et impitoyable. Lui range ses sortilèges tout comme Shakespeare plie ses gaules et quitte le théâtre, sur une note d'espoir, avec un peu d'humour, mais sans trop y croire tout de même.

Mais de tout ceci, vous aurez noté qu'il ne s'agit que de mon interprétation, c'est-à-dire, pas grand-chose, car nous sommes de la même étoffe dont sont faits les songes, et que notre petite vie est cernée de sommeil…

P. S. : la fabuleuse tirade de Prospéro de l'Acte IV, Scène 1 est un monument difficilement égalable que je vous recopie tel quel :

Like the baseless fabric of this vision, the cloud-capped towers, the gorgeous palaces, the solemn temples, the great globe itself, yea, all wich it inherit, shall dissolve, and, like this unsubstantial pageant faded, leave not a rack behind : we are such stuff as dreams are made on ; and our little life is rounded with a sleep...
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Muf ! Mouiii… Bah ! Bof ! Héééé ! Tiens, tiens !

Rassurez-vous, je ne me suis pas métamorphosé en une caricature de ce cher Achille Talon pour vous donner mon ressenti sur La Tempête. Mais cette suite d'onomatopée traduit assez bien l'évolution de ce ressenti au cours de ma lecture.

J'ai commencé par être déçu. La raison en est que j'avais placé très haut mes attentes sur cette pièce, simplement parce qu'elle a été regroupée avec le Songe d'une Nuit d'Été dans le sous-groupe des Fééries. Et il faut savoir que je place le Songe au panthéon de toutes les pièces de théâtre produite dans la galaxie (c'est assurément mon goût pour les littératures de l'imaginaire qui s'exprime). Prospero et Caliban étaient comme des noms mythologiques et j'allais enfin découvrir leur Edda.
Comme souvent quand on attend trop de quelque chose, on est un brin désappointé quand ce quelque chose advient. Très subjectivement, ma joie présumée est retombée comme un soufflé, mais il m'est difficile de reconnaître pourquoi. Peut-être un manque de féerie justement, peut-être un Prospero que j'ai trouvé plus fade et gentil qu'attendu, peut-être un abus d'éléments de farce qui se ressemblent.

Une fois retombé sur Terre cependant, le plaisir de lire Shakespeare est enfin ressorti du bois où il s'était endormi. William savait ne pas assommer son auditoire par des tirades à rallonge, simplement en introduisant au milieu de courts dialogues qui, s'il n'apporte rien en eux-mêmes, permettent de souffler et de ne pas oublier qu'on n'écoute pas une thèse mais bien une histoire avec des gens. William était un as pour les dialogues à plusieurs voix : un couple qui discute (par exemple Alonzo et Gonzalo), un autre couple qui moque le premier (Sébastien et Antonio). William manie bien la multiplicité des personnages. William glisse sa culture en citant du Montaigne et imitant du Marlowe (non, non, je n'ai pas trouvé ça tout seul ; j'ai seulement lu les notes de François-Victor Hugo, le traducteur).

Comme dans le Songe, tout est bien qui finit bien à la fin. Je n'ai pas pu m'empêcher de rapprocher la clémence de Prospero de celle d'Auguste dans Cinna de Corneille. Il avait pourtant toutes les raisons et toute la puissance de pratiquer une vengeance d'une profonde cruauté. Mais non, il reste soft. Impressionnant !

Même si mon plaisir effectif n'a pas été à la hauteur de celui espéré, j'ai quand même passé un bon moment. Et je devais de toute façon la lire afin de pouvoir attaquer armé le roman fantasy de Poul Anderson Tempête d'une Nuit d'Été qui, comme son titre l'indique, s'inspire des deux fééries de Shakespeare.

