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Simone Balayé (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070376322
627 pages
Gallimard (13/03/1985)
3.73/5   62 notes
Résumé :
Un roman cosmopolite et européen qui évoque la France, l'Angleterre et l'Italie à l'aube du romantisme dans la diversité de leurs mœurs et de leurs cultures. L'histoire d'une femme, la poétesse Corinne, qui inaugure le débat sur la condition féminine, sur le droit de la femme à vivre en être indépendant et à exister en tant qu'écrivain. Corinne, c'est Mme de Staël elle-même, " la femme la plus extraordinaire qu'on vit jamais " selon Stendhal, " un être à part, un êt... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
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On parle beaucoup d'Olympe de Gouge, dont la notoriété ne dépassait pas le cercle étroit de quelques salons jacobins, et on oublie Madame de Staël, qui à la même époque était fêtée et acclamée dans toute l'Europe. La première était une presque inconnue qui fut brutalement (re)découverte deux siècles plus tard, la deuxième fonda le féminisme moderne, et depuis s'efface peu à peu des mémoires. On pourrait retracer les origines bien au-delà ; mais la révolution avait proclamé l'égalité des hommes, et elle fut la première qu'on entendit vraiment quand elle protesta que les femmes ne voulaient pas être tenues pour quantité négligeable dans cette nouvelle équation.

Suivons donc lord Oswald, jeune lord anglais, à travers l'Italie. Après quelques péripéties, descriptions et réflexions sur les moeurs du pays traversé, le hasard le fait arriver à Rome le jour même où la plus grande figure intellectuelle locale reçoit un honneur spécial, copié sur les triomphes romains. C'est une femme, une poétesse nommée Corinne. D'emblée elle le fascine ; ils se rencontrent, et l'attirance devient vite réciproque.

Mais si l'Italie, de moeurs libérales, accepte sans problème qu'une femme se fasse un nom dans l'art, tel n'est pas le cas en Angleterre, où elle se doit d'être en tout et pour tout l'ornement muet d'un foyer ; un talent pour la musique ou l'écriture y fait figure de tare. Et voici notre héros tenaillé entre l'amour de Corinne et celui du pays natal ; l'occasion de comparer les deux cultures et la place qu'y tiennent les femmes… Ou plutôt qu'on leur laisse.

Cela dit, il faut être honnête : l'oeuvre a vieilli, et il m'a bien fallut quatre ou cinq tentatives pour en venir à bout. La mise en place de l'intrigue prend pratiquement les deux tiers du livre, et les interminables jeux de devinette des sentiments mutuels y deviennent vite pesants. Par ailleurs, difficile de se défaire de l'impression que, dans la poétesse à la beauté délicate acclamée par les foules, l'auteur met en scène nulle autre… Qu'elle-même. de même, difficile de ne pas rapprocher lord Neville de son grand (et non réciproque) amour, Benjamin Constant. Au XVIIIème on ne pouvait accéder à la biographie de l'auteur en trois clics ; de nos jours cela peut vous gâcher une lecture.

A lire car il faut le lire si l'on veut pouvoir recontextualiser le féminisme. Pour le reste, chez le lecteur l'abnégation est une vertu ; ne l'oublions.
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Par où commencer, pour parler d'un tel roman?
Madame de Staël souhaitait consacrer un livre à l'Italie ; Corinne en sera l'occasion. Via les visites et voyages des héros, nous découvrons sous sa plume superbe ce pays magnifique. Comment, après avoir lu ce roman, ne pas avoir envie de découvrir ces lieux nous-mêmes?
Lesdits lieux sont le théâtre d'un drame. Corinne est le modèle de la femme parfaite : belle, élégante, brillante, elle manie à la perfection les arts du dessin, de la poésie et de la musique. Indépendante, c'est au perfectionnement de ses talents qu'elle voue son existence.
Sa route croise celle de lord Nelvil, un Anglais en voyage qui pleure encore et toujours son père disparu. Au milieu des descriptions des Italiens, madame De Staël trouve là moyen d'en placer d'autres sur le caractère anglais. Oswald est charmé par Corinne, Corinne tombe éperdument amoureuse d'Oswald. On s'en doute dès le début, une telle passion ne saurait avoir une heureuse fin et les personnages sont d'avance condamnés à souffrir.

