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Roger Caillois (Éditeur scientifique)Madeleine Francès (Éditeur scientifique)Robert Misrahi (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070105304
1576 pages
Gallimard (05/01/1955)
4.5/5   31 notes
Résumé :
Ce volume contient : Court traité - Traité de la réforme de l'entendement - Les Principes de la philosophie de Descartes - Pensées métaphysiques - L'Éthique - Traité des autorités théologique et politique - Traité de l'autorité politique - Correspondance . Appendices : La Vie de Spinoza, par Jean Colerus - La Vie de Spinoza, par un de ses disciples.
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Ce livre était sur une étagère depuis 10 ans et aurait pu y rester encore longtemps. Et puis par hasard, j'ai entendu parlé du "conatus" de Spinoza. J'ai alors décidé d'ouvrir le livre. Etait-ce un libre choix ? C'est une des questions à laquelle la philosophie de Spinoza tente de répondre (bien que sa sagacité ne se soit pas porté sur mon cas particulier).

J'avais l'appréhension de trouver dans Spinoza un parent propos de la scolastique, et le Court traité et le Traité de la réforme de l'entendement ne m'ont d'emblée pas vraiment rassurés. L'auteur pose une cosmologie -dont je n'ai toujours pas d'idée « claire et distincte » comme il dirait- à base de substance, d'attributs et de modes. La substance c'est ce qui produit le monde et le Tout lui-même. C'est Dieu. La substance -ou Dieu donc- a une infinité d'attributs. Un attribut est ce que l'entendement perçoit de la substance comme constituant son essence. Parmi cette infinité d'attributs, il est donné à l'homme d'en connaître deux : l'étendue et la pensée. Pour finir, les objets ou les choses sont les modes. On se résume, Dieu est la substance, l'homme un mode de cette substance, qui possède les attributs de l'étendue et de la pensée.

J'avoue que quand j'en étais là, j'avais plus envie de bâiller que de lire les 1200 pages suivantes. En lisant des choses comme ça : « il en résulte entre autre que Dieu n'a pas d'entendement, il est la pensée », j'ai eu tendance à remplacer le mot Dieu par Chuck Norris, le résultat était plus sympa. Heureusement, Spinoza propose de temps en temps une lecture collaborative : « Tels sont les préjugés que je me suis proposé de signaler ici. S'il en reste encore de même farine, chacun pourra s'en guérir avec un peu de réflexion. »

Dieu est mentionné en permanence. Et je m'étonnais que Spinoza fut traité d'athée. La subversion apparaît doucement quand on considère que Spinoza, en liant la substance et Dieu, fait de Dieu un être qui se confond avec la Nature, le Tout. le mot panthéisme n'est cité qu'une fois dans l'ouvrage, alors que tout me semble s'y apparenter. le panthéisme n'est pas directement synonyme d'athéisme, sauf si l'on considère que ce système refuse à Dieu toute autre puissance que la puissance ordinaire qui s'exerce selon les lois de la nature. Qu'on peut appeler le déterminisme. Et Spinoza en tire lentement toutes les ficelles.

Ainsi, Dieu n'est pas le juge des hommes. Expliquer les actions des hommes par la volonté de Dieu, est selon lui l'asile de l'ignorance. Les lois de la Nature ne contiennent pas de propriété qui indique que les choses doivent se présenter à l'homme sous la forme qui agréé le plus à son imagination. Imputer le bien et le mal à Dieu, c'est adresser un reproche à la nécessité, ce qui est absurde.

Tous les jugements posés sur la qualité des choses ne présentent donc aucune réalité hors de l'homme, et encore moins dans la nature de Dieu. Et, lorsqu'un homme pense en terme de beauté et de laideur, en réalité il définit la nature de la chose selon la manière dont il en est affecté. « La beauté n'est pas tant une qualité de l'objet considéré qu'un effet en celui qui le regarde ». de même, les hommes penseront faute ou mérite du fait qu'ils s'estiment libres, c'est-à-dire en possession de leur propre causalité. Et, en effet, pour Spinoza, les hommes ne sont pas libres. En ce sens qu'ils sont conscients de leurs actions, mais ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés.

