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EAN : 9782359250473
210 pages
Les Empêcheurs de penser en rond (07/04/2011)
3.7/5   10 notes
Résumé :

Comment garder la force que nous ont transmise les femmes dont on n'attendait rien d'autre que d'être une maîtresse de maison - épouse, mère ? Ces femmes qui, bravant le ridicule, de manière parfaitement désintéressée (elles ne pouvaient nourrir aucun espoir de carrière), ont résisté à l'objection doucereuse de leur père : « Mais, ma chérie, tu ne manques de rien... » et ont c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
« La fable du douzième chameau raconte qu'un vieux bédouin, sentant sa fin prochaine, appela à lui ses trois fils, pour partager entre eux ce qu'il lui restait de biens. Il leur dit : Mes fils, je lègue la moitié de mes biens à l'aîné, le quart au second, et toi, mon dernier, je t'en donne le sixième. A la mort du père, les fils se trouvent bien perplexes car les biens du père n'étaient autres que onze chameaux. Comment partager ? La guerre entre les frères semblait inévitable. Sans solution, ils se rendirent au village voisin, quérir les conseils d'un vieux sage. Celui-ci réfléchit, puis hocha la tête : Je ne peux pas résoudre le problème. Tout ce que je peux faire pour vous, c'est vous donner mon vieux chameau. Il est vieux, il est maigre et plus très vaillant, mais il vous aidera peut-être. Les fils ramenèrent le vieux chameau et partagèrent : le premier reçut alors six chameaux, le second trois et le dernier deux. Restait le vieux chameau malingre qu'ils purent rendre à leur propriétaire »…

… « le douzième chameau a redéployé le problème en faisant exister l'inconnue que sa formulation dissimulait. Partager un héritage selon des proportions déterminées demande que la somme des parts proportionnées soit égale à l'héritage. Mais cela ne prescrit pas ce sur quoi doit porter le calcul des proportions. »

En partant de Virginia Woolf et de sa méfiance des institutions, Virgine Despret et Isabelle Stengers « se sont posé la question : qu'avons nous appris, nous les filles infidèles de Virginia qui avons, de fait rejoint les rangs des ”hommes cultivé” ? » (comme l'indique la quatrième de couverture).

Le livre comporte deux parties, l'une d'analyses et de réflexions, l'autre, pourrais-je, dire de ”concrétisation” avec un travail de (re)-formulation des réponses d'universitaires, de femmes n'ayant pas renoncé à « faire des histoires »

Ma connaissance de l'oeuvre de Virginia Woolf est très fragmentaire, je ne discuterais donc pas les propos des auteures. Mais j'en suis pas moins sensible à leur introduction à sa pensée, à la pensée et au genre. « Car le genre ne désigne pas seulement une construction socio-historique, mais une construction asymétrique » ou « Ainsi la catégorie ”homme” est considérée comme un universel, le fait qu'elle ne désigne en fait que 45% de l'humanité est invisibilisé »

Les interrogations des auteures sur la philosophie et la science, me semblent particulièrement bienvenues : « La question d'une science capable de s'ouvrir à des questions qu'elle a traditionnellement jugées comme ”non scientifique” – y compris les questions suscitées par la définition et les exigences d'une carrière scientifique et par la formation des futurs scientifiques – appartient plus que jamais à l'avenir.»

S'appuyant entre autres sur Simone de Beauvoir, Virgine Despret et Isabelle Stengers rappellent la nécessité de « déssentialiser ce que veut dire être femme » et insistent sur la « création d'une transformation du rapport au souvenir », sur les rencontres entre femmes, sur « le personnel est politique », sur le déplacement des axes.

« Parler de nos ”faire autrement”, de nos refus, mais aussi de ces sentiments d'être déplacées, de ces malaises qui attendent toujours au tournant, ne relevait plus du papotage mais d'une ”mise en commun” : pouvoir sentir et dire ensemble : ”Ceci importe'‘. Pouvoir en faire toute une histoire. »

Les différentes interventions, au delà des parcours et des positionnements, des choix, montrent que « nous pouvons résister à l'idée que nous sommes des ”produits finis”. » Une belle invitation à penser.

« Un douzième chameau, cela ne se postule pas. La création un peu différente, qui sépare les ”thèmes” affrontés de leur prétention à définir le paysage, c'est une grâce et un cadeau, non la marque d'un génie personnel » Ce livre fait décidément et heureusement place aux histoires, aux faiseuses d'histoires. « Ne jamais oublier que ce monde oblige à lutter, que rien n'y est ”normal”, et ne jamais arrêter de penser ensemble, de cultiver l'insoumission, y compris à nos propres évidences, les unes avec les autres, par les autres et grâce aux autres, n'est-ce-pas d'ailleurs le sens même de cette aventure sans cesse à reprendre qu'est le féminisme ? »
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Mon essai du mois de février n'est pas historique, mais on y parle bien d'histoires (au pluriel). J'ai croisé ce livre à la bibliothèque, et je n'ai pas pu résister à cet appel à réfléchir à ce que signifie, aujourd'hui, penser en tant que femme.