Il me faut maintenant évoquer mes impressions quant à ce roman et dirais d'emblée que c'est un coup de coeur absolu. Tant l'Italie que Corinne m'ont plu ! Oswald, par contre, m'a exaspérée page après page, chapitre après chapitre.
On me pardonnera, je l'espère, d'exprimer un point de vue aussi tranché. J'ai coutume, quand un roman me plait, de me laisser transporter par les personnages comme s'ils existaient réellement. Comment cet Anglais rigide a donc osé briser le coeur de la femme la plus brillante qui fut? Et cela pour quoi, pour qui? Pour Lucile qui, ne vous en déplaise, m'a semblé, à côté de Corinne, fade et insipide, toute jolie qu'elle soit, une parfaite potiche, une bonne petite maîtresse de maison, grâce à la scrupuleuse éducation anglaise qu'elle a reçue ! Pour respecter les projets que son père, mort depuis plusieurs années, avait formé pour lui ! Pour un soi disant bonheur domestique qui sera finalement empoisonné par les souvenirs et les remords !
Ciel ! pauvre Corinne ! Ce roman est également un grand roman féministe, en cela qu'il oppose habilement Rome et l'Italie, qui laissent les femmes exprimer et cultiver leurs talents, à l'Angleterre, où elles se doivent d'être silencieuses et réservées pour qu'on les considère comme respectables : surtout ne pas se faire remarquer, ne pas s'élever au-dessus du lot, sois belle, prépare le thé et tais-toi. Corinne, ou un talent et une beauté extraordinaires sacrifiés pour la sécurité et la tranquillité des habitudes de cette bonne vieille Angleterre.
Enfin, je me suis laissée aller à imaginer ce qu'aurait pu être la vie de Corinne si elle avait épousé lord Nelvil. C'est avec regret que j'ai conclu qu'elle aurait fini par dépérir aux côtés de ce caractère irrésolu, enchaîné au souvenir paternel, elle si vive, pleine de l'imagination et de la fantaisie italiennes. Peut-être valait-il mieux, en effet, qu'il s'unisse à Lucile. Il n'en reste pas moins qu'il aura tué de chagrin une femme remarquable...

Challenge Pavés 2015/2016
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Corine ou l'Italie est le tribut d'amour et d'admiration que Madame de Staël rend à ce pays, patrie des beaux-arts, de la nature exubérante et du ciel serein. Avec son style grandiose qui rappelle un autre grand contemporain - Chateaubriand -, elle conte le penchant chaque jour plus fort qui unit deux êtres, Corinne et Lord Nevil, que tout semblait séparer.

En effet, Corinne représente l'amour à l'italienne, l'amour-passion, les sentiments exaltés et magnifiés; alors que Lord Nelvil est le parangon de l'amour-raison, le respect des convenances, des moeurs des ancêtres, la pudeur dans les émotions toute britannique. Cette oeuvre parait être un roman à clef tant Corine incarne une manière de Madame de Staêl idéalisée, et les évènements de la vie de son héroïne semblent correspondre à ce qu'elle-même a vécu.

