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EAN : 9782072685057
400 pages
Gallimard (16/11/2017)
3.64/5   7 notes
Résumé :
Ce volume réunit deux cent cinquante-six lettres de Philippe Sollers à Dominique Rolin, depuis la rencontre des deux écrivains, en 1958, jusqu'à la parution de L'lnfini chez soi de Dominique Rolin et la fin de la rédaction de Paradis par Sollers, en 1980. Ces lettres incisives, émouvantes, rythmées, drôles souvent et d'une grande acuité, donnent à voir un amour hors du commun, mais aussi l'évolution surprenante d'une ?uvre, d'un corps et d'un esprit traversant par b... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Lettres à Dominique Rolin (1958-1980), Philippe Sollers
Ecrit par Philippe Chauché dans La Cause Littéraire
« Cela vit, s'agite, semble me cerner de toutes parts, moi et ma torpeur. Et par un phénomène intérieur assez fréquent, j'ai l'impression d'être, au-dehors, autre chose que moi-même, qui se mêle au jeu silencieux et mouvant du jardin ; de me perdre et de m'ignorer sans trop de peine. Je suis donc pour finir, un jardin qui t'aime, et rien d'autre : c'est trop fatigant » (Feydeau, lundi 23-24 mars 1959).

Dominique Rolin est la grande aventure romanesque et physique de Philippe Sollers, l'absolue complicité. Cette correspondance (le premier acte, les autres sont annoncés) est le coeur en mouvement de deux écrivains inclassables, un premier acte saisissant de justesse, de vérité et de beauté. Et que l'on ne s'y trompe pas, il faut, pour réussir ce pari inouï, s'accorder au mouvement musical de la vie, la faire sienne, et rejeter dans les ténèbres les compromissions, les mensonges, les petits arrangements littéraires, les peurs et les hontes, et ne garder que le bonheur d'être. Je suis, donc j'écris. Je suis, donc j'aime. Je suis, donc je mets tous mes muscles à l'écoute de ce qui se révèle là sous mes yeux, semble-t-il dire.

Il s'agit bien d'une aventure littéraire unique, deux écrivains, un jeune homme, et une femme plus âgée se rencontrent, se voient, s'aiment, s'écrivent et écrivent, sans que cela ne se voie, sans que cela ne se sache, et l'enjeu est évidemment ailleurs. C'est un roman clandestin qui ne cesse de s'écrire, à Bordeaux, sur son Île – tout est silencieux, le ciel est balisé par cinq ou six phares : La Pallice, Oléron, les Baleines – à Paris, à Venise – Venise fait tourner l'année à l'envers – et à Barcelone. Ces lettres sont les échos éblouis des romans de Philippe Sollers, et les romans du Girondin épousent les courbes de ces lettres à l'aimée. La disparition de Dominique Rolin n'est finalement qu'une autre étape, ces lettres et les prochaines qui viendront d'elle, signeront son immortelle présence. Les écrivains eux aussi font des miracles.

« Je cherche les rythmes.

Venise se rabat sur moi par plaques entières. C'est indescriptible, bien sûr, et – comment dire ? – mercuriel (?).

Je suis fou de toi, je t'aime » (Paris, le 10/7/69).

Ces lettres admirables sont aussi une traversée du siècle, la maladie, la mort du père, de Georges Bataille – Nous avons eu quelques bons moments avec lui, pleins d'humour feutré, lointain et assez terrible. Je revois, si proche, devant lui, son geste de la main, comme pour congédier les mots… –, la tragique disparition de son ami Pierre de Provenchères durant la guerre d'Algérie – Mon amour, je ne peux écrire… Les larmes brouillent tout, aussitôt… Pas de littérature pour un esprit qui s'en méfiant tant… –, la présence d'écrivains complices, Mauriac – (Mais) c'est un être délicieux, ce vieil homme qui m'envie presque ma maladie parce qu'elle lui rappelle le temps où, jeune, il pouvait être malade impunément, loin de tout… –, Paulhan, Tel quel qui s'avance, et L'Infini qui se dessine, Mai 68, la Chine, et sans arrêt des livres qui s'ouvrent et qui s'écrivent, avec toujours ce regard précis sur la nature qui l'entoure, le vent, les mouettes, le soleil, un certain art de vivre, l'art d'embrasser la nature qui naturellement s'ouvre à ses yeux avant de se glisser dans ses livres.