Challenge Théâtre 2017-2018
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Alors qu'il était duc de Milan, Prospero a laissé les rênes à son frère, Antonio, pour mieux se consacrer à ses recherches sur la magie. Ce dernier a jeté Prospero et sa fille dans un bateau pourri en espérant qu'ils ne survivraient pas. Mais ils ont trouvé refuge sur une île.
Ariel, un esprit des éléments, prisonnier de Prospero, fait souffler une tempête sur le bateau du roi Alonzo qui revient du mariage de sa fille, en compagnie d'Antonio. Les occupants du navire sont dispersés sur la plage de l'île de Prospero qui va vouloir se venger en utilisant ses pouvoirs magiques.
C'est une histoire de vengeance, d'amour, de magie et de pardon, une pièce légère et joyeuse.
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Créée en 1611, la pièce ne connaîtra pas d'édition du vivant de Shakespeare, mais elle figurera en tête dans le fameux Folio du 1623, qui rassemblait pratiquement toutes les pièces du dramaturge, et dont la qualité fait une source majeure pour l'oeuvre de Shakespeare. Cette pièce est par ailleurs généralement considérée comme la dernière de son auteur, ce qui lui donne un statut et une résonance particulière. D'autant que les spécialistes n'ont pas identifié de sources dont Shakespeare aurait pu s'inspirer pour sa pièce : il s'agit donc d'une création sortie complètement de son imaginaire.

Prospéro, le duc de Milan a été détrôné par son frère, Antonio, avec l'aide d'Alonso, roi de Naples. Parti sur un bateau, il se trouve avec sa fille Miranda, dans une île inhabitée. Prospéro est magicien, et lorsque Alonso et Antonio, en voyage, se trouvent à proximité de son île, il déclenche une tempête, qui va les obliger à s'y rendre. Grâce à sa magie, aidé par une esprit qu'il a asservi, Ariel, il va se faire rencontrer Ferdinand, fils d'Alonso et Miranda, qui comme il l'a prévu, tomberont amoureux. Ariel fait échouer la tentative d'Antonio et de Sébastien, frère d'Alonso, de tuer ce dernier. Par ailleurs, il empêche également une tentative d'un autre esprit, Caliban, qui a poussé deux marins à tenter d'assassiner Prospéro. le magicien se découvre, pardonne à son frère et à Alonso, le mariage entre Miranda et Ferdinand est décidé, et Prospéro rentre récupérer son duché, et jette ses livres de magie.

Une intrigue au final très simple et linéaire, même si le personnage de Caliban apporte quelques péripéties un peu à la marge de l'intrigue principale. L'ensemble de l'action se déroule sur la même durée que la durée de la pièce, les événements antérieurs étant racontés par Prospéro à Miranda, qui ne les connaissait pas à cause de son jeune âge.

Dernière pièce, écrite alors que Shakespeare s'était retiré de Londres, elle a souvent été considérée comme son testament. L'identification entre l'auteur et son personnage principal a souvent aussi été avancée : Prospéro est un démiurge, mais aussi un auteur et un dramaturge, qui met en scène les événements, les observe des coulisses, fait intervenir Ariel, et décide du déroulement des actions, qui vont amener à la conclusion qu'il a décidé. Il n'est pas exempt de défauts : parfois colérique, il a une part de responsabilité dans la perte de son duché, dont il ne s'occupait pas, obsédé par l'acquisition de pouvoirs magiques.

L'île de Prospéro est un lieu hors du temps, hors de l'histoire, en dehors du fonctionnement habituel du monde. La venue des visiteurs, d'un groupe, de la société, va remettre les personnages, Prospéro et Miranda dans le monde, dans le mouvement, dans une temporalité. Dans une identité sociale également. Dans la scène 2 du premier acte, Prospéro dit à Miranda « ma fille, qui ne sais pas ce que tu es ». C'est la présence, le regard des autres, qui va donner à Miranda son identité, et qui va susciter la mémoire, le souvenir, d'une histoire, de vies, d'existences inscrites dans une durée, avec des événements qui se sont déroulé et qui vont recommencer à se dérouler.

L'île est le monde de l'intime, du « en soi » , d'un retrait du monde, dans lequel il n'y a pas besoin de se définir, c'est la présence et le regard des autres qui permet ou qui oblige à se situer par rapport à eux, à se donner une identité sociale, et une histoire. La venue du groupe permet la restauration d'un ordre transitoirement troublé, et la remise en route de l'horloge. Prospéro et Miranda repartent vers leurs vies antérieures. Pas tout à fait les mêmes, puisque Prospéro brûle ses livres, ne voulant pas recommencer la même erreur.
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Que de vent !

Ciara et Inès ont la joie de vous annoncer la venue de leur petit-frère Dennis.
Ses rafales pourraient atteindre jusqu'à 130 km/h sur les côtes du Finistère et du Pas-de-Calais, au plus grand bonheur de ses grandes soeurs.

