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EAN : 9782330074920
315 pages
Actes Sud (01/02/2017)
4/5   87 notes
Résumé :


Jawad est le fils cadet d'une famille chiite de Bagdad. Son père le prépare à exercer la même profession rituelle que lui, celle de laver et d'ensevelir les morts avant leur enterrement, mais Jawad s'y refuse et rêve de devenir sculpteur.

Après avoir fait ses études d'arts plastiques à la fin des années 1980, alors que Saddam Hussein est au faîte de sa puissance, il est cependant enrôlé comme soldat puis se retrouve peintre en bâtimen... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
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".....ce que mon père nous achetait était dû à la faveur de la mort, et ce que nous mangions aussi, c'était la mort qui nous l'assurait ",
Propriétaire de la seule salle de lavage pour chiites de Bagdad, où travaillèrent plusieurs générations de la famille et dont l'histoire remonte à plus de dix décennies, le père lave et prépare les morts à l'enterrement. le narrateur est son fils cadet Jawad.
Dans son jardin un grenadier fleurissant, buvant les eaux de la mort, et près de celle-ci un banc de bois prévu pour les proches du défunt qui veulent assister au rituel de lavage.......Le père souhaite que le fils prenne sa suite, mais ce dernier qui l'aide déjà pendant les vacances scolaires, n'en a ni la force ni l'envie....et il en a honte.
Jawad aime dessiner. Un professeur de "pratique artistique" au lycée l'y encourage. Et contre le gré de son père, il fera des études de Beaux-Arts.
Mais l'invasion américaine en 2003 va changer le cours des choses......
La guerre avec l'Iran, le régime d'oppression de Saddam Hussein, la guerre du golf après l'invasion irakienne du Koweit en 1990 et finalement les Américains qui donnent le coup de grâce en 2003 au pays, soi-disant pour le libérer .....Jawad va tout y perdre ( "En descendant du monticule de gravats, j'ai senti les ruines que je portais en moi se dresser de plus en plus haut, pour étouffer mon coeur" ). Noyée dans ses cauchemars récurrents, son âme d'artiste et de poète y survivra quand même.
Une atmosphère lourde de calcinés, de cadavres, de disparitions et de scènes révoltantes, comme celle où le narrateur en route pour Najaf pour enterrer son père croise un régiment américain. Des soldats américains qui maltraitent et humilient trois irakiens dans leur propre pays, pourquoi ? Juste parce qu'un connard à la solde des lobbys d'armes,, qui ne savait même pas où se trouvait l'Irak sur la carte, a décidé de l'envahir, pour tuer sa propre création ( "L'élève a déguerpi, le maître est arrivé ! " ), le reste vous connaissez...."l'éradication d'un pays", comme le remarque le tonton du narrateur, à un retour d'exil.
Un récit poignant, jonglant entre passé et présent, histoire personnelle et celle de l'Irak, le tout adoucie par une trés belle prose tout en sensibilité et finesse. Malgré le froid de la violence continue dont la mort en est le principal protagoniste ("un jour, je me suis rendu compte que mis à part Mahdi et ma mère, je vivais mes journées avec les morts" ), la chaleur de la Vie est présente, à travers des visages trés humains de Jawad, d'Ammouri le frère aîné, de tonton Sabri l'oncle communiste exilé et d'autres personnages de passage, l'amour et l'art y contribuant.
Un livre sur l'histoire de la folie humaine qui carbure à l'avidité sans fin de pouvoir et d'argent et où la vie humaine n'a aucune valeur. Un livre plus que jamais d'actualité.

"Ma petite histoire, que j'ai voulue différente, a été engloutie par la grande histoire, il n'en reste plus rien."

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De Zeruya Shalev à Sinan Antoon , de « Stupeur » à « Seul le Grenadier », deux belles voix de la littérature israélo-arabe.

