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Maxime Rovere (Éditeur scientifique)
EAN : 9782081231382
464 pages
Flammarion (20/01/2010)
4.5/5   16 notes
Résumé :
Voici Spinoza tel qu'en lui-même : il plaisante, travaille, s'inquiète, s'enthousiasme, parfois même se fâche. Des amis proches ou des lecteurs lointains lui écrivent des questions, auxquelles il répond comme il peut. Ses réponses ne sont pas celles d'un maître dispensant son enseignement, mais celles d'un homme construisant sa pensée dans la pensée des autres, avec leurs mots. On ne trouvera donc pas ici le philosophe en gloire, mais le philosophe en difficulté, em... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Je n'aurais jamais compris l'intérêt de ce livre si je n'avais pas fréquenté ceux qui se prétendent pontes de la philosophie –comme quoi, ça peut servir d'aller à l'université de temps en temps, mais pas la peine de se sacrifier une année d'assiduité pour autant : un cours suffit amplement.


On pourrait reprendre Michel Houellebecq qui, dans « Soumission », soulignait avec regret la perte vive d'énergie que subissent les étudiants lorsqu'ils doivent se consacrer à l'écriture d'un mémoire ou d'une thèse dont le sujet leur échut dans une conjonction déplorable de contingences. Bref, Michel Houellebecq notait : « Des milliers de thèses ont été écrites sur Rimbaud, dans toutes les université de France, des pays francophones et même au-delà, Rimbaud est probablement le sujet de thèse le plus rabâché au monde, à l'exception peut-être de Flaubert, alors il suffit d'aller chercher deux ou trois thèses anciennes soutenues dans des universités de province, et de les interpoler vaguement, personne n'a les moyens matériels de vérifier, personne n'a les moyens ni même l'envie de se plonger dans les centaines de milliers de pages inlassablement tartinées sur le voyant par des étudiants dépourvus de personnalité ». Et bref encore, on peut sans doute appliquer cette observation à Spinoza dans le domaine de la philosophie et rêver aux milliers de thèses pondues à son sujet. Certains étudiants, plus margoulins que les autres, voulurent sans doute donner un cachet de légère originalité à leur défécation scolaire en s'intéressant à des textes de seconde zone (cette correspondance), certains allant même jusqu'à délirer complètement en soupçonnant le philosophe d'occultisme. Mais je suis injuste : pas besoin d'attendre la tertiarisation de la société pour voir se multiplier ce genre de thèses ; déjà, dans les siècles plus lointains qui suivirent la disparition de Spinoza, les hommes privilégiés qui pouvaient se permettre de survivre le nez dans des bouquins s'étaient amusés à ce genre de divagation.


A mon tour de m'inscrire dans la lignée de ces érudits impuissants. Bien sûr, je ne pense pas que Spinoza ait voulu cacher quoi que ce soit dans ses lettres. Il n'était pas outrecuidant au point de croire que de pauvres tâcherons s'épuiseraient à faire son exégèse après sa mort. S'il se contredit parfois, s'il passe souvent du ton sérieux au ton exalté, s'il écrit sur la religion pendant des pages pour ensuite répudier d'un crachat ces questions, ce n'est pas qu'il soit fou (quoique), c'est qu'il est humain comme nous tous, s'adaptant à l'intelligence de ses interlocuteurs et ne reniant pas, de temps en temps, le plaisir d'un changement brusque d'opinion. Comme disait ce fameux professeur de philosophie, que je n'ai vu qu'une fois (plutôt sobre le matin et carrément déjanté l'après-midi, après un repas franc-maçon bien arrosé) : « Il n'y a pas une philosophie de Spinoza mais DES philosophies ! » (et il rebondissait sur sa table, exalté par cette idée dantesque). Certes.


