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Alain Bouldouyre (Illustrateur)
EAN : 9782259197199
486 pages
Plon (15/10/2004)
3.61/5   46 notes
Résumé :
Venise est une grande aventure historique. Elle peut être aussi une passion individuelle. C'est le cas ici.

Dans ce titre : Dictionnaire amoureux de Venise, je souligne le mot amoureux. Il ne s'agit évidemment pas d'un " guide " (il y en a d'excellents), mais d'une expérience personnelle liée à ma vie d'écrivain. Je suis arrivé là très jeune, j'ai passé chaque année, printemps et automne, beaucoup de temps à marcher, naviguer, regarder, respirer, dor... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Décès de Philippe Sollers ce 5 mai 2023
Cet homme m'a toujours fasciné, et par fasciné j'entends cette drôle d'impression que l'on ressent dans la confusion de nos sentiments.
J'ai ressortie de ma bibliothèque son meilleur ouvrage, à mes yeux du moins, qu'est le « Dictionnaire amoureux de Venise ». A partir de ce livre j'ai regardé Sollers sous un autre angle, celui d'un humain qui savait regarder non seulement l'art et la beauté, mais aussi les humains qui l'entourent. Oui, dans cet ouvrage il y est arrivé et souvent bien mieux que dans ses romans. Habitants, touristes ou chrétiens venus se recueillir, tous ont été remarqués, admis et parfois même admirés.
Son immersion dans la ville il en a fait un cocktail culturel, certes incomplet du fait de la limite imposée par cette collection des dictionnaires amoureux chez Plon, mais qui m'aura suffisamment replongée dans l'art, dans l'architecture et dans l'histoire de cette ville pour que je m'achète, dans la foulée, plusieurs livres sur Venise.
Il balaie, sans donner l'impression de survoler, des sujets, des personnages et des lieux féériques.
Cette ville a pourtant, durant une longue période, profondément souffert de désamour. Fin XVIIe siècle ce fichu Bonaparte la vend aux autrichiens (une de ces histoires comme on en a beaucoup vu au travers d'autres dictateurs et d'autres villes sacrifiées).
Le XIXe siècle a ensuite était bien triste pour elle puisque tout était fait pour que Venise ne soit plus que vestiges, ruines et même symbole de la Mort.
A partir de 1900 tout a basculé. Des artistes, et pas des moindres (Monet, Manet ...) l'ont non seulement réhabilitée mais ils ont réussi à la remettre en lumière au travers de la musique, de la peinture, de l'écriture et de l'architecture.
Sollers nous reparle de son histoire et de son aura au travers des yeux de Monteverdi, Vivaldi, Wagner, Titien, Tintoret, Véronèse, Casanova, Aragon, Hemingway, Montaigne, Nietzsche mais aussi Rousseau, Shakespeare, Stendhal.
Il visite à sa manière la Mostra, la Giudecca, la Fenice, la Place Saint Marc, l'Arsenal, le Canal, le Guetto, les églises, les lions ou encore le carnaval. Il arrive à nous prouver à quel degré cette ville éclaire le présent par son indéniablement riche passé.
Philippe Sollers idolâtre cette ville et c'est cela qui rend l'oeuvre comme l'auteur, admirables.
Bref, la contagion a fonctionné pour moi.
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De qui, de quoi risque-t-on de tomber amoureux? de Venise, de Sollers, des deux? L'un est continuellement présent en filigrane et se promène entre les bras de l'autre qui semble si bien fusionner avec cet amant hors du temps (XVIIIè-XXIè, parmi les siècles, à travers siècles...). Venise, telle une coquette incomprise et insoumise se love sensuelle contre le torse de son protecteur. Il nous l'offre, elle se dérobe. Il nous la dévoile, elle nous échappe. Il l'aime, elle reste pudique... Nous sommes pris dans cet élan d'amour et voulons à tout prix la rejoindre et la découvrir comme il nous la fait apercevoir. Se détourner du tourisme de masse, du pseudo-carnaval médiatique, partir à sa conquête en s'oubliant, ne se déplacer d'un chez nous à Elle, que gonflés des beautés qu'il nous a décrites, les mots sonnant à nos oreilles (Proust, Morand, Casanova,etc...), les couleurs et les perspectives noyant nos yeux (Le Titien, Bellini,Giorgione, Manet! etc...) et au bout de nos doigts fébriles tenter de toucher... Venise, un monde dans le monde : "Venise est un trésor flottant, c'est entendu, mais il y a mille trésors dans ce trésor..." Relire Proust, Hemingway, Stendhal... Ecouter et réécouter Vivaldi, Vivaldi et l'incomparable Cecilia Bartoli... S'asseoir, rester sans bouger, assis sur un banc place San Agnese ou accoudé à la rambarde d'une fenêtre face à la Douane de mer. S'imprégner. Voilà ce qu'a réussi Philippe Sollers, nous imprégner de "son" histoire vénitienne et nous faire frissonner. C'est son livre en tête que je parcourrai Venise et que la Rencontre entre elle et moi, peut-être, aura lieu.