Ça souffle en bord de mer, ça souffle dans les terres...et mon imaginaire s'affole.

Le tableau Miranda vue par John William Waterhouse évoque à merveille les images et les sensations qui m'abreuvent : l'émerveillement face à la mer en furie, un sentiment de plénitude mais aussi cette certitude que rien ni personne ne peut résister aux éléments naturels lorsqu'ils se déchaînent.
Il y a des nuits où je rêve de vagues déferlantes, de terres submergées, de tempêtes terribles...
J'ai peur.
Le souffle du vent me fascine et me terrifie à la fois...

Je suis telle Miranda qui regarde au loin ce navire qui s'échoue.

" Oh ! le cri de son naufrage a retenti contre mon coeur ! Pauvres infortunés ! ils ont péri. Ah ! si j'avais été quelque puissant dieu, j'aurais voulu précipiter la mer dans les gouffres de la terre avant qu'elle eût ainsi englouti ce beau vaisseau et toutes ces créatures dont il était peuplé."

Le vent est le souffle de la vie, esprit de l'air qui nous maintient en vie. Mais il peut être aussi le symbole de violence et de mort.. Tels Ariel et Caliban.
Des esprits qui tourmentent joyeusement les personnages de cette comédie tragique.

Si la mort est omniprésente dans cette pièce, elle offre cependant des moments fort plaisants et des moments de grâce. On s'y sentira oppressé, amusé et finalement réconcilié avec le genre humain...
Shakespeare y mélange habilement tous les genres : fantastique, mélodrame, poésie, réalisme, merveilleux et tout cela virevolte avec virtuosité au gré du vent !
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Une oeuvre qui m'est chère, mon avatar Babelio en témoigne. C'est avec elle que je me relevai, sur le plan des études littéraires, après une très longue passe morose, de doutes quant à ma compatibilité avec la littérature. C'est avec la lecture de la Tempête et le cours qui allait avec que je vécus une renaissance littéraire et humaine qui n'a jamais cessé depuis, que j'arrivai jusqu'au Master, dévorant polars et tragédies à n'en plus pouvoir.

Je ne connaissais rien de la pièce lors de sa lecture, et je la voyais comme une tragédie. le poids immense des paroles de Prospéro, exilé, qui s'apprête à prendre sa revanche, déchaîner les éléments et le spectacle, était pour moi le même que celui d'Hamlet. J'ignorais qu'il s'agissait d'une des fameuses pièces à problème, tragi-comédie, inclassable... Et tant mieux. L'équilibre est parfait, la gravité tragique cède la place à l'entente, les moments de comédie sont réussis et compatibles avec les évènements... le chant du cygne de Shakespeare, et un de ses chefs d'oeuvre, sur lui-même, en tant qu'artiste, dramaturge, metteur en scène, créateur, démiurge, sur nous tous, artistes et artophiles.
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Qu'est-ce qui manque dans Shakespeare?
Rien.
On y trouve tout et la Tempête en est une énième illustration: drame, comédie, poésie, philosophie, politique, psychologie, anthropologie, cosmologie, féerie.
La pièce est classée dans les comédies, puisqu'elle "finit bien." Par là il faut entendre que le personnage principal, Prospéro, arrive à rétablir un certain ordre moral bafoué.
Chassé par son frère usurpateur, échoué avec sa fille sur une île presque déserte, il utilise ses pouvoirs magiques pour amener les criminels à reconnaître leurs torts et récupérer son duché. L'humanité est donc bien faible, si elle ne peut réparer les fautes commises par ses propres moyens. L'argument n'est pas particulièrement comique.
Il y a bien sûr des épisodes de comédie, générés notamment par le personnage de Caliban, fils contrefait d'une sorcière, et seul habitant de l'île à l'arrivée de Prospéro. Mais Caliban est tout aussi inquiétant que drôle, et pose la question de l'humanité, lui qui est généralement appelé "monstre." Prospéro n'est pas tendre avec lui, peut-être a-t-il ses raisons.
Il est servi par un autre quasi-humain, le génie Ariel, qui fait des prodiges. C'est lui qui déclenche la tempête qui amènera l'usurpateur, son fils, et même le roi, et leur suite, sur l'île. Il ne rêve que de reprendre sa liberté.
La pièce baigne donc dans une atmosphère magique, mais elle pose quelques questions fondamentales sur la condition humaine. Aucun personnage n'emporte complètement l'adhésion. C'est sans doute pour cela que nous sentons une telle proximité avec leur imperfection.

