Les Novices

La littérature est remplie de sentiments que nous aurions aimé ressentir une seule fois dans notre vie. C'est pour cette raison qu'elle nous retient tant, qu'elle est une balise de nos espérances les plus folles, que ce soient celles de l'amour ou de l'ascèse, de la folie ou de la rigueur, un repère qui, lorsqu'un jour par hasard il survient dans notre propre environnement, nous rend atones et désemparés d'être arrivés dans notre existence à un point ultime de la littérature.

Les anges portent des ailes invisibles qui viennent par inadvertance effleurer la peau de ceux qu’ils protègent, les picotements, les chatouillements, ce sont eux.

Ils ne s'étaient pas élus comme on choisit un objet précieux. Ni elle ni lui n'était la pièce manquante au puzzle de l'autre. A leur première rencontre, ils s'imaginèrent marcher côte à côte sur un bord de mer, se réveiller ensemble dans des draps chiffonnés, attendre, mains enlacés, un résultat d'examen. Sans rien dire ils se distribuèrent des rôles d'amoureux écrits depuis longtemps. Ils s'étaient inventés bien avant de se trouver.
Jamais rien de pareil ne s'était manifesté dans leur vie et ils crurent au miracle qu'une telle rencontre puisse se produire et d'en être fous. Fous, ils l'étaient, et ils se répétaient à satiété les mots de l'étonnement, du désir et des avenirs incertains : ils étaient de jeunes amants abasourdis par ce que l'existence leur permettait.
Pourquoi nous, se demandèrent-ils. Quel stratagème ingénieux a permis que nos deux visages se croisent, se plaisent et s'épousent ? Le miracle des corps fut leur grande découverte. Ils avaient connu des aventures toutes plus décevantes les unes que les autres, et d'arriver aussi simplement à tant de perfection, les éblouissait. En parfaite innocence, ils imaginèrent que rien auparavant dans le monde n'avait pu se produire de semblable, que cette magie des peaux et des parfums était leur fait à eux, un élixir personnel dont ils venaient de trouver la formule délirante.
Comme s'ils se livraient le stock de leurs tendres années, pareils à des orpailleurs impatients, ils décapaient le monde afin que seul le métal précieux emplisse leurs mains et leurs coeurs : l'or d'une jeunesse dont ils se croyaient pourvus à jamais.

à Paris, le soleil s'est levé à 5h57, il se couchera à 21 h 31; en cette somptueuse journée d'août, la capitale française est visitée par des milliers de touristes qui découvrent la Seine et ses trente- quatre ponts ; en file indienne, dans l'escalier torsadé de la tour nord de Notre-Dame, ils peuvent apercevoir les tuyères bleues et rouges de Beaubourg et, dans le lointain, la butte Montmartre flanquée de sa basilique des Mille et une Nuits

"Légers de leurs rêves, ils arpentaient les trottoirs pareils à des livreurs de fleurs qui porteraient un présent à des inconnus. Leurs paroles étaient presque entièrement vouées au futur, ils disaient: demain, un Jour, nous verrons: rarement aujourd'hui"