Vraiment, je n'avais pas prévu l'horreur du massacre du 7 Octobre. Qui l'aurait pu? Il y avait déjà tant d'insoutenables problèmes à résoudre, tant de tragédies que l'on se forçait à fuir, tant d'intifadas rebondissant sur des colonisations permanentes lâchement acceptées par l'Occident depuis
2007 et les accords d'Oslo sabotés par les extrémistes des deux bords, tant de mépris pour le Mouvement de la Paix.
Non, je voulais mettre à l'honneur, en parallèle , sur une même estrade, une des grandes voix de la littérature Israélienne, il y'en a tant, et l'une des plus brillantes écritures d'un grand auteur Arabe. Dire simplement, qu'entre les deux je ne voulais, pouvais pas choisir, tant ils s'unissent dans une splendide et indispensable littérature.
Les grandes plumes Israéliennes sont connues, de David Grossman ( “une femme fuyant l'annonce”) à Amos OZ, de la nouvelle génération Etgar Keret à la tradition parentale d'Abraham Yehoshua , et tant d'autres.

La situation est un peu différente pour la littérature arabe. Riche elle aussi, mais un peu brouillée par le fait que beaucoup de grand auteurs, maghrébins, libanais, égyptiens , sont de culture française, écrivent en Français et font partie du paysage culturel français. Leila Slimani, Amin Maalouf, Yasmina Khadra, Albert Cossery en sont les têtes d'affiche pendant que la Syrienne Dima Wannous ou
l'égyptien Najib Mahfouz peinent encore à occuper leurs premiers plateaux de télévision Français. Je voulais mettre à l'honneur l'écrivain Irakien Sinan Antoon pour son très beau et très dur “Seul le Grenadier “.

Zeruya Shalev, à 64 ans, est une écrivaine israélienne moins connue en France, même si elle a une riche bibliographie derrière elle honorée du Prix Femina en 2014 pour son livre le plus plébiscité chez nous “ Ce qui reste de nos vies”.

« Stupeur » est une Splendeur. Il fait partie de ces livres, rares, qui vont rejoindre, ce qui était au départ, une galéjade , ma désormais PARL , ma pile à relire !
Ce livre est tellement beau, d'une profondeur à ce point insondable, d'une humanité tellement religieuse, au sens où il nous relie à notre propre humanité, à nos différences, à nos interrogations subversives sur nos couples. Il parle du couple, de la famille et de ses secrets, des enfants dont on n'a pa su deviner le changement intime tant il était profond, de l'amitié, du passé douloureux et parfois regretté, du présent remis en question et en évidence , du futur qui va se construire sur d'improbables et inattendues perspectives. C'est aussi le livre le plus politique de l'auteur, rythmé par des allers retours permanents entre l'Israel de 1948, et celui d'aujourd'hui à Haïfa, peinture qui ne sert que de toile de fond à l'histoire.
« Stupeur »c'est Rachel, cette vieille femme juive de 90 ans, aux portes de sa fin, ancienne combattante du groupe extrémiste Lehi qui a lutté en 1948 pour expulser les Britanniques de cette Palestine qu'ils avaient pour mandature, rêvant d'une vie d'entente avec les Arabes dont on voit ce qu'il en a été, « Stupeur » c'est Atara, architecte brillante et imaginative dans son travail et son art qu'elle utilise pour reconstruire des bâtiments anciens avec des matériaux d'époque, femme libre et moderne mais pleutre et pauvre dans le chipotage permanent de sa vie de couple qui va foncer dans le décor avec la disparition tragique de son second mari Alex, regrets et culpabilité éternelle.
« Stupeur » c'est la rencontre inattendue de Rachel porteuse d'un secret qui l'étouffe et qu'il va lui falloir dévoiler à Atara,
« Stupeur » c'est le basculement spirituel et mystique d' Éden son fils commun avec Alex, enfin « Stupeur » c'est le lecteur bousculé sur les barricades de ses certitudes littéraires et va se retrouver confronté à la beauté de l'écriture de Zeruya Shalev, à sa psychologie, à l'interminable introspection sur ses erreurs, ses errements, ses ambiguïtés. L'écriture est d'une finesse et d'une élégance, émouvante à force d'être belle.
Je suis abasourdi par la beauté de ce livre à nul autre pareille. Pourquoi ? Peux-être par l'actualité qui nous renvoie à la lâcheté, non pas des peuples, mais des hommes qui s'en improvisent, les lea(lai)deurs et les maîtres, mais aussi les voleurs et les traîtres.
S'il y avait une supplication que j'aimerais vous faire, ce serait de plonger dans ce livre de vies brisées et d'espérances en berne, et qui s'abreuve aux abysses de l'âme humaine. C'est une gifle littéraire.