Et nous éprouvons toujours le même bonheur de puiser dans les trésors shakespeariens.

Lu dans la traduction de Jean-Michel Déprats, Bibliothèque de la Pléiade (Oeuvres complètes de Shakespeare 7, Comédies 3)
Mes citations viennent de cette traduction.
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Franchement le titre m'a longtemps repoussée à lire cette pièce, je m'attendais à y trouver des histoires du genre où la tempête se lève et des matelots doivent simplement y faire face... Or la tempête, ici, est une entité à part entière agissant sur le passé qui renaît de ses cendres, du présent qui s'agite comme la tempête elle-même et du futur qui est la somme d'une soif de vengeance et de l'interpellation à l'indulgence...

Derrière la tempête se cache une histoire, celle de maître Prospero, maître parce qu'il est non seulement le chef suprême de l'île mais il est aussi le possesseur de la nature, il domine sur les êtres et sur les esprits allant jusqu'à engendrer une tempête, en complicité de son humble serviteur Ariel, qui est un esprit capable de s'incarner en toute chose visible ou invisible.

Derrière cette tempête, Prospero est le maître du jeu, il tire les ficelles à sa guise, il déplace les hommes, les esprits les vagues comme des pions qui doivent tous chuter dans son panier de vengeance.

Bannis avec sa fille de Milan par son propre frère et jeté comme un traître dans un bateau de fortune en mer, Prospero se retranche dans cette île isolée où il mène une lutte acharnée avec la sorcière Sycorax, vainqueur, il devient le chef de l'île... Pendant que le vaisseau du roi, avec tous ses sujets est en mer, Prospero soulève une tempête et laisse le bateau faire naufrage afin que les naufragés se retrouvent sur son île et qu'il mette à exécution tous ses plans conçus avec délicatesse...

Prospero, le maître du jeu, segmente les naufragés selon ses objectifs, notamment en les entraînant chacun à révéler sa vraie nature, aussi découvre-t-on de la traîtrise, l'esprit malin du crime, l'histoire du bannissement de Prospero... de l'amour aussi...tout se dévoile devant le roi... A l'instar de tout, les jeux de notre maître ont permis à chaque personnage de se regarder comme dans un miroir et de se faire une rétrospection.

Vraiment un petit bijou à découvrir!!!


