L'action est un peu lente à se mettre en branle, mais on excuse vite
Morgan Sportès vu le cul de sac où il est allé se fourrer et le brillant récit qui s'en suit!
Imaginez: Ksar Saïda, une ville de 5000 habitants, plantée sur un désert de cailloux, dont l'artère principale, comble de la dérision, se nomme les Champs Elysées.
Un lycée gris,des collègues ternes et l'écriture dans la solitude du silence de la nuit, car il l'a décidé,il a 32 ans et il est temps...il sera écrivain.
Ecartelé entre deux mondes, le présent austère et bien réel, où ses seuls compagnons de route, en dehors de son métier de prof, sont des rencontres éphémères comme une cafetière explosive,Zerrouni sosie de
Woody Allen,le berger au burnous rapiécé et à la chéchia rapée, un vieil arabe qui l'appelle "françaoui",Khamari qui a trempé ses mains là où il fallait pas,Robert le prof brillant qui crève d'ennui, Sadik faux chirurgien qui se fout de faire crever ses patients, et la planète imaginaire, il sombre peu à peu dans un trou sans fond et fantasme ferme pour s'en sortir.
C'est là que
Solitudes puise sa force et happe le lecteur pour l'entrainer dans une débauche très sympathique car l'abstinence et ses rares débridements se teintent d'un humour féroce.
"Un saint? Un mystique? Un soufi?"
Dur-dur d'être sans femme!
Le simple magazine Elle se transforme en revue pornographique.
La bouche de Dounia,sa collègue de travail qui a enfilé l'haïk,lui évoque un orifice génital.
Les corps brulants des
siamoises de son roman, "se penchent amoureusement vers lui".
Il saute alors,c'est le cas de le dire,sur l'invitation à Alger d'une prof d'université Bernadette qui aime "la chair fraiche" et il la transforme "en machine à jouir" à la place de sa cuvette de WC habituelle,ce qui loin de choquer est pitoyable car plus la solitude va lui peser,plus il va glisser aux portes de la folie.
Au départ,rien de bien méchant,la cafetière explose et re-explose,c'est "une secrète conjuration des choses contre son travail", puis s'en viennent quelques idées de persécution,des ivresses à répétitions,des masturbations obsessionnelles,il a des hallucinations,fait des actes manqués,il part en classe un sac poubelle à la main,"ses mains lui deviennent étrangères", il subit un glissement de terrain,une sorte de tremblement de terre,il perd ses repères(quel jour est-il?),son sexe chaud semblable à un animal de compagnie se love entre ses cuisses,il baise Bernadette comme un malade et la hait comme il hait sa mère.
Est-il maboul?
Est-il un espion d'Israel comme le prétend la rumeur suite à des blagues déplacées?
Heureusement, ouf! il revient en France pour des vacances,puis une amie parisienne vient à son tour le voir.
Et puis
Siam fini,
Morgan Sportes a donc rempli son contrat!
Une écriture très agréable à lire, une approche psychologique très fine de son propre marasme.
Auteur de nombreux livres traduits en plusieurs langues,son livre
L'appat a été porté à l'écran par
Bertrand Tavernier en 1995.
A noter que le roman
Tout tout de suite de
Morgan Sportès a été sélectionné pour le prix Goncourt 2011.