Je suis conscient de marcher sur des oeufs en mettant sur le même plan ces deux auteurs de confession et de culture différente.
Sinan Antoon est un poète et renommé traducteur Irakien de 56 ans. « Seul le Grenadier » est son troisième livre.
Jawad est un jeune adulte qui vit avec ses parents à Bagdad pendant la période de l'invasion américaine en Irak. Il a aussi un frère futur médecin et une soeur mariée. le papa est “laveur de cadavres “, il prépare les morts avant l'inhumation, qu'ils soient anonymes ou amenés par les familles. Les rites funéraires sont codifiés et très réglementés. C'est un travail qui est repris de père en fils depuis plusieurs générations.
Et le Grenadier, c'est l'arbre du jardin dont les racines se nourrissent de l'eau qui a servi au Père de Jawad pour laver les corps.

Sauf que Jawad a d'autres projets dans la vie, celui de se tourner vers les arts plastiques et le dessin, dans lesquels il excelle. Il s'y fait remarquer par son professeur et il va tout faire pour accomplir sa passion malgré la déception de son père de ne pas le voir reprendre l'activité familiale. La guerre va en décider autrement.
J'entends souvent dans les commentaires et les résolutions des hommes politiques et des organismes internationaux dire que tel ou tel état ne respecte pas les droits et les règles de la guerre, ne pas attenter aux civils, ne pas affamer et assoiffer les innocents des populations civiles. Mais depuis quand y a t'il des droits, une charte, à respecter dans une guerre, un curseur à positionner sur des actes licites à commettre et d'autres qui ne le seraient pas, y a t'il une légitimité à faire la guerre? Ce livre pose immanquablement ces questions. Deux mille ans de soi disant civilisation ne nous ont donc conduit qu'à des massacres organisés, prémédités, légalisés. Qu'est ce que que c'est que ce monde où l'humain ne sait plus que torturer, décapiter, massacrer.
C'est aussi cela que nous montre le livre, où Joudi avance dans le brouillard de la Mort, essayant à son niveau, avec pour lui infiniment d'humanité, d'apporter au mieux, un semblant de respect et d'ordre par des rites , des soins, des prières, attention aux corps qu'il lave , embaume, traite comme un médecin le ferait, avec empathie pour chacun. Quelle atrocité encore dans ce conflit, où les Américains , gendarme du monde dit libre, envahissent un pays à la recherche perdue d'avance, d'hypothétiques parce que imaginaires, armes de destruction massive qu'ils ne pourront pas découvrir parce qu'elles n'ont jamais existé, la destruction massive ce sont eux qui l'amènent dans l'ordre et la rigueur politique qu'ils se sont inventés.
Attentats suicides , explosions de kamikazes et de voitures piégées, rythment cette histoire trop brièvement éclairée de rencontres amoureuses et sensuelles qui permettent à Jawad, poisson prisonnier dans un bocal, de venir absorber un tout petit peu d'oxygène pour vivre.
Malgré ces horreurs, Jawad continue, sans prendre parti, en dépit de ses cauchemars, de réciter , prières et lamentations , de faire appel à Dieu , à un cadre religieux qui continue de le structurer et de le maintenir debout. Les sourates diffusées sur des haut parleurs demeurent psalmodiées . de façon imperturbable. Comme si rien ne se passait.