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Les éléments déchaînés, les forces de la nature déréglées, les énergies libérées lors de la tempête, fracassent tout. La tempête, c'est l'évènement qui conduit la plupart des personnages de la pièce sur l'île, et ils s'échouent, naufragés, perdus, d'entrée de jeu.
La Tempête, c'est l'annonce d'un grand malheur : "Nous sombrons, nous sombrons, nous sombrons."
Dès lors que tout le monde se trouve dans cet espace iréel, cette île mouvante, flottant sur les eaux, le temps, loin de s'arrêter, s'affole, toujours plus, jusqu'à ce que le projet de Prospero, le Maître des lieux, s'accomplisse, selon sa volonté. Et il sera fait "[a]vant que le temps soit expiré". Cette échéance, c'est le temps d'Ariel – ce génie des airs, mais non libre comme l'air – cet oiseau, au service de Prospero qui se métamorphose en nymphe, à sa demande, et qui chante le chant de la sirène et qui séduit par son chant Ferdinand qu'il livre à Miranda, l'admirable – la fille de Prospero. Ariel, le messager aux pieds ailés, le marchand de sable qui vole de plage en plage, endort les esprits et les (r)éveille mais lui, il n'a aucun repos.
La Tempête, c'est encore cette force qui, par l'intervention d'Ariel, prend possession des esprits et qui confine à la folie, sur cette île où les hommes sont à la merci des éléments jusqu'à ce qu'on leur vienne en aide : "Qu'une musique solennelle, que les sons les plus propres à calmer une imagination guérissent ton cerveau, maintenant inutile et bouillonnant au-delà de ton crâne".
La Tempête, ce chaos – c'est l'intervention de forces supérieures allant à l'encontre de la nature des choses et qui suscite l'émerveillement : c'est un miracle, dès lors que la Tempête se calme.
Qui est le Maître de la Tempête ? Où est-il ?
Est-ce Prospero dans sa caverne, qui planifie les évènements et qui personnifie la science et la magie lui qui s'adonne aux arts libéraux et qui a ses livres avec lui, sur l'île. Il semble qu'il ait un grimoire en sa possession lui qui se vêt d'une robe et d'un manteau magiques : " Je retourne à mon livre", dit-il, alors qu'il s'éclipse pour mettre en oeuvre son projet. Les personnages de la pièce semblent être les créatures de Prospero et même s'il a perdu son duché, il semble que l'art du magicien soit celui qui se dresse face au pouvoir politique, puisqu'il a conduit jusqu'à lui le duc de Naples et le duc de Milan.
Mais le Maître du Jeu ne pourrait-il pas être l'esclave ? Ne serait-ce pas Ariel à la folle imagination, aux pouvoirs sans limites, qui dépasse les attentes de son Maître ? Ou Caliban qui était sur l'île avant tous les autres, cet homme monstrueux, mi-homme mi-poisson, cet esclave monstrueux, fils de la sorcière Sycorax et d'un démon, qui s'adonne à la passion de la boisson, qui prend pour maître le maître du vin, et qui s'abandonne à l'ivresse, tel le dieu Pan ?
La Tempête, n'est-ce pas aussi toutes les malédictions proférées ? Celles du bosseman, du marin qui défie la tempête dès le début de la pièce ? Ou ces insultes que Caliban adresse aux autres – et qu'on lui adresse ( le principal ressort du comique dans cette pièce mais le comique n'est pas si efficace que ça sur moi parce que je ne peux m'empêcher d'aimer Caliban). En effet, les tortures que Prospero promet à Caliban, s'il ne lui obéit pas, sont terribles mais Caliban le lui rend bien, à son Maître qui lui apprit à parler : "Vous m'avez appris un langage, et le profit que j'en retire c'est de savoir maudire".
"[S]i vous pouvez imposer silence à ces éléments", la Tempête se calme et moi de même.

"Soyez tranquille[s]. Maintenant voilà nos divertissements finis ; nos acteurs, comme je vous l'ai dit d'avance, étaient tous des esprits ; ils se sont fondus en air, en air subtil ; et, pareils à l'édifice sans base de cette vision, se dissoudront aussi les tours qui se perdent dans les nues, les palais somptueux, les temples solennels, notre vaste globe, oui, notre globe lui-même, et tout ce qu'il reçoit de la succession des temps ; et comme s'est évanoui cet appareil mensonger, ils se dissoudront, sans même laisser derrière eux la trace que laisse le nuage emporté par le vent. Nous sommes faits de la substance dont sont faits les rêves, et notre petite vie est environnée de sommeil. – Seigneur, j'éprouve quelque chagrin : supportez ma faiblesse ; ma vieille tête est troublée ; ne vous tourmentez point de mon infirmité. Veuillez rentrer dans ma caverne et vous y reposer. Je vais faire un tour ou deux pour calmer mon esprit agité."
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Une trahison, une tempête, un naufrage, une île déserte, un magicien et des esprits : il ne m'en fallait pas plus pour me plonger corps et biens dans cette nouvelle pièce du grand maître Shakespeare.
Cette tragi-comédie m'a transporté dans un bel interlude théâtral, frais et enlevé.

La mise en scène en trois pans distincts est parfaite (qu'elle est grande cette île). J'ai particulièrement aimé l'intervention des "déesses" et les scènes de dissimulation de Prospero ainsi que les scènes bouffonnes de découverte de Trinculo, puis entre Stephano et Trinculo où Ariel invisible fait mine de prendre la voix de ce dernier.
Je me suis amusée et j'ai savouré la langue de Shakespeare (j'ai oscillé entre la VO et la traduction, la joie des versions bilingues). Merci à Lutopie qui m'a pioché cette petite bluette pour avril c'était vraiment très plaisant comme souvent pour moi avec Shakespeare. Aux amateurs de tragi-comédie, de mythologie et d'île déserte.
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