S'il faut néanmoins déterminer une temporalité qui lui soit propre, alors c'est celle de la jeunesse. Car de tous les âges de la vie, c'est la jeunesse qui, par sa sensibilité, se rapproche le plus de l'éternité, parce qu'elle ne sait pas encore ce que signifie le temps, parce qu'elle ne le ressent pas encore comme une puissance et une limite. C'est pour cette raison que la jeunesse n'a, de façon si patente, aucun sens historique : elle mesure les choses à l'aune de l'infini, indépendamment des conditions restrictives imposées par la réalité temporelle, et elle est seule à connaître ces journées qui se gonflent et s'étendent hors de leurs limites, au cours desquelles l'on croit encore espérer tout le passé et se rappeler tout le bonheur futur. Telle est l'atmosphère du paysage böcklinien.
On a donc affaire à deux chemins qui divergent de façon inconciliable: l'un pour lequel tréfonds et abimes ne valent que pour la grâce d'un seul sommet, et qui trouve la valeur des choses dans leur cime à partir de laquelle, en retour, il donne à tout ce qui se trouve plus bas son sens resplendissant et son degré de valeur - celui-là ne comprendra jamais l'autre chemin où l'on veut entendre la voix de Dieu parlant dans le ver de terre et où s'éprouve comme juste la prétention de chaque chose à valoir autant que tout autre. D'autre part, celui qui ne peut se passer du spectacle de la différenciation et du classement, d'un monde offrant l'image d'une conception selon le plus ou le moins de beauté, celui-là ne vivra jamais dans le même monde intime que l'autre qui voit l'harmonie dans l'égalité des choses entre elles de sorte que charme et laideur que le regard découvre, chaos absurde et forme pleine de sens, ne sont que des vêtements et des enveloppes derrière lesquels il perçoit partout la même beauté, la même âme de l'Être à laquelle, de tout son coeur, il aspire.
L'âme a besoin des deux, l'unité et le multiple, et trouve beau que celle-là soit apportée par celui-ci, et inversement. La symétrie est, également, un nombre oscillant entre singulier et pluriel: dans l'État "symétrique" (autocratique ou socialiste), les diverses parties et classes sont tenues sous le joug d'un centre, d'un souverain ou d'un nombre, comme sont mis sous le joug aussi et réunis les deux hémistiches dans la forme de l'alexandrin classique français, lequel se trouve, de cette façon, beaucoup plus lié analogiquement au pouvoir absolu que le pentamètre iambique de Shakespeare et de Goethe, ou l'hendécasyllabe de Dante et de Pétrarque. Le pentamètre iambique de Shakespeare est, de ce point de vue et par rapport à l'alexandrin racinien, un mètre "libéral" souffrant toutes les exceptions possibles
C'est d'abord dans les figures symétriques que le rationalisme prend corps de façon visible. Tant que la vie en général est encore soumise aux pulsions, aux sentiments, à l'irrationnel, c'est sous la forme du rationalisme que se manifeste le besoin esthétique de s'en délivrer. Quand l'entendement, le calcul, la compensation ont pénétré la vie, le besoin esthétique se réfugie dans son contraire et cherche l'irrationnel et sa forme extérieure, à savoir l'asymétrique.
Chercher à concilier ces deux tendances, chercher un concept et une théorie qui démontrent que ces deux directions opposées où tendent les sentiments de la valeur peuvent s'accorder et se rejoindre au sein d'une aspiration plus haute, en se fiant au constat qu'en beaucoup d'âmes toutes deux règnent à égalité de droits, cela équivaut à écarter par le raisonnement l'opposition du jour et de la nuit en invoquant le crépuscule.