Après avoir renversé ces bases, il reformule le sens des concepts et propose une nouvelle vision du monde qui m'a semblé très intéressante et incroyablement moderne.

Une des thèses centrales semble, au premier abord, anodine. Spinoza, en privant les concepts de bien et de mal de toute consistance, les remplace par les concepts de bon et de mauvais, qui selon lui décrivent des phénomènes objectifs dans la nature de tout être. Il les définit comme ceci : « nous appelons bon ou mauvais ce qui est utile ou nuisible à la conservation de notre être, c'est-dire ce qui augmente ou diminue, aide ou contrarie notre puissance d'agir ». Une idée ou un corps augmente notre puissance d'agir, en ce qu'il s'accorde avec notre esprit ou notre corps (ex: la nourriture, l'amour...). le sentiment correspondant est la joie. Au contraire, on parle de diminution de la puissance d'agir lorsqu'une chose altère notre cohérence interne (ex: le poison, la haine...) et le sentiment qui lui est associé est la tristesse.

Et pour Spinoza ces réalités prennent forme dans la conscience de l'homme par le biais du désir. le désir est le creuset dans lequel cette distinction entre passion joyeuses et passions tristes s'inscrit dans notre nature. le désir est ainsi définit comme le déploiement de la force naturelle au moyen de laquelle l'homme s'efforce de persévérer dans son être. C'est le "conatus" de Spinoza : l'effort fait par toute chose pour persévérer dans son être.

Cependant, l'effet des contraintes extérieures sur l'homme conduit le désir à s'assouvir d'une manière parfois contraire à ce que réclame sa nature. C'est pourquoi Spinoza exhorte l'homme à se libérer des passions tristes au moyen de la raison, pour soutenir l'inclination de sa nature profonde. Agir et penser avec la raison c'est rapprocher l'homme de la vérité de sa nature, de sa perfection.

Ce processus s'opère de la sorte : au départ, l'homme est pétrit d'opinions, d'imaginations; il est ignorant et esclave. Puis la raison le conduit à parfaire son entendement pour le rapprocher de la vérité. Enfin, il peut donner corps à sa puissance d'agir par une connaissance claire et vraie, l'accès à la chose en soi (cf. green vision dans Matrix pour plus de détails). Ainsi écrit-il : « Moins nous sommes indifférents quand nous affirmons ou nions, plus nous sommes libres ». Toute l'entreprise de Spinoza conduit l'homme à libérer son esprit.

Par exemple, lorsqu'une personne agit conformément à la loi morale par crainte (de Dieu, de l'Etat, ...), elle agit par diminution de sa puissance, car la crainte est « la tristesse inconstante née de l'idée d'une chose future ou passée dont l'issue nous paraît douteuse ». Lorsqu'une personne agit pour le bien non par crainte, mais de son plein gré, en accord avec sa raison, elle délivre la vie, elle augmente sa puissance d'agir et devient plus libre. C'est l'opposition entre l'action issue du ressentiment et celle qui affirme. La parenté avec la philosophie de Niezsche est frappante sous ce jour. Cette philosophie riche de beaucoup de vérités à mon sens, semble aussi conserver sa pertinence aux abords d'autres disciplines comme la psychanalyse et la politique.

Je fais court sur les préconisations que Spinoza adresse à partir de cette conception du monde, mais c'est une partie captivante de l'oeuvre.

Il s'exprime notamment sur les régimes politiques qu'il juge les meilleurs : la démocratie ou le régime parlementaire. Cet Etat, en inspirant le respect davantage que la crainte à ses sujets, peut conserver l'autorité et ainsi valider le transfert de leurs droits. C'est pourquoi la Souveraine puissance doit garantir : la liberté de pensée et de culte (« Une autorité politique qui prétend s'exercer jusque dans les esprits est qualifiée de violente » et « Chacun doit conserver, et la liberté de son jugement, et son pouvoir d'interpréter la foi comme il la comprend. »), l'émancipation du peuple, la supériorité de l'Etat sur les religions dans la législation des lois et l'administration de la nation, l'indépendance de la justice au religieux et au pouvoir de l'argent, une religion dont les ministres sont issus de la société civile, l'auto-financement des lieux cultes par les religions, etc.