« Mon amour, ça y est maintenant, je crois, j'ai de nouveau devant moi et en moi les lignes de fuite, les carrés-rectangles, les volumes. Les mouettes sont les mêmes qu'à Venise, j'ai parfois l'impression que j'écris surveillé par elles depuis 2000 ans, ou encore qu'elles sont les signes de ponctuation que je refuse à la page. Aujourd'hui calme et ciel bleu, le bleu dans le blanc du bleu de toujours… » (Le Martray, mardi 11 juillet 1978).

On ne peut que se réjouir de la publication de cette correspondance unique entre deux écrivains, établie par un troisième (Frans de Haes), sorte de Sainte Trinité de ce volume, une correspondance touchée par la grâce, enchantée, comme le silence des vignes, et du vin. Une correspondance frappée par la cristallisation, « deux êtres se rencontrent », qui s'entend dans les marais salants – Un simple grain de sel illumine la bouche, une simple gorgée de vin… –, qui est à l'oeuvre dans ces lettres, qui sont autant de traces indélébiles d'un amour parfait.



Philippe Chauché


Lien : http://www.lacauselitteraire..
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Espérance et mélancolie dominent, dans toutes ces lettres. L'amour et l'écriture sont inextricablement liés. La première de ces lettres, vibrante et de chagrin et d'espérance mêlés, annonce l'ensemble du livre.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Paris

Vendredi 9 juillet 1993
17 heures

Amour mille fois chéri,

ta lettre à l’instant, où tu me parles de travailler plus et plus encore. Mais tu oublies que tu m’as servi de modèle sur ce plan. J’ai constamment raison, me dis-tu, et c’est vrai dans la mesure où je me suis soumise à la tienne. Sans toi, je n’aurais écrit que des livres approximatifs. Tu as fait sauter les verrous, ouvert les portes et, derrière toi, je me suis envolée. Tes livres me font battre le cœur. Je te déclare une fois de plus aujourd’hui — par lettre interposée, ce qui est plus fort qu’un roman : j’aime d’amour mon amour pour toi, je le caresse et l’enveloppe, le serre et me laisse réchauffer par lui. Ce qui revient à dire, en somme : la seule chose qui me sépare de toi, c’est ma passion pour toi. Vu ? Ai travaillé ce matin, comme s’il me fallait me retourner sur moi-même avant de remplir une page de plus. Quand on dort, pourquoi se retourne-t-on ? tout à coup, c’est le branle-bas du corps que personne ne vous a demandé de faire. Côté gauche, côté droit, provocation du corps qui doit obéir à des consignes très précises sans nous apporter d’explications, d’ordres. Même phénomène s’il s’agit d’écriture. Plusieurs pages sont prêtes en moi, mais il est interdit de les forcer avant terme. Un tour sur le lit de mon inconscient, et les pages en suspens, modestes et prudentes, viendront se glisser sous mes yeux. La page est ; la non-page n’est pas [2]. J’ai failli pleurer tellement je te voyais prononcer cet axiome — qui est l’exact reflet du nôtre, n’est-ce pas, mon petit mari adoré ? J’aime tes yeux, ton poignet, ta main, ton cerveau, tes yeux. À demain matin, MON.
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Paris