"Je ne veux rien voir autrement que par hasard". Friedrich Nietzsche

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Qui mieux que Philippe Sollers pour nous faire partager Sa Venise dans ce dictionnaire amoureux

Lui qui nous dit : "du bon usage de Venise : choisir son quartier, son pont, son ponton, son quai, son jardin, ne plus bouger, lire ou écrire" Et bien partons avec lui lire ce Dictionnaire Amoureux

Et il aura écrit sur Venise et à Venise, et dès le prologue le ton est donné :

"Je me revois, à l'automne 1963, arrivant pour la première fois, de nuit, à Venise.
Je viens de Florence, me voici tout à coup sur la place Saint Marc.
La prévision de la scène est étonnante : debout, sous les arcades, regardant la basilique à peine éclairée, je laisse tomber mon sac de voyage, ou plutôt il me tombe de la main droite, tant je suis pétrifié et pris.
J'entends encore le bruit sourd qu'il fait sur les dalles.
Je sais, d'emblée, que je vais passer ma vie à tenter de coïncider avec cet espace ouvert, là, devant moi.
J'ai ressenti une émotion du même genre, mais moins forte, en pénétrant, à Pékin, dans la Cité interdite et, surtout, en allant aux environs visiter le temple du Ciel au toit bleu.
C'est un mouvement bref de tout le corps violemment rejeté en arrière; comme s'il venait de mourir sur place et, en vérité, de rentrer chez soi. Être dehors est peut être une illusion permanente : il n'y aurait que du dedans et nous nous acharnerions à ne pas le savoir.
La nuit (il était très tard, il n'y avait personne ni sur la place ni dans les ruelles) favorisait ce choc semblable à celui qu'on ressent dans l'épaule en tirant un coup de fusil. Détonation silencieuse, vide, plein, vide : évidence intime"
Tel un syndrome De Stendhal....

On comprend mieux cet amour qu'il voue à la Sérénissime et qu'il sait si bien nous transmettre, prenant le relais d'autre écrivains illustres, qui perpétuent a mon sens, le plus beau texte sur Venise, a savoir

L'éloge de Venise, de Luigi Crotto Cieco d'Hadria, prononcé pour la consécration du doge sérénissime de Venise Luigi Mocenigo, le 23 août 1570.

« Voici la ville qui, à tous, inspire la stupeur. Et j'ajouterai que toutes les vertus en Italie dispersées en fuyant la fureur des barbares ici se rassemblèrent, et, ayant reçu du ciel le privilège des alcyons, firent, sur ces eaux, de cette cité, leur nid. Et je conclurai ainsi : qui ne la loue est indigne de sa langue, qui ne la contemple est indigne de la lumière, qui ne l'admire est indigne de l'esprit, qui ne l'honore est indigne de l'honneur. Qui ne l'a vue ne croit point ce qu'on lui en dit et qui la voit croit à peine ce qu'il voit. Qui entend sa gloire n'a de cesse de la voir, et qui la voit n'a de cesse de la revoir. Qui la voit une fois s'en énamoure pour la vie et ne la quitte jamais plus, ou s'il la quitte c'est pour bientôt la retrouver, et s'il ne la retrouve il se désole de ne point la revoir. de ce désir d'y retourner qui pèse sur tous ceux qui la quittèrent elle prit le nom de Venetia, comme pour dire à ceux qui la quittent, dans une douce prière : Veni etiam, reviens encore. »