Mais moi, ce que je trouve le plus drôle, c'est lorsque Spinoza parle de religion. Plutôt surpris par la virulence des lettres de ses premiers détracteurs –qui voulaient tantôt le faire passer pour athée, tantôt pour musulman, tantôt pour d'autres trucs-, il se défend assidûment de n'appartenir à aucune de ces confréries. Il croit encore que l'avenir de sa carrière se jouera de cette lutte d'opinions. Mais le temps passe, la mort approche, Spinoza bien malade se fiche de ce qu'on en pensera et les dernières lettres sont assez jubilatoires, qui défroquent les chrétiens et les musulmans en une phrase (« Et je croirais volontiers que pour tromper le peuple et pour contraindre l'âme des hommes, il n'y a pas mieux [que l'Eglise romaine], s'il n'y avait aussi l'organisation de l'Eglise mahométane, qui est encore loin au-dessus, car depuis l'époque où cette superstition a commencé, aucun schisme n'est né dans cette Eglise » [ce qui n'est plus vrai maintenant mais on reconnaîtra au moins dans cette erreur que Spinoza ne possédait pas le don de clairvoyance]), et il n'épargne pas non plus les juifs (« Les miracles qu'ils racontent […] pourraient épuiser mille bavards. Mais ce dont ils sont le plus fiers, c'est qu'ils comptent, de loin, plus de martyrs que toute autre nation, et que leur nombre augmente chaque jour, souffrant pour la foi qu'ils professent avec une singulière constance d'âme »). Lire à cet égard la lettre 76 adressée à Albert Burgh, un ancien disciple de Spinoza qui n'avait rien compris à son enseignement et qui ne crut rien avoir à faire de mieux que de se convertir au christianisme, et de vouloir ensuite convaincre son maître de l'absolue justesse de sa décision (ce à quoi Spinoza lui répondit, avec l'art de la formule : « O garçon sans esprit, qui t'a donc charmé au point de te faire croire que tu avales, puis que tu as dans les intestins, le Suprême Eternel ? »).


Résumons à présent les nobles et précieuses raisons qui peuvent nous induire à lire cette Correspondance :
- Ça cause de religion, et pas que de philosophie.
- On découvre un Spinoza guère préoccupé des convenances sociales, envoyant chier ses interlocuteurs lorsqu'ils veulent le convaincre d'une idée née d'une quelconque malformation cérébrale (exemple de la lettre 48 de Jarig Jelles, libertin souhaitant fonder une nouvelle Torah. Mal tombé, Spinoza est indifférent aux dogmes religieux).
- Si on n'a rien compris à l'Ethique ou au TTP, tous les petits résumés se trouvent ici.


Enfin, on apprendra que Spinoza était un fort goulu buveur de bière, G. H. Schuller réconfortant ses tripes dans une lettre fort avisée en lui signalant que « le seigneur Bresser est revenu de Clèves. Il a envoyé ici une grande quantité de la bière locale ; je lui ai demandé de vous en réserver une demi-tonne, ce qu'il a promis de faire, en vous faisant ses amicales salutations ». Ainsi pouvons-nous en conclure que Spinoza était éthiquement un brave type.
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Cher Monsieur Spinoza,
J'ai terminé la lecture de vos oeuvres complètes ce qui m'a pris plusieurs mois et je suis totalement admiratif même si la date de la dernière lettre de votre correspondance me rappelle tristement que votre vie s'est terminée en 1677. Comme vos correspondants j'avais beaucoup de questions à vous poser mais en tous les cas je constate que votre esprit est toujours vivant - clin d'oeil à votre proposition n°23 de l'Ethique (5ième partie) : "L'esprit humain ne peut être absolument détruit avec le corps, mais il en subsiste quelque chose qui est éternel". Encore récemment un numéro hors-série du magazine le Point expose votre philosophie ; vous serez certainement heureux de savoir que vos recommandations pour accéder à la béatitude ou joie de la conscience de soi sont accessibles à la masse, même si je sais bien que vous n'avez jamais rechercher le renom.

Les qualificatifs d' « athéisme » ont souvent été utilisés par vos correspondants, plus tard d'autres ont parlé de « panthéisme », et au jour où parait ce magazine vous êtes un « ultra-moderne ». Des mots que vous trouverez sûrement réducteurs.

En tous les cas je crois que nous avons tous bien besoin de lire vos correspondances pour mieux comprendre votre philosophie. Vous avez démontré sans relâche et avec le plus grand respect comment l'attachement excessif aux Écritures sacrées biaise tous les raisonnements jusqu'au délire parfois. Sachez qu'en ce moment une secte barbare, appelée Daesh, affiliée à l'Islam nous pose également beaucoup de soucis et je crois qu'il appartient à chacun de lire et d'interpréter vos recommandations. Ainsi l'État ne doit pas laisser se développer des doctrines purement spéculatives qui menacent sa sécurité, mais derrière tout ça il y aussi des phénomènes de psychologie de masse difficiles à comprendre.

Vous ne vous êtes pas étendu sur l'islam et d'ailleurs vous ne vous êtes pas résolu à considérer sérieusement l'islam comme une religion révélée par un prophète. Mais comme vous l'avez déjà indiqué dans votre Traité des Autorités Théologique et Politique « si donc on lit les récits de l'Écriture sacrée et qu'on y croie sans tenir compte de la doctrine qu'elle s'est proposée d'enseigner par leur moyen et sans corriger sa vie (…) alors on peut ignorer complètement ces récits ».