Le livre est magnifique, mais dur. Les bombardements, les voitures piégées, les attentats suicide, la présence de l'armée américaine qui fait comme si elle était chez elle, rythment l'histoire et la vie complexe du jeune Jawad, surnommé Joudi. Les premières amours sont aussi décrites avec infiniment de délicatesse et de sensualité. Nous pénétrons dans un monde et une guerre toujours d'actualité, où l'on n'en finit pas de s'interroger sur l'improvisation de l'espèce humaine, bien plus préoccupée par sa destruction que par une ambition de fraternité collective, et où l'on passe allègrement d'une dictature à une autre . le parallèle avec ce qui se passe aujourd'hui à Gaza, comme en Israël , est vite fait comme avec les multiples régions du monde où sévit la guerre. Les populations civiles qui ne demandent qu'à vivre en paix , trinquent. Certaines pages sont angoissantes , et le mieux est de les lire dans la journée plutôt que le soir ! Pourtant, dans cette humanité déchirée par des conflits atroces, dont la pertinence nous échappe, telles les haines entre les communautés Sunnites et Chiites, surnage une espérance et une foi dans un hypothétique avenir meilleur, où l'homme devenu enfin intelligent, accepterait la différence, l'altérité et saurait regarder ses frères d'infortune avec amour et dignité.
On pense tout au long de ces pages écrites sobrement mais avec talent, à la fameuse phrase de Shakespeare “ l' Enfer est vide. Tous les démons sont ici “.
J'ai aimé ces deux livres , que je voulais associer et chroniquer ensemble, convaincu que leurs deux auteurs sauraient en débattre, et parler de littérature et de foi en l'être humain.
On voudrait tous se lever , ensemble, main dans la main, sur tous les champs d'Horreur et dire, Stop, ça a assez duré.
La littérature peut nous y aider.
Humainement recommandés.
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J'ai aimé le ton poétique du livre, son symbolisme et le fait que l'histoire s'inscrive dans l'Histoire dramatique récente de l'Irak (on comprend toujours mieux les faits à travers des témoignages individuels qu'à travers les reportages factuels). J'ai aimé aussi sentir « de l'intérieur » les doutes du protagoniste qui peine à trouver le sens de sa vie entre désirs et culpabilité, toucher du doigt sa souffrance et ses errances. J'ai pu aussi, à travers ce livre, comprendre un peu de ce qu'est l'antagonisme latent entre chiites et sunnites qui se révèle surtout dans les situations de crise. Par contre, j'ai été déçue par le tour que prenait le roman. Autrement dit, je suis entrée avec facilité dans la vie de Jawad, j'ai mûri avec lui au fur et à mesure de ses deuils mais je n'ai pas réussi à faire mien son détachement qui s'installe progressivement et le roman s'est poursuivi sur ce ton un peu neutre qui m'a donné jusqu'à la fin une impression de non-aboutissement tant dans la vie de Jawad que dans le roman. J'en sors avec le goût amer d'un certain pessimisme que n'avait pas laissé présager le début.
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Seul le grenadier, de l'irakien Sinan Antoon, porte le titre de le laveur de cadavres, dans sa traduction anglaise. Il donne effectivement une idée assez explicite de ce qu'est le roman avec un narrateur qui a pris malgré lui la succession de son père et des générations précédentes dans cet office qui est loin de son rêve de devenir sculpteur. Des dernières années de la guerre du Golfe à aujourd'hui, le livre raconte la violence ininterrompue à Bagdad, devenue encore plus sanglante avec le conflit confessionnel. S'il y a déjà eu d'excellents romans d'auteurs irakiens, ces derniers temps, notamment Frankenstein à Bagdad, Seul le grenadier est sans aucun doute le plus poignant, ne serait-ce que dans ses aspects documentaires pour comprendre véritablement ce que signifie la vie et la mort, inextricablement liés, en Irak. Ce thème est l'un de ceux traités par Sinan Antoon notamment à travers ce métier de laveur de cadavres qui donne lieu à plusieurs scènes d'une force incroyable. Au-delà de son réalisme saisissant, le livre est aussi une fiction remarquable autour de son personnage principal, de ses rêves et cauchemars, de ses amours impossibles,de son apprentissage de l'âge adulte, et de son enlisement progressif dans ce qui pourrait ressembler à une dépression si le mot n'était pas aussi dérisoire dans une vie cernée au plus près par la mort. Ce requiem de Bagdad est rendu vibrant par un style délié, une plume qui recourt à la poésie à chaque fois que le linceul de la tragédie semble recouvrir cette ville dont l'âme ne fait qu'errer entre vivants et défunts.
Lien : http://cin-phile-m-----tait-..
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Bagdad. Irak.