Trois villes y sont principalement détaillées, à savoir Rome, Naples,Venise, mais aussi Florence, Milan et Bologne. Quelques pages sont absolument sublimes de sensibilité et par leur force pathétique, notamment celles qui, paradoxalement, semblent être très largement tirées d'oeuvre du père de l'artiste, qui n'était autre que Jacques Necker, ministre sous Louis XVI. J'ai lut avec une délectation toute particulière les pages consacrées à Naples et ses alentours et le récit de l'histoire de Lord Nelvil. Néanmoins j'introduirai ici, un bémol : à mon avis les pages consacrées à l'amour tout platonique entre les deux protagonistes et les affres de la séparation prochaine sont un peu lassantes; on y trouve une certaine outrance dans l'expression des sentiments qui caractérise la période romantique. Ce livre est précurseur en matière de féminisme, car l'héroïne du roman est une femme qui revendique son indépendance, qui a bravé les convenances par désir d'accomplissement personnel, qui ne s'est pas réfugiée dans le mariage pour y éprouver la sécurité et qui assumera ces choix jusqu'à leur ultimes conséquences. de la grande et belle littérature.
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On s'aperçoit bien vite que l'auteure a voulu dresser une sorte de comparaison des moeurs de ces trois pays en introduisant, principalement, des personnages issus chacun de ces trois cultures respectives: Oswald pour l'Angleterre, le Comte d'Erfeuil pour la France, Corinne pour l'Italie. Je dirais que la France incarnée par ce Comte, qui n'intervient qu'épisodiquement dans le récit, se pose là en tant que pays de second ordre, représentant seulement un intermédiaire entre ces deux pays si opposés que sont l'Italie et l'Angleterre. Comme le titre le laisse percevoir, de belles pages sont en effet principalement consacrées à l'Italie. L'Angleterre, quant à elle, apparaît sous un jour moins avantageux, nous le verrons ultérieurement. le Comte d'Erfeuil, donc, qu'Oswald rencontre par hasard juste avant de rentrer dans la péninsule a été conçu comme l'antithèse même de son compagnon: le jeune écossais nous est présenté comme quelqu'un de triste, très calme et réfléchi à la limite de l'austérité, le français comme un homme plutôt bavard, gai, insouciant à la limite de la frivolité. L'un représentant le rigorisme et la sobriété anglo-saxons, l'autre le badinage et la légèreté français.
Corinne ou l'Italie est aussi prétexte à l'exploration d'une Italie pittoresque, pleine de charme, où l'abondance de l'Art n'a d'égale que l'exubérance et le trop-plein de vie portés par ses habitants. C'est un choc culturel que vivra Oswald au contact de ce soleil brûlant, des rires qui emplissent les rues de la cité Romaine, de cette liberté que jouit Corinne au sein de cette société où les hommes comme les femmes vivent sur un pied d'égalité. Elle, jeune femme d'une vingtaine d'années, sans époux, profite pleinement de son mode de vie, qu'Oswald a bien du mal à comprendre et accepter. Elle, libre de fréquenter à sa guise tous ses amis hommes, sans craindre le scandale ni même les commérages, puisque la société italienne est libre d'esprit et n'est pas sujette à toute forme de jugement ou d'à-priori: les femmes sont libres de mener leur vie comme elles le souhaitent et c'est au sein de ce monde-là que Corinne s'épanouit. Cette société qui lui permet non seulement d'exercer ses talents artistiques comme elle souhaite mais d'être en plus admirée par ses pairs autant hommes que femmes. Corinne est ainsi considérée comme l'une des poétesses les plus appréciées du pays et Oswald se trouve à la fois impressionné et intimidée devant une telle personnalité, femme qui plus est. Car Corinne est aux antipodes de ce qu'est la femme anglaise et de son rôle social, qui n'a d'autres raisons d'être, Mme de Staël le décrit parfaitement, que de servir son mari.
Mme de Staël est aussi dure et critique avec la société et l'état d'esprit anglais qu'elle est complaisante et indulgente avec la culture italienne. le personnage même de Corinne m'a beaucoup surprise, elle apparaît comme une bouffée d'air frais au milieu de cette société infiniment traditionnelle et étriquée qu'est celle du XVIII siècle européen. Bien sur, il semblerait que l'Italie, qui apparaît comme le seul pays où l'artiste peut s'épanouir, est dotée d'une société à la mentalité peut-être plus souple, plus tolérante, mais est-ce vraiment opportun d'en faire une généralité sur ce peuple transalpin? Corinne est peut-être une exception à une règle sociale préétablie comme Mme Staël a été une figure à part dans cette France de fin de siècle. Femme assez libre, malgré ses mariages, elle qui a passé une grande partie de sa vie à voyager à travers l'Europe mais également à tenir des salons littéraires fait également figure de femme indépendante. Comme double de l'écrivain, en tant qu'esthète libre, le but de Corinne est de vivre à travers son art, non pas à travers un mari quel qu'il soit. Mais il semblerait que sa rencontre avec Oswald ait fait prendre aux choses un tournant différent comme si une relation amoureuse était incompatible avec l'expérience artistique. J'ai parlé plus tôt d'une bouffée d'air frais et en effet, j'avoue qu'à l'opposé totale de la Pauline de Dumas, personnage engoncé dans son rôle social d'épouse de, Corinne, personnage unique en son genre, préfigure une sorte de libération de la femme, ou au moins une amélioration de la condition féminine, dans une époque encore fortement patriarcale, ce qui n'est pas pour me déplaire.

C'est un roman qu'il faut lire en prenant son temps, tout spécialement les livres dits descriptifs, mais qui a l'avantage de présenter une figure un peu hors de son temps, mais tellement fraîche, différente et inattendue dans cette littérature de fin de siècle.

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J'ai eu un vrai coup de coeur pour ce livre, que j'avais pourtant ouvert seulement par volonté de découvrir ce classique du féminisme ; je savais que cela m'intéresserait, mais je ne m'attendais pas à « accrocher » autant au récit comme pour un livre contemporain !