Nous avons une autre aberration, une secte dite « d'extrême droite » qui véhicule elle aussi la haine et menace également notre démocratie par les mêmes mécanismes de psychologie de masse. Mais vous dites tout simplement : « Les aberrations idéologiques et criminelles se résolvent par des règles naturelles, qui font que les hommes menacés s'accordent entre eux pour y mettre fin et ce d'autant plus efficacement qu'ils sont guidés par la Raison ».

Pour ne pas vous prendre trop de temps, je voulais vous signaler aussi que vos collègues scientifiques Boyle et Huygens notamment, dont vous avez fait mention dans vos correspondances, ont fait aboutir des découvertes importantes.

Voilà ! Que votre Esprit demeure, je boirai ce soir une bière en votre honneur.
.
A très bientôt

Amicalement
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Citations et extraits (37) Voir plus Ajouter une citation
Je passe maintenant à cette définition de la liberté que m'attribue votre ami ; mais je ne sais d'où il l'a tirée. Pour ma part, je dis que cette chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte cette chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir selon une modalité précise et déterminée. […] Vous voyez donc que je ne situe pas la liberté dans un libre décret, mais dans une libre nécessité.
Mais venons-en aux autres choses créées qui, toutes, sont déterminées à exister et à agir selon une manière précise et déterminée. pour le comprendre clairement, prenons un exemple très simple. Une pierre reçoit d'une cause extérieure qui la pousse une certaine quantité de mouvement, par laquelle elle continuera nécessairement de se mouvoir après l'arrêt de l'impulsion externe. Cette permanence de la pierre dans son mouvement est une contrainte, non pas parce qu'elle est nécessaire, mais parce qu'elle doit être définie par l'impulsion des causes externes ; et ce qui est vrai de la pierre, l'est aussi de tout objet singulier, quelle qu'en soit la complexité, et quel que soit le nombre de ses possibilités : tout objet singulier, en effet, est nécessairement déterminé par quelque cause extérieure à exister et à agir selon une loi (modus) précise et déterminée.
Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu'elle continue de se mouvoir, sache et pense qu'elle fait tout effort possible pour continuer de se mouvoir. Cette pierre, assurément, puisqu'elle n'est consciente que de son effort, et qu'elle n'est pas indifférente, croira être libre et ne persévérer dans son mouvement que par la seule raison qu'elle le désire. Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d'avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent. C'est ainsi qu'un enfant croit désirer librement le lait, et un jeune garçon irrité vouloir se venger s'il est irrité, mais fuit s'il est craintif. Un ivrogne croit dire par une décision libre ce qu'ensuite il aurait voulu taire. De même un dément, un bavard et de nombreux cas de ce genre croient agir par une libre décision de leur esprit, et non pas portés par une impulsion. Et comme ce préjugé est inné en tous les hommes, ils ne s'en libèrent pas facilement. L'expérience nous apprend assez qu'il n'est rien dont les hommes soient moins capables que de modérer leurs passions, et que, souvent, aux prises avec des passions contraires, ils voient le meilleur et font le pire : ils se croient libres cependant, et cela parce qu'ils n'ont pour un objet qu'une faible passion, à laquelle ils peuvent facilement s'opposer par le fréquent rappel du souvenir d'un autre objet.

LETTRE LVIII - Au très savant G. H. Schuller.
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Il n’a pas encore réussi à comprendre que sa liberté ne consiste pas dans le caprice mais que nous sommes le plus libres lorsque nous acquiesçons aux choses que nous avons perçues clairement et distinctement, même s’il est impossible de ne pas y acquiescer quand on les a perçues de cette façon.
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[Erreurs dans la philosophie de Bacon et Descartes]

Le premier défaut et le plus grand que je reproche à ces philosophes, c’est de s’être si fort éloignés de la connaissance de la première cause et de l’origine de toutes choses ; le second, d’avoir ignoré la véritable nature de l’âme humaine ; le troisième, de n’avoir pas saisi la vraie cause de l’erreur.
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Ceux qui pensent que la substance étendue est faite de parties, autrement dit de corps réellement distincts les uns des autres, ne disent donc proprement que des sornettes, pour ne pas dire qu’ils délirent.
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Misérable petit homme, infâme ver de terre, pire encore, poussière, innommable blasphème, au-dessus de la sagesse incarnée et infinie de notre Père éternel ? Seras-tu le seul à t’estimer plus prudent et plus grand que tous ceux qui furent jamais dans l’Eglise depuis le commencement du monde, et qui ont cru dans le Christ annoncé, dans le Christ advenu, et qui y croient aujourd’hui ? Sur quel fondement appuies-tu ta témérité, ta folie, ta déplorable et exécrable arrogance ?
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