Un texte qui exprime si bien ce qu'est Venise et qui donne envie d'y venir et d'y revenir que ce soit en vrai ou au travers de textes ou d'ouvrages et ce Dictionnaire Amoureux y contribue...
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C'était il y a plus de douze ans déjà mon second voyage en famille à Venise ...en 2010 exactement . Il semble que depuis , Venise , ait beaucoup changé mais comment Venise peut-elle changer en dehors des dégradations que l'homme lui inflige ? Nous avions loué un appartement dans le quartier Dorsoduro , je m'en souviens très bien et le propriétaire nous avait mis à disposition sa bibliothèque ( sublime cadeau ...) et un peu usé , un peu jauni .. (et c'est le plus bel honneur qu'on puisse faire à un ouvrage ...) le dictionnaire amoureux de Venise écrit par Philippe Sollers. Je cherche Dorsoduro à d'et il me redirige à Z comme Zattere et là je lis ceci : "Comme les troncs descendent par flottage ( zattera ) charriés par le courant du Piave depuis la forêt du Cadore jusqu'à Venise , le long quai a été nommé "Zattere" Il va de la pointe de la Douane jusqu'à la gare maritime. Un voyageur un peu expérimenté sait que c'est le plus bel endroit de l'Univers."
Merci Mr Sollers pour cette sublime découverte de Venise . Pour tous les amoureux de Venise ce dictionnaire remarquablement illustré par ailleurs par les trés beaux dessins d'Alain Bouldouyre est selon moi incontournable .Vous aurez la chance de visiter Venise en compagnie d'un des esprits les plus brillants du siècle passé .... Bonne lecture à toutes et tous et à trés vite ...
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Ce livre est une somme d'informations et de culture... Emporté à Venise, je m'en suis régalée, revivant l'histoire sur les lieux décrits par Philippe Sollers. L'écriture est pourtant très personnelle et la passion de l'auteur pour la ville surgit à chaque page. Je n'aime pas spécialement cet auteur pour ses écrits antérieurs, mais sur Venise, il est incontournable !
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Venise, voilà son secret, est un amplificateur. Si vous êtes heureux, vous le serez dix fois plus, malheureux, cent fois davantage. Tout dépend de votre disposition intérieure et de votre rapport à l'amour. L'amour ? Oui, et dans tous les sens: anges et libertinage, architecture, peinture, musique, roman, poésie, mais aussi air, pierre, eau, étoiles. Nature et culture enfin à égalité. Venise n'est pas un musée, mais une création constante. Si vous échappez aux clichés, au tourisme, aux bavardages; si vous avez réussi à être vraiment clandestin ici, alors vous savez ce que le mot paradis veut dire. Le monde se précipite vers le chaos, la violence, la terreur, la pornographie, le calcul aveugle, la marchandisation à tout va? Mais non, voyez, écoutez, lisez: voici le lieu magique et futur dont tous les artistes et les esprits libres témoignent.
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Vivaldi Antonio (1678-1741)

« Le 4 mars 1678, en même temps que l’apparition d’Antonio Vivaldi en ce monde, se produit un événement très rare : un tremblement de terre. Panique, et beaucoup de dégâts.
J’aime ce signal divin, il définit sa musique. Tempête, éclairs, repos, tourbillon fiévreux et grand calme.
S’il y a un génie du lieu, et du temps absolument singulier de ce lieu, c’est lui. Deux ou trois accords, et on est immédiatement sur place, dans la lagune, entre ciel et eau, dans la préparation des navires, en bateau. Tout évoque ici le bois profilé et rapide, le violon volant, le lent détour flottant suspendu, les cordes, les cordages, une sorte d’artisanat enflammé tenu par l’archet, la main, les doigts, l’oreille infaillible, et puis gouge, varlope, copeaux, coques bondissantes, éclats.

Vivaldi est un dieu grec. Sa fulgurante odyssée reste, par bien des côtés, incompréhensible.
Quel nom, aussi : VI-VAL-DI.
La vie, la valeur, la variété, la vivacité, le dit.
Des dieux au pluriel. C’est dit et redit.
Tout est mystérieux chez lui : sa prêtrise, sa rousseur ("Prete rosso", le prêtre roux ou rouge), sa fureur de composition, sa fécondité créatrice, sa profusion, sa vie de laboratoire incessant avec les jeunes chanteuses de l’Ospedale della Pietà, sa liaison avec la cantatrice Anna Giro (ou Giraud, puisque son père était français), sa mort misérable à Vienne en 1741, la censure sauvage dont il a été l’objet pendant deux siècles, sa redécouverte récente son succès populaire inattendu, sa profondeur cachée.
Robbins Landon, dans son Vivaldi de 1993, rappelle le rôle du poète américain Ezra Pound (voir Pound) dans la résurrection de Vivaldi :

