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Critique de frandj


J'ai eu la chance de lire "Oedipe Roi" dans la collection du Livre de Poche, qui non seulement donne le texte de cette tragédie, mais aussi propose des commentaires, clairs et sans érudition excessive, qui m'ont semblé très intéressants. Dans la suite, je me permettrai d'utiliser des éléments qui en proviennent.

La première chose qu'il faut admettre, c'est que le théâtre grec antique présentait des particularités qui ne correspondent absolument pas à ce que nous connaissons dans l'époque moderne. Les nombreuses différences tiennent notamment à la mise en scène de la pièce, au nombre et au jeu des acteurs, aux conventions admises par les spectateurs, ainsi qu'au rôle civique et religieux du théâtre (sur ce point, voir la belle critique de Nastassia.B).
De plus, les interventions du choeur entre deux épisodes de la tragédie, essentielle dans Sophocle, n'est évidemment plus de mise aujourd'hui. Dans chaque "stasimon", le choeur dansait et en même temps chantait ou psalmodiait son texte, écrit dans une veine résolument lyrique (voir par exemple la citation que je mets simultanément en ligne). Ce type de déclamation poétique parait surprenant au lecteur ou au spectateur du XXIème siècle après J. C.: il lui est presque impossible l'apprécier comme le faisaient les Athéniens du Vème siècle avant J. C. Cette lacune illustre notre quasi impossibilité à entrer vraiment dans l'esprit antique.

Concernant le personnage d'Oedipe dans la tragédie de Sophocle, il est absolument nécessaire d'oublier Freud si l'on veut éviter de grossiers contresens. Le point de départ de la tragédie est la dénonciation de deux crimes. Le héros malheureux est d'abord aveuglé par les dieux: tant qu'il reste dans l'ignorance, ces crimes n'existent pas, pour ainsi dire. Et c'est seulement au fur et à mesure que sa propre enquête avance qu'il devient un criminel. Arrivé à ce point, Oedipe ne peut absolument pas ergoter sur sa responsabilité personnelle et sur sa bonne foi (liée à son ignorance de sa parenté avec Laïos et Jocaste). En effet, Sophocle développe ici une conception "matérialiste" du crime: l'acte accompli est un fait constituant souillure, qui n'a rien à voir avec la psychologie individuelle et qu'il faut impérativement "laver". Le héros doit donc payer le prix pour son forfait qui, pourtant, a été littéralement programmé par les dieux. Ensuite Oedipe, tout en étant maudit, devient un "intouchable sacré".

Une autre remarque me semble mériter d'être ajoutée. Un des nombreux commentateurs de cette tragédie, R. Girard, a avancé en 1967 une thèse surprenante. Pour lui, les crimes sont inventés au fur et à mesure de l'avancée de l'enquête. En fait, Oedipe est innocent mais il se "dévouerait" pour assumer la responsabilité des crimes reprochés par les dieux et, ainsi, exempter sa cité de la punition divine. Ses sujets fermeraient complaisamment les yeux sur l'invraisemblance de cet aveu de pseudo-culpabilité. Leur roi, réduit au rôle de bouc émissaire, se crève les yeux et disparait. On se rend compte que ce scénario, invraisemblable de prime abord, peut "tenir la route" en fin de compte. Cette simple considération rend encore plus fascinant le destin du héros maudit…
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