Lundi 18 juillet 1994
18 heures

Bonsoir, Amour de ma vie,

Je viens de t’entendre me dire adorablement que tu n’avais rien à raconter, et je fonds de bonheur tellement c’est juste, tellement c’est dans la moelle de l’amour. Nous n’avons rien à nous raconter d’autre que ce mystérieux mouvement vers l’autre. Si violent qu’il n’est pas transposable au moyen des mots. En réalité, chacun de tes appels téléphoniques a l’impact de l’explosion jupitérienne qui vient d’avoir lieu. Seuls pourraient intervenir les astronomes qui sont les spécialistes des mondes impossibles mais peut-être aussi, par voie poétique, ce qui nous arrive à nous. Grandeur de la science, grandeur de la simplicité dans l’amour. Je suis arrêtée tout à l’heure par une femme, bourgeoisie gentille, la cinquantaine environ, qui me dit : « j’aime vos livres, quel est le vrai nom de l’homme de votre vie, dites-le-moi ... » Devant mon refus, elle enchaîne : « oh bien sûr, ça doit se savoir dans les milieux littéraires » et elle s’est volatilisée sans insister, après avoir conclu : « C’est une si belle histoire ! »
Ce que tu m’écris à propos des mouettes est magnifique : leurs chambres d’échos, elles chantent leurs souvenirs de vol, elles communiquent par ricochets sonores, etc. Tu es un admirable chéri qui m’épate, à la fois en surface, en profondeur, en oblique. Pas un seul écrivain n’est capable de tels éclairs jubilatoires de sensations à part toi, Mon splendam, (et peut-être un peu moi aussi, de temps en temps). Je me sens bien aujourd’hui. Deux ou trois pages encore, et l’Ac. [3] sera bouclé. Au fond, je suis allée assez vite : je l’avais recommencé le 14 février, donc cinq mois de travail. À demain, dors bien.
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Lundi
16 février 1959.
Dominique chérie, jamais les mots ne m’ont paru plus inutiles quand il s’agit de toi. Ce n’est pas de la paresse et encore moins une retombée de cet amour qui a commencé par tant d’explications. Il s’est fait une simplification merveilleuse qui me laisse démuni de ma pensée et m’abandonne à ce soleil des jours d’hiver (c’est toi). Tu es si proche de moi, si mêlée à moi, que j’ai envie de te parler comme à moi-même, par ces ellipses et ces raccourcis sautant toutes les escales du raisonnement. La moindre chose entre nous me semble signe et parole suffisante. Je ne cherche pas à t’expliquer ce que je suis en t’aimant — pas plus qu’il ne m’en viendrait l’idée devant cet après-midi si lumineux. Tu es autour de moi comme cet invisible filet qui m’emprisonne dans ma vie — et j’aime ma vie et le plaisir que tu me donnes. J’aime ma vie, et ce silence entre nous qui nous met à bonne distance par rapport à tout le reste. Tu me rends si libre, ma chérie, si plein de pouvoirs secrets… Chaque chose a repris sa vraie mesure qui est celle d’amour et de mort. Et ma véritable satisfaction, c’est de regarder mes habitudes comme un parallèle dérisoire à cette justesse que tu m’as rendue. Je t’aime, et tout est bien qui me garde dans cet amour. Je me sens insupportablement optimiste, tout à fait en dehors de ce petit monde bien
ou mal fabriqué — je me fous de tout le monde et t’embrasse
doucement et longuement,
Philippe
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Tu ES ce qui fait que je peux parler de ceci, que je peux penser à un point lumineux, immédiat, tangible. Te rends-tu compte de la chance et de l’importance que tu représentes à mes yeux ? Les poëtes ont tous eu raison, eux qui s’embarquaient sur cette mer de l’esprit avec un seul rythme portés, peu importe sous quelle forme, par l’amour, etc... Finie, la dissertation. Je t’adore – t’embrasse –
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Samedi 8 heures

Sommeil exquis, au juste niveau puisque tu m’as appelée. « Tu veux que je te couche ? » me disais-tu avant le dîner. C’est la question à ne pas me poser. « Être couchée » par le Bienamour est un don du ciel, le miracle harmonisant mes nerfs, mon cœur, mes poumons, tout. « Être couchée » par toi : raz-de-marée heureux contenant la masse de nos passés, de nos présents et même de nos futurs auxquels je crois avec la plus grande fermeté ! Ce matin : froid intense d’une journée bleu pur. Ciel et trottoirs nettoyés jusqu’à l’os. Je viens de relire ta lettre en guise de bénédiction divine (Au nom du Père, etc.), ma loupe à la main. Ton écriture — je parle du graphisme, est plus belle et concentrée que jamais, parfois hiéroglyphique, ou plutôt chinoise, certains mots deviennent des signes qu’il s’agit de déchiffrer avec attention. À force de passion pour ton travail, tu as besoin de te synthétiser et de te précipiter, mais je te connais si bien que je finis toujours par traduire l’insaisissable de tes splendides lettres.
Je m’y mets. Je me sens heureux jusqu’au bout des tiges. Tu es mon adoré. Et moi je suis le

Toupetitipopotam-tam
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Vidéo de Philippe Sollers
Dialogue autour de l'oeuvre de Philippe Sollers (1936-2023). Pour lire des extraits et se procurer l'essai SOLLERS EN SPIRALE : https://laggg2020.wordpress.com/sollers-en-spirale/ 00:04:45 Début
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