William Snelgrave aurait tout du gentleman : capitaine honorable et expérimenté de la marine marchande anglaise - dont
Joseph Conrad dira plus tard tout le prestige - il fait commerce avec l'Afrique et l'Amérique. Il lui arrive des aventures qu'il sait raconter d'une plume élégante. Son livre a du succès. Il figure dans le bibliothèque d'Alexis de Tocqueville. Aujourd'hui encore sa lecture reste passionnante.
Il a le coup d'oeil du marin, mais aussi celui de l'ethnologue et de l'historien. Il se passionne pour les querelles des rois locaux, leurs manières. Il en donne un récit qui reste aujourd'hui encore une mine d'informations. Son commerce est la pacotille, les étoffes, l'ivoire et, on l'aura deviné, les esclaves.
Pas de chronologie dans son récit. Trois textes sont juxtaposés en vrac. Livre I : événements survenus au Dahomey entre 1726 et 1730.
Livre II : récit des mutineries des noirs, vade-mecum du commerce négrier, plaidoyer pour la traite. Livre III : L'auteur prisonnier des pirates et autres dangers (1719)
Le premier livre et le troisième sont des récits d'aventure et qui se lisent comme tels et de la meilleure encre.
On s'arrêtera sur le deuxième, le plus court. A l'époque où Snelgrave se livre à son commerce et où s'allument les lumières, surgit la contestation de la traite. Les idées se confrontent aux intérêts. Et c'est d'abord en Angleterre que les quakers font campagne, efficacement, au nom de la dignité humaine. Les marchands résistent. Snelgrave, qui est leur employé, se fait leur avocat. Et c'est l'un des intérêts du livre de voir présenter un argumentaire habile en faveur de la traite. En somme,nous dit Snelgrave, l'esclavage est un fait social, la traite des noirs les sauve de la mort certaine réservée aux prisonniers de guerre. Employé dans les plantations, dans un climat qui leur convient, les noirs sont entretenus par des maîtres qui ont intérêt leur bonne santé, condition de leur force de travail. Tout est au mieux dans le meilleur des mondes. Mais lorsque notre capitaine rappelle, à bon escient, que "la grand loi des Blancs, des Noirs, et de toutes les créatures raisonnables, était de "ne faire aux autres que ce que chacun voudrait qu'il lui fut fait" ; que c'était un commandement que Dieu nous avait ordonné de garder, sous peine d'en être sévèrement puni, si osions transgresser la maxime (p.86), il devrait logiquement condamner l'esclavage, dès lors qu'il accepte que "l'autre" peut être un esclave, comme il le démontre à plusieurs reprises par des actes personnels de bienveillance.
"La conscience est une bonne fille avec laquelle on finit toujours par s'arranger" disait
Gide. le Capitaine Snelgrave est d'abord un employé stipendié au service de ses commanditaires négriers. le fils d'un armateur négrier bordelais, André-Daniel Laffon de Ladebat montrera plus de courage et de rigueur intellectuelle.
Un proverbe anglais dit qu'un gentleman est un homme qui sait jouer de la cornemuse, mais il n'en joue pas ("A gentleman is a man who can play the bag pipe, but he doesn't"). Un capitaine anglais comme Snelgrave peut faire avec talent le commerce triangulaire, mais, s'il prétend être un gentleman, he doesn't !
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