Ici, la vie et la mort sont deux meilleures ennemies, elles se côtoient, se frôlent, empiètent l'une sur l'autre, inséparables, prennent le dessus, s'avalent, rivalisent. Mais aucune ne l'emporte jamais vraiment.

Tout et rien. Rien et tout.
Tout n'est rien ; rien du tout.

Une question jaillit presque inévitablement : que serait la vie sans la mort ?

Dans « Seul le grenadier », Sinan Antoon évoque ainsi l'histoire de son pays et sa déchéance à travers la famille de Jawad. Très vite, Jawad découvre qu'il est différent. Depuis des décennies, les hommes de la famille héritent de la même profession, du même « art » ; ils sont laveurs. Or Jawad n'aspire pas à ce destin tout tracé, à ce chemin qui s'offre à lui, telle une évidence.
Jawad aime l'Art, il veut étudier la peinture, la sculpture, l'Art sous toutes ses formes, l'Art comme moyen de révolte, de protestation, comme échappatoire, exutoire, l'Art comme une voie de traverse. Il veut célébrer l'espoir et la Vie, et non pas assister à la déchéance et la Mort.

En s'échappant de cette trajectoire pourtant inévitable, Jawad s'éloigne de son père, le déçoit, c'est toute une coutume qu'il rejette, c'est l'histoire de ses ancêtres, de sa famille, c'est son héritage qu'il balaie d'un revers de main. Mais pour autant, Jawad n'abandonne pas ses rêves, il entre à l'université d'Arts, côtoie les plus éminents professeurs, les artistes les plus talentueux, il en découvre d'insoupçonnés et surtout, il rencontre l'Amour. le vrai, le véritable, le profond, celui qui chamboule, promesse d'un avenir radieux et merveilleux dans sa ville écrasée par les bombes, par les basculements politiques, ravagée par les Américains et son propre gouvernement.

Je lis rarement de romans historiques, dans lesquels la fiction se mélange à l'histoire, je les appréhende, allez savoir pourquoi. En entamant la lecture de Seul le grenadier, je craignais d'être perdue dans cet aspect de l'Irak que je ne connais pas, ces guerres dont j'ignore les profondes raisons, ce conflit conscient mais pourtant inconnu, méconnu, qui m'est en somme étranger.

Et pourtant, il n'en est rien.
Sinan Antoon a réussi le pari fou de me tenir en haleine, avec un récit incroyable, des personnages forts, attachants, dont le destin tragique est effroyable. Seul le Grenadier pourrait être une fable du XXIè siècle, il représente la Vie à travers ce qu'elle puise dans la Mort, sa force de subsistance, sa victoire malgré tout.

La vie de Jawad suit la course d'un cycle infernal ; elle donne, elle reprend, elle offre, elle arrache, elle concède, elle punit, elle plie, elle saccage. La vie est double, elle est ambivalente, elle est oxymore, elle crée à la fois l'amour et la souffrance.

Ainsi triomphe ce grenadier, dont les racines se nourrissent de l'eau qui s'écoule de la petite maison, dans laquelle on lave les morts pour les purifier une dernière fois, et de l'horreur naît la beauté. Et de la Mort jaillit la Vie.