Pendant deux cents ans, le nom d’Antonio Vivaldi n’était connu que des musicologues et des historiens. Mais au XXe siècle, avec le regain d’intérêt pour la musique baroque, il commença à émerger de l’oubli. L’un des artisans de cette renaissance fut l’écrivain américain Ezra Pound, qui vivait à Rapallo et qui y organisa de remarquables concerts consacrés à Vivaldi. Il comptait au nombre de ses amis la violoniste américaine Olga Rudge qui fut l’une des principales interprètes des concerts de Rapallo entre 1933 et 1939. En 1936, à l’instigation de Pound, elle catalogua les trois cent neuf pièces instrumentales de Vivaldi en manuscrits à la Bibliothèque nationale de Turin ; ensuite de quoi elle devint l’une des principales figures dans la renaissance de Vivaldi au XXe siècle, acceptant les fonctions de secrétaire de l’Accademia chigiana à Sienne, où elle fonda, avec le musicologue intalien S.A. Luciani, le Centro di studi vivaldiani.
Olga Rudge était, bien entendu, beaucoup plus qu’une simple "amie" de Pound. On la voit souvent photographiée avec lui à Venise. Je les ai souvent vus tous les deux marcher sur les Zattere, au soleil.
Ce n’est qu’un début. Il faut attendre des années après la Deuxième Guerre mondiale pour que la musique d’église de Vivaldi commence à être connue, sans parler de ses opéras. Les résistances ont été très fortes, mais rien à faire. Vivaldi est un tremblement de terre dans l’histoire falsifiée de la musique, une vague déferlante de vérité et de beauté, d’autant plus inarrêtable qu’il peut passer aussi pour un musicien d’écoute "facile" (on ne compte plus les enregistrements des Quatre Saisons). Il gagne dans tous les registres. C’est une catastrophe pour tous les carcans. [...]

Le ressentiment qu’il provoque est comique. Prêtre catholique et musicien de génie : impossible à admettre. A ce compte-là, il n’est pas non plus admissible que Monteverdi, l’auteur du tardif Couronnement de Poppée, ait été ordonné prêtre dans les dernières années de sa vie. Bref, c’est toujours Venise qui fait problème et qui choque. S’il n’y avait pas eu les transcriptions que Bach a réalisées de Vivaldi (pour lequel il avait la plus vive admiration), il est possible que le nom du "prêtre roux" eût complètement disparu. Les Allemands, par respect pour Bach, ont continué à le citer. Cela a fini par attirer l’attention. L’Histoire et ses ravages ont précipité la suite. Il y avait donc une lumière intraitable et ineffaçable dans l’océan du négatif ? Mais oui, Vivaldi. [...]

J’écoute une fois de plus Il piacere. Et puis le Nisi Dominus, chanté par par James Bowman [cf. plus bas] (il faudrait parler longuement de la façon dont les voix de chant, femmes et hommes, ont été refaçonnées par l’exécution de la musique de Vivaldi, la manière de jouer des instruments aussi. Il a ainsi fallu des années pour que de nouveaux corps amoureux surgissent). J’écoute une fois de plus, jamais assez, ce Gloria résurrectionnel, fou de joie, avec trompettes et choeurs embarqués dans une affirmation grandiose. [...] »
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Acqua Alta. La ville est à fleur d'eau, elle se laisse envahir par elle. C'est l'inondation, et il faut installer sur des tréteaux des passerelles de planches. Restons sur les quais, des bottes sont nécessaires, mais on peut aussi retrousser ses pantalons et marcher pieds nus dans cette prairie liquide. Tu enlèves tes souliers à talons, tu danses un peu. Tu te souviens ? La main dans la main près de l'église ? Comme on a ri au soleil ?
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Tout à coup, elle a été là, l’incroyable chanteuse cascadeuse joyeuse. D’où est-elle venue ? De Rome où elle est née ? De ses parents musiciens ? Mais non : de Venise, de l’esprit inlassable et enflammé de Venise, autrement dit d’Antonio Vivaldi.
Il a suffi qu’elle s’empare rythmiquement et vocalement de cette musique pour que celle-ci se mette à vivre comme jamais, à revivre, à supra-vivre travers les syllabes et sa gorge.
Nous sommes dans le superbe et imposant Teatro Olimpico de Vicence (Palladio), en juin 1998.
Cecilia, dans sa belle robe rouge, s’avance devant les musiciens. Elle tape un peu du pied, elle les lance. Elle chante un air de Griselda (texte d’Apostolo Zeno, adapté par Goldoni). Je le donne aussi en français , mais il faut l’écouter en italien :

Agitata da due venti
freme l’onda in mar turbato
e’l nocchiero spaventato
già s’aspetta a naufragar.
Dal dovere da l’amore
combattuti questo core
non resist e par che ceda
e incominci a desperar.