Toutes ces propositions amènent Spinoza à critiquer en profondeur l'interprétation de Dieu par les religions, notamment en ce que ces dernières aliènent leurs sujets et diminuent de leur puissance. Spinoza attaque principalement la religion juive, qu'il connait pour l'avoir longuement étudiée. Il se donne l'apparence d'épargner les protestants (majoritaires à cette époque en Hollande). En réalité, il fait la chasse à toute superstition, à tout ce qui n'est pas rationnel, et cela n'échappera pas longtemps aux Chrétiens de son époque.

J'ai eu un réel plaisir de lecture à suivre les démonstrations, les nombreux exemples tirés de la Bible et tous les tours de passe-passe que Spinoza utilise pour ramener les religions à un rôle plus humble et dénoncer les forfaitures des théologiens. Ainsi, il se paye le luxe en plein XVIIème (certes dans une Hollande qui est libérale et tolérante comme aucun autre pays européen, mais à une époque où l'inquisition tue) de réfuter les miracles, de mettre en cause la véracité de nombreux récits dans les Ecritures tout en soutenant leur valeur allégorique, de nier la valeur suprême des Ecritures, de refuser que le culte religieux soit nécessaire à Dieu, ou encore de soutenir sa vision déterministe de la nature qui ruine l'autorité de l'Eglise en vertu du principe que ce qui comporte une nécessité s'excuse de soi. Toutes ces pages sont passionnantes et plus d'une fois j'ai été frappé par ce que ces idées avaient d'inactuelles, et de censées dans le monde moderne.

Bien entendu, tout ce qui a été raconté ici déforme peut-être violemment la pensée de Baruch (on est potes maintenant) mais il conviendra à chacun de corriger cela par une lecture plus studieuse.