Bien qu'assez oubliée aujourd'hui, Germaine de Staël était une célébrité en son temps, très connue et admirée pour ses ouvrages comme pour sa personnalité et son intelligence. Dans Corinne, elle met en scène une héroïne à son image : une femme libre, qui mène une vie indépendante, célébrée pour son esprit supérieur, en contraste avec le héros romantique et mélancolique par excellence, lord Nelvil (qui m'a personnellement agacée !), et dont elle tombe pourtant amoureuse.

Le titre complet résume parfaitement les deux aspects du roman : l'histoire de Corinne et l'Italie. le livre nous propose en effet un voyage à travers la description de ce pays, de ses monuments, ses villes, sa littérature, son art… Il est simplement nécessaire de prendre un peu de recul critique par rapport aux clichés sur les peuples et aux stéréotypes réducteurs qui émaillent cet hommage, qui correspondent à l'esprit d'une époque.

Corinne ou l'Italie est un petit pavé, mais dont la lecture vaut la peine !
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Citations et extraits (56) Voir plus Ajouter une citation
« Ah ! qu'il faut peu de chose pour rendre défiants d'eux-mêmes un père, une mère avancés dans la vie; ils croient aisément qu'ils sont de trop sur la terre. A quoi se croiraient-ils bons pour vous, qui ne leur demandez plus de conseils? Vous vivez en entier dans le moment présent; vous y êtes consignés par une passion dominante; et tout ce qui ne se rapporte pas à ce moment vous paraît antique et suranné. Enfin, vous êtes tellement en votre personne, et de coeur et d'esprit, que, croyant former à vous seul un point historique, les ressemblances éternelles entre le temps et les hommes échappent à votre attention, et l'autorité de l'expérience vous semble une fiction, ou une vaine garantie destinée uniquement au crédit des vieillards et aux dernières jouissances de leur amour-propre. Quelle erreur est la vôtre! Le monde, ce vaste théâtre, ne change pas d'acteurs; c'est toujours l'homme qui s'y montre en scène; mais l'homme ne se renouvelle point; il se diversifie ; et comme toutes ses formes sont dépendantes de quelques passions principales dont le cercle est depuis longtemps parcouru, il est rare que, dans les petites combinaisons de la vie privée, l'expérience, cette science du passé, ne soit la source féconde des enseignements les plus utiles.
« Honneur donc aux pères et aux mères, honneur à eux, honneur et respect, ne fût-ce que pour leur règne passé, pour ce temps dont ils ont été seuls maîtres et qui ne reviendra plus ; ne fût-ce que pour ces années à jamais perdues, et dont ils portent sur le front l'auguste empreinte.
« Voilà votre devoir, enfants présomptueux, et qui paraissez impatients de courir seuls la route de la vie.Ils s'en iront, vous n'en pouvez douter, ces parents qui tardent à vous faire place ; ce père dont les discours ont encore une teinte de sévérité qui vous blesse: cette mère dont le vieil âge vous impose des soins qui vous importunent: ils s'en iront, ces surveillants attentifs de votre enfance, et ces protecteurs animés de votre jeunesse; ils s'en iront, et vous chercherez en vain de meilleurs amis; ils s'en iront, et dès qu'ils ne seront plus, ils se présenteront à vous sous un nouvel aspect; car le temps, qui vieillit les gens présents à notre vue, les rajeunit pour nous quand la mort les a fait disparaître; le temps leur prête alors un éclat qui nous était inconnu: nous les voyons dans le tableau de l'éternité où il n'y a plus d'âge, comme il n'y a plus de graduation; et s'ils avaient laissé sur la terre un souvenir de leurs vertus, nous les ornerions en imagination d'un rayon céleste, nous les suivrions de nos regards dans le séjour des élus, nous les contemplerions dans ces demeures de gloire et de félicité; et, près des vives couleurs dont nous composerions leur sainte auréole, nous nous trouverions effacés au milieu même de nos beaux jours, au milieu des triomphes dont nous sommes le plus éblouis».
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« Nous marchons dans la vie, environnés de pièges et d'un pas chancelant ;
nos sens se laissent séduire par des amorces trompeuses; notre imagination nous égare par de fausses lueurs ; et notre raison elle-même reçoit chaque jour de l'expérience le degré de lumière qui lui manquait et la confiance dont elle a besoin.