Agitée par deux vents
l’onde frémit sur la mer troublée
et le marin épouvanté
se voit déjà faire naufrage
ce coeur combattu
par le devoir et par l’amour
ne résiste plus et semble céder
et commence à désespérer.

Tempête, donc. Désespoir ? Ce n’est pas ce qu’on va entendre. Attendez Cecilia sur le mot naufragar. Elle le module avec une joie sauvage, elle est ravie de sombrer, l’amour triomphe du devoir (dolore, amore). NAUFRAGAR ! Elle n’a jamais fait mieux, elle ne fera jamais mieux. Vitesse et virtuosité confondantes, éclairs, coups de vent, tornade, percussions, roucoulades, cela s’appelle, à l’époque de Vivaldi et de Haendel, « tordre la voix de légèreté ». Elle a voulu chanter dans ce théâtre, elle a minutieusement préparé son attentat. Ça passe, ça ne casse pas, c’est inouï de torsade. Le public est électrisé, un ange révolutionnaire vient de vibrer.
Cecilia est une grande musicienne (érudite) et une grande comédienne. Il faut la voir de près en concert, tête plus ou moins penchée, cou, poitrine, buste, cuisses, mains, chevilles, mimiques. Tout son corps est un instrument de souffle. Elle peut être furieuse, idyllique, pseudo-naïve, sentimentale, drôle, sadique, tendre, rêveuse, enfantine. Elle a fait le tour des mille détours. Elle prend les mots à la racine (divin italien), elle les étire et les broie, elle les catapulte, les caresse et les fouette. Vivaldi est un dieu incessant des températures, des heures, des saisons, des situations. Un dieu marin, tantôt en tourbillon, tantôt en lévitation. Il possède sa cantatrice, elle le possède. Une telle aptitude à la volupté abolit, chirurgicalement, des tonnes de musique romantique inutiles. Bartoli est une sorcière, une fée, une débauchée, une fille du peuple sensuelle et gaie, une artiste incroyable, une merveilleuse femme de la vie courante, une camarade, une aristocrate, une reine. Elle descend de tous les tableaux vénitiens, Vénus, saintes, elle est là, à la fin du XXe siècle et au début du XXIe. Toute l’actualité paraît lui donner tort, et c’est pour cela qu’elle a raison. Vous avez parié sur l’engloutissement de Venise ? Sur le naufrage de sa civilisation ? Perdu. Rien à attendre des sociétés, Venise ressuscite chaque fois que quelqu’un respire.
Une femme (et quelle femme !) vous le dit tout net.

Réécoutez Agitata da due venti. Et encore. Regardez l’enregistrement public. Et encore. Demandez-vous ce que signifie, dans le temps, la générosité de Cecilia sur scène. Sainte Cécile, on le sait, est la patronne des musiciens.
Ici, une fois encore, Rimbaud : « Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m’ont précédé ; un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l’amour. »
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Quand je suis quelques semaines à Venise, c’est mon église (deux fois par jour, le matin, le soir). L’ordre de Gesuates (et pas des Jésuites) était voué au service des hôpitaux. Il est supprimé en 1668 « pour cause de conduite immorale » (laquelle ?). Le lieu passe aux dominicains. Nouvelle église terminée en 1736 par Giorgio Massari, Nef unique, long rectangle aux angles arrondis. trois chapelles de part et d’autre. Sur les côtés, la voûte est percée de grandes fenêtres en demi-lune, et le choeur est couronné d’une coupole terminée par une lanterne. Les peintures sont dans la tradition dominicaine. Piazzctta,, trois saints : Vicenzo Ferrer, Giacinto et Luigi Beltran, très agités, extatiques au sujet de 1 ’eucharistie. Mais l’essentiel se passe au plafond avec Tiepolo. grand maître aérien de l’espace..

Plafond : une vie de saint Dominique sur des petits panneaux latéraux et dans le vaste panneau central, l’étourdissante Institution du rosaire, La Vierge, un rosaire à la main. apparaît à saint Dominique (blanc et noir. selon les couleurs de son ordre, dans une symphonie de couleurs vives), le lui tend, tandis que dans le bas du tableau, et donc dans l’église elle-même, les fidèles attendent que le saint leur transmette, comme une pluie bienfaisante, cette nouvelle façon de prier.
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Vidéo de Philippe Sollers
Dialogue autour de l'oeuvre de Philippe Sollers (1936-2023). Pour lire des extraits et se procurer l'essai SOLLERS EN SPIRALE : https://laggg2020.wordpress.com/sollers-en-spirale/ 00:04:45 Début
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