Si l'on s'intéresse à ce philosophe, L'Éthique et le Tractacus Theologico Politicus me semblent être les deux incontournables. Bref, une excellente surprise et une expérience de lecture truculente que je vais essayer de prolonger silencieusement.
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Les œuvres complètes de Spinoza forment dans mon esprit une image du bonheur qui est un mélange de Bouddha souriant, Gandhi tissant son coton, et Tchouang Tse ironique et truculent.
Le discours est nécessairement cartésien quand il s’agit de déconstruire les pouvoirs religieux savamment édifiés, mais la voie de la sagesse est plus intuitive.
Avant de se lancer dans une longue lecture, voici un petit échantillon des discours régulièrement opposés à Spinoza, accusé d'athéisme. Profitons-en pour rire un bon coup : « C’est alors qu’on pourrait bien dire que la sainte Bible n’est qu’un nez de cire qu’on tourne et forme comme on veut ; une lunette ou un verre au travers de qui un chacun peut voir justement ce qui plait à son imagination ; un vrai bonnet de fou qu’on ajuste et tourne à sa fantaisie en cent manières différentes après s’en être coiffé. Le Seigneur te confonde Satan, et te ferme la bouche ! »
La philosophie de Spinoza est exposée dans les œuvres suivantes. L’ « Ethique » est construite comme une synthèse - c’est son œuvre la plus connue comme chacun peut s’en rendre compte en lisant les citations et critiques sur Babelio. Le « Traité de la réforme de l’entendement » donne une orientation sur le mode de pensée de Spinoza. Le « Traité des Autorités théologique et politique » est une analyse critique et historique des Ecritures et débouche sur une réflexion sur l’Etat de droit. A la liste ci-dessous il faut ajouter quelques éléments biographiques.
- Court Traité
- Traité de la réforme de l’entendement
- Les principes de la philosophie de Descartes
- Pensées Métaphysiques
- L’Ethique
- Traité des Autorités théologique et politique
- Traité de l'autorité politique
- Correspondance
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Cette version de Spinoza est rendue obsolète par la nouvelle version de Bernard Pautrat. On trouvera dans cette dernière de nombreux ajouts, et des traductions beaucoup plus fines. La chronologie de Fabrice Zagury est excellente. L'introduction par Bernard Pautrat est remarquable. La quête de Spinoza était celle de l'éternité. Souhaitons au lecteur cette même recherche, et pourquoi pas de la trouver.
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Si, par exemple, une pierre est tombée d'un toit sur la tête de quelqu'un et l'a tué, ils démontreront que la pierre est tombée pour tuer l'homme, de la façon suivante : Si, en effet, elle n'est pas tombée à cette fin par la volonté de Dieu, comment tant de circonstances (souvent, en effet, il faut un grand concours de circonstances simultanées) ont-elles pu concourir par hasard ? Vous répondrez peut-être que c'est arrivé parce que le vent soufflait et que l'homme passait par là. Mais ils insisteront : Pourquoi le vent soufflait-il à ce moment là ? Pourquoi l'homme passait-il par là à ce même moment ? Si vous répondez de nouveau que le vent s'est levé parce que la veille, par un temps encore calme, la mer avait commencé à s'agiter, et que l'homme avait été invité par un ami, ils insisteront de nouveau, car ils ne sont jamais à cours de questions : Pourquoi donc la mer était-elle agitée ? Pourquoi l'homme a-t-il été invité à ce moment-là ? et ils ne cesseront ainsi de vous interroger sur les causes des causes, jusqu'à ce que vous vous soyez réfugié dans la volonté de Dieu, cet asile d'ignorance.
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Il faut donc bien que vous accordiez qu’une vie sainte n’est pas le privilège de l’Église romaine ; elle peut se rencontrer dans toutes les Églises. Et comme c’est par la sainteté de la vie que nous connaissons, pour parler avec l’apôtre Jean (Épître I, chap. IV, vers. 13), que nous demeurons en Dieu et que Dieu demeure en nous, il s’ensuit que ce qui distingue l’Église romaine de toutes les autres est entièrement superflu, et par conséquent est l’ouvrage de la seule superstition. Oui, je le répète avec Jean, c’est la justice et la charité qui sont le signe le plus certain, le signe unique de la vraie foi catholique : la justice et la charité, voilà les véritables fruits du Saint-Esprit. Partout où elles se rencontrent, là est le Christ ; et le Christ ne peut pas être là où elles ne sont plus, car l’Esprit du Christ peut seul nous donner l’amour de la justice et de la charité. Croyez, Monsieur, que si vous aviez pesé ces pensées au dedans de vous-même, vous ne vous seriez point perdu et vous n’auriez point causé la peine la plus vive à vos parents, qui gémissent aujourd’hui sur votre sort.
XXXVIII. Spinoza à Burgh
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Si ce personnage fameux qui riait de tout , vivait dans notre siècle, il mourrait de rire assurément. Pour moi, ces troubles ne m’incitent ni au rire ni aux pleurs ; plutôt développent-ils en moi le désir de philosopher et de mieux observer la nature humaine . Je ne crois pas qu’il me convienne en effet de tourner la nature en dérision, encore bien moins de me lamenter à son sujet, quand je considère que les hommes, comme les autres êtres, ne sont qu’une partie de la nature et que j’ignore comment chacune de ces parties s’accorde avec le tout, comment elle se rattache aux autres. Et c’est ce défaut seul de connaissance qui est cause que certaines choses, existant dans la nature et dont je n’ai qu’une perception incomplète et mutilée, parce qu’elles s’accordent mal avec les désirs d’une âme philosophique, m’ont paru jadis vaines, sans ordre, absurdes.
Lettre à Oldenburg
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Car la perfection des choses ne doit s'estimer que d'après leur seule nature et puissance, et les choses ne sont pas plus ou moins parfaites selon qu'elles flattent ou offensent les sens des hommes, selon qu'elles s'accordent (conducunt) avec la nature humaine ou lui répugne.
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Je compose actuellement un traité sur la façon dont j’envisage l’Écriture et mes motifs pour l’entreprendre sont les suivants : 1° Les préjugés des théologiens ; je sais en effet que ce sont ces préjugés qui s’opposent surtout à ce que les hommes puissent appliquer leur esprit à la philosophie ; je juge donc utile de montrer à nu ces préjugés et d’en débarrasser les esprits réfléchis. 2° L’opinion qu’a de moi le vulgaire qui ne cesse de m’accuser d’athéisme ; je me vois obligé de la combattre autant que je pourrai. 3° La liberté de philosopher et de dire notre sentiment ; je désire l’établir par tous les moyens : l’autorité excessive et le zèle indiscret des prédicants tendent à la supprimer.
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