“Just remember that death is not the end
Oh, the tree of life is growing
Where the spirit never dies
And the bright light of salvation shines
In dark and empty skies”

(Death is not the end – Bob Dylan)
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critiques presse (3)
LaCroix
31 mars 2017
De petites échappées dans le passé de Jawad, sur le campus de l’université ou dans les cafés de Bagdad, rappellent qu’un temps l’art et le plaisir furent possibles. Comme si l’Irak, montré comme un théâtre de cruauté – les corps, ou plus souvent ce qu’il en reste, parvenant à la salle de lavage sont décrits avec minutie –, n’était pas voué à la fatalité du malheur.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Telerama
08 mars 2017
Une ode prodigieuse et sensible à l'émancipation.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lexpress
06 mars 2017
Sinan Antoon brosse le superbe portrait d'un homme de bien emporté par le maelstrom du Moyen-Orient et lève le voile sur Bagdad.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (72) Voir plus Ajouter une citation
Je suivais les nouvelles de l’Irak, jour après jour, à la radio, à la télé, dans les journaux et récemment sur Internet. Rien ne m’échappait. Je savais que l’embargo avait détruit le pays, mais c’est autre chose quand on s’en aperçoit sur place. Un vrai choc. Le pays est fatigué, les gens sont épuisés. Même al-Karrada, qui était le plus beau quartier, regarde ce qu’il est devenu. La saleté, la boue, les barbelés, les chars… Pas de femmes dans les rues. Ce n’est pas Bagdad, ça. Même les pauvres palmiers n’en peuvent plus, personne ne s’en occupe. Et ces Américains, avec leur racisme et leur sottise, crois-moi, ils vont pousser les gens à regretter le temps de Saddam.
Et il a eu bien raison.
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—Il n’y avait que trois soldats au poste-frontière entre la Jordanie et l’Irak, et un seul fonctionnaire irakien. Il tamponnait les passeports en survêtement de sport et avec des mules aux pieds. Je lui ai demandé qui décidait là-bas, qui donnait l’autorisation ou pas aux gens de passer. “C’est l’officier américain qui décide, moi je tamponne.”
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“Il est tout à fait licite aussi, a-t-il poursuivi, qu’un juif ou un chrétien lave un musulman, si aucun homme de sa religion ne se trouve dans les parages. L’important, c’est d’avoir de bonnes intentions”, a-t-il insisté....( lavage de cadavres )
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Elle dormait nue sur une table d'albâtre, dans un espace découvert, sans toit ni murs. Il n'y avait personne autour de nous et, à perte de vue, rien d'autre que le sable qui s'étendait à l'horizon. Des nuages moutonnés dans le ciel, qui se relayaient pour voiler les rayons du soleil, fuyaient pour s'y dissiper. J'étais dévêtu et déchaussé. Tout m'étonnait. Je sentais le sable sous mes pieds ainsi que le vent frais. Je me suis lentement approché de la table pour m'assurer que c'était bien elle. Quand et pourquoi est-elle revenue de l'étranger après toutes ces années ? Sa chevelure noire ramassée sur le côté de la tête lui couvrait la joue droite de quelques mèches ; elle semblait ainsi garder son visage qui n'avait pas changé. Ses sourcis étaient soigneusement épilés. Ses paupières abaissées se terminaient par des cils épais. Son nez veillait sur ses lèvres charnues, teintées de rose comme si elle était encore en vie, ou venait de mourir. Ses mamelons se dressaient sur ses seins en poire ; je ne voyais aucune trace de l'intervention. Elle avait les mains croisées sur le nombril, les ongles longs, vernis de la couleur des lèvres, le pubis glabre et les ongles de pied maquillés de rose, eux-aussi. Est-elle morte ou endormie ? J'ai eu peur le toucher. Je l'ai fixée et j'ai chuchoté son nom : Rim. Elle a souri, sans ouvrir les yeux au début, puis, quand elle les a ouverts la noirceur de ses prunelles a souri aussi. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Je l'ai interrogée à haute voix :
- Rim, qu'est-ce que tu fais là
J'ai failli l'étreindre et l'embrasser, mais elle m'a averti :
- Ne m'embrasse pas. Lave-moi d'abord, pour que nous puissions être ensemble, et après...
[...]
Il m'a semblé entendre une voiture s'approcher. Je me suis retourné et j'ai vu un Humvee rouler à une vitesse affolante, laissant derrière lui une traînée de poussière. Il a brusquement viré à droite et s'est arrêté à quelques mètres de nous. Les portières se sont ouvertes. Quatre ou cinq hommes encagoulés, habillés de kaki et portant des mitraillettes en sont sortis. Ils ont couru dans notre direction. J'ai cherché à la protéger de ma main droite, mais l'un d'eux était déjà arrivé près de moi. Il m'a assené un coup de crosse sur la figure et m'a renversé. Puis il m'a roué de coups de pied dans le ventre, dans les reins et dans le dos. Un autre m'a attrapé les bras pour me tirer loin de la table. Aucun d'eux n'a soufflé mot. Je criais, je les insultais, mais je n'entendais pas ma voix. Ils m'ont forcé à m'agenouiller et m'ont ligoté les poignets avec une corde. L'un des deux premiers m'a posé un couteau sur la gorge, pendant que l'autre me bandait les yeux. Leurs rires se sont mêlés aux cris et aux râles de Rim, que j'entendais clairement. J'ai essayé de me dégager, mais ils me tenaient fermement. J'ai hurlé de nouveau, je n'entendais toujours pas ma voix. Les gémissements de Rim m'étaient pourtant audibles, ainsi que les grognements des hommes, leurs ricanements et le crépitement de la pluie battante. J'ai senti une douleur atroce, la lame froide transpercer ma gorge. Le sang chaud a coulé sur ma poitrine et sur mon dos. Ma tête est tombée. Elle a roulé comme un ballon sur le sable. J'ai entendu des pas qui s'approchaient. L'un d'eux a ôté le bandeau de mes yeux, l'a glissé dans sa poche, m' a craché dessus et s'en est allé. J'ai vu mon corps à gauche de la table, à genoux, baignant dans une mare de sang. Les trois autres regagnaient le Humvee. Deux d'entre eux traînaient Rim par les cheveux. Elle a voulu tourner la tête vers moi, mais l'un d'eux l'a giflée. J'ai crié son nom, sans entendre le son de ma voix. Ils l'ont assise sur la banquette arrière puis ils ont refermé les portières. Le moteur a démarré. Le Humvee s'est éloigné à toute allure, pour disparaître à l'horizon. Et la pluie a continué de cingler la table vide.
Je me réveille haletant, trempé de sueur.