Tant de dangers unis à une si grande faiblesse; tant d'intérêts divers, avec une prévoyance limitée, une capacité si restreinte ; enfin tant de choses inconnues et une si courte vie : toutes ces circonstances, toutes ces conditions de notre nature, ne sont-elles pas pour nous un avertissement du haut rang que nous devons accorder à l'indulgence dans l'ordre des vertus sociales!...... Hélas! où est-il l'homme qui soit exempt de faiblesses ? Où est-il l'homme qui n'ait aucun reproche à se faire? Où est-il l'homme qui puisse regarder en arrière de sa vie sans éprouver un seul remords ou sans connaître aucun regret ? Celui-là seul est étranger aux agitations d'une âme timorée, qui ne s'est jamais examiné lui-même, qui n'a jamais séjourné dans la solitude de sa conscience. »
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L’imagination d’un peuple captivé par les plaisirs était facilement effrayée par le prestige de puissance dont le gouvernement vénitien était environné. L’on ne voyait jamais un soldat à Venise ; on courait au spectacle quand par hasard dans les comédies on en faisait paraître un avec un tambour ; mais il suffisait que le sbire de l’inquisition d’état., portant un ducat sur son bonnet, se montrât, pour faire rentrer dans l’ordre trente mille hommes rassemblés un jour de fête publique. Ce serait une belle chose si ce simple pouvoir venait du respect pour la loi, mais il était fortifié par la terreur des mesures secrètes qu’employait le gouvernement pour maintenir le repos dans l’état. Les prisons (chose unique) étaient dans le palais même du Doge ; il y en avait au-dessus et au-dessous de son appartement ; la Bouche du lion, où toutes les dénonciations étaient jetées, se trouve aussi dans le palais dont le chef du gouvernement faisait sa demeure : la salle où se tenaient les inquisiteurs d’état était tendue de noir, et le jour n’y venait que d’en haut ; le jugement ressemblait d’avance à la condamnation ; le Pont des soupirs, c’est ainsi qu’on l’appelait, conduisait du palais du Doge à la prison des criminels d’état. En passant sur le canal qui bordait ces prisons on entendait crier : Justice, secours ! et ces voix gémissantes et confuses ne pouvaient pas être reconnues. Enfin quand un criminel d’état était condamné, une barque venait le prendre pendant la nuit ; il sortait par une petite porte qui s’ouvrait sur le canal ; on le conduisait à quelque distance de la ville, et on le noyait dans un endroit des lagunes où il était défendu de pêcher : horrible idée qui perpétue le secret jusques après la mort, et ne laisse pas au malheureux l’espoir que ses restes du moins apprendront à ses amis qu’il a souffert, et qu’il n’est plus !
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Il n'y a rien de si facile que de se donner l'air très moral, en condamnant tout ce qui tient à une âme élevée. Le devoir, la plus noble destination de l'homme, peut être dénaturé comme toute autre idée, et devenir une arme, offensive, dont les esprits étroits, les gens médiocres et contents de l'être se servent pour imposer silence au talent et se débarrasser de l'enthousiasme, du génie, enfin de tous leurs ennemis. On dirait, à les entendre, que le devoir consiste dans le sacrifice des facultés distinguées que l'on possède, et que l'esprit est un tort qu'il faut expier, en menant précisément la même vie que ceux qui en manquent ; mais est-il vrai que le devoir prescrive à tous les caractères des règles semblables? Les grandes pensées, les sentiments généreux ne sont-ils pas dans ce monde la dette des êtres capables de l'acquitter?Chaque femme comme chaque homme ne doit-elle pas se frayer une route d'après son caractère et ses talents? Et faut-il imiter l'instinct des abeilles, dont les essaims se succèdent sans progrès et sans diversité ?
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Croyez-moi, mon cher Nelvil, si vous voulez faire des sottises, faites-en qui soient réparables ; mais pour le mariage il ne faut jamais consulter que les convenances. Je vous parais frivole ; hé bien, néanmoins je parie que dans la conduite de la vie je serai plus raisonnable que vous. Je le crois aussi, répondit lord Nelvil ; et il n' ajouta pas un mot de plus. En effet, pouvait-il dire au comte d' Erfeuil qu' il y a souvent beaucoup d' égoisme dans la frivolité, et que cet égoisme ne peut jamais conduire aux fautes de sentiment, à ces fautes dans lesquelles on ne sacrifie presque toujours aux autres ? Les hommes frivoles sont très-capables de devenir habiles dans la direction de leurs propres intérêts, car, dans tout ce qui s' appelle la science diplomatique de la vie privée comme de la vie publique, l' on réussit encore plus souvent par les qualités qu' on n' a pas, que par celles qu' on possède. Absence d' enthousiasme, absence d' opinion, absence de sensibilité, un peu d' esprit combiné avec ce trésor négatif, et la vie sociale proprement dite, c' est-à-dire la fortune et le rang, s' acquièrent ou se maintiennent assez bien
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