chapitre 1
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Elle dormait nue sur une table d’albâtre, dans un espace découvert, sans toit ni murs. Il n’y avait personne autour de nous et, à perte de vue, rien d’autre que le sable qui s’étendait jusqu’à l’horizon. Des nuages moutonnés dans le ciel, qui se relayaient pour voiler les rayons du soleil, fuyaient pour s’y dissiper. J’étais dévêtu et déchaussé. Tout m’étonnait. Je sentais le sable sous mes pieds ainsi que le vent frais. Je me suis lentement approché de la table pour m’assurer que c’était bien elle. Quand et pourquoi est-elle revenue de l’étranger après toutes ces années? Sa chevelure noire ramassée sur le côté de la tête lui couvrait la joue droite de quelques mèches; elle semblait ainsi garder son visage qui n’avait pas changé. Ses sourcils étaient soigneusement épilés. Ses paupières abaissées se terminaient par des cils épais. Son nez veillait sur ses lèvres charnues, teintées de rose comme si elle était encore en vie, ou venait de mourir. Ses mamelons se dressaient sur ses seins en poire; je ne voyais aucune trace de
l’intervention. Elle avait les mains croisées sur le nombril, les ongles longs, vernis de la couleur des lèvres, le pubis glabre et les ongles des pieds maquillés de rose, eux aussi. Est-elle morte ou endormie? J’ai eu peur de la
toucher. Je l’ai fixée et j’ai chuchoté son nom : Rim.
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