Dans « les trois Guinées », Virginia Woolf interpelle les filles et les soeurs des « hommes cultivés » en leur recommandant de se garder de rejoindre leur procession en entrant à l'université. « Think we must », déclare t-elle, comme si l'université alors totalement masculine n'était pas un lieu où la pensée des femmes pouvait se déployer.
Près d'un siècle plus tard, deux femmes, philosophes et universitaires belges, répondent à cet appel, en partant à la recherche du « nous » qui se cache derrière l'injonction de Virginia. Que signifie pour elles penser «  en tant que femmes » ?
Deux métaphores aident à comprendre leur démarche, fondée sur le fait de construire la pensée scientifique avec son objet (qui n'en est d'ailleurs plus un, d'objet, mais devient un acteur à part entière du questionnement). La parabole du douzième chameau invite à faire un pas de côté pour résoudre un problème apparemment insoluble, en refusant le conflit qu'il semblait induire. La métaphore de la traduction implique de considérer la pensée scientifique non à la façon du thème, qui voudrait établir la bonne traduction unique du texte original, mais comme une multitude de versions qui déclinent ce texte dans des langues multiples, en fonction de qui traduit et pour qui.

Dans la 2e partie, les deux autrices invitent d'autres femmes à devenir le « terrain » de leur réflection par induction. On y croise par exemple Barbara Cassin et Mona Chollet, qui s'expriment sur ce que veut dire, pour elles, penser « en tant que femmes ». A chacune sa façon de fabuler, de se reconnaître ou pas dans l'invitation des deux autrices et de proposer sa propre façon de résister à l'entrée dans la « procession des hommes cultivés » : en mobilisant le rire oui la colère, en préférant la recherche du meilleur à l'opposition entre le Bien et le Mal, en faisant un pas de côté, en exaltant la sororité, en résistant à la culpabilité ou au contraire à l'innocence des victimes, en refusant d'expliquer… Pour finalement poser, dans l'épilogue, un « nous » sous le signe des faiseuses d'histoires, celles qui n'hésitent pas à « faire toute une histoire » de ce qui leur paraît essentiel, et choisissent ces histoires comme mode d'expression de la pensée au féminin.

Cet essai est souvent touffu et obscur, prend des chemins détournés pour atteindre des objectifs qu'il se refuse à énoncer trop clairement, et on devine que c'est fait exprès. Il ne reste qu'à lâcher prise et se laisser porter, accepter qu'on n'en retirera peut-être que certains détails ou une atmosphère. Mais ce sera déjà autre chose que rejoindre la procession.
J'en retiens pour ma part que si la science se présente comme neutre, c'est seulement parce qu'elle invisibilise l'existence d'un genre « non marqué » par rapport aux genres marqués qui ne sont pas la norme. Qu'il faut refuser de séparer les savoirs de la question de qui les produit et comment. Et cultiver les 4 vertus de Virginia sans lesquelles il n'est pas de liberté intellectuelle : « préférer le ridicule ou la dérision à la célébrité et aux louanges ; pratiquer la chasteté, c'est-à-dire le refus de prostituer son cerveau ; s'en tenir à la pauvreté, gagner juste assez d'argent pour vivre correctement et pas un sou de plus ; maintenir sa liberté à l'égard des loyautés artificielles, celles qui mobilisent, enrégimentent, font hurler avec les loups. »
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
La fable du douzième chameau raconte qu’un vieux bédouin, sentant sa fin prochaine, appela à lui ses trois fils, pour partager entre eux ce qu’il lui restait de biens. Il leur dit : Mes fils, je lègue la moitié de mes biens à l’aîné, le quart au second, et toi, mon dernier, je t’en donne le sixième. A la mort du père, les fils se trouvent bien perplexes car les biens du père n’étaient autres que onze chameaux. Comment partager ? La guerre entre les frères semblait inévitable. Sans solution, ils se rendirent au village voisin, quérir les conseils d’un vieux sage. Celui-ci réfléchit, puis hocha la tête : Je ne peux pas résoudre le problème. Tout ce que je peux faire pour vous, c’est vous donner mon vieux chameau. Il est vieux, il est maigre et plus très vaillant, mais il vous aidera peut-être. Les fils ramenèrent le vieux chameau et partagèrent : le premier reçut alors six chameaux, le second trois et le dernier deux. Restait le vieux chameau malingre qu’ils purent rendre à leur propriétaire

le douzième chameau a redéployé le problème en faisant exister l’inconnue que sa formulation dissimulait. Partager un héritage selon des proportions déterminées demande que la somme des parts proportionnées soit égale à l’héritage. Mais cela ne prescrit pas ce sur quoi doit porter le calcul des proportions.
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Ne jamais oublier que ce monde oblige à lutter, que rien n’y est "normal", et ne jamais arrêter de penser ensemble, de cultiver l’insoumission, y compris à nos propres évidences, les unes avec les autres, par les autres et grâce aux autres, n’est-ce-pas d’ailleurs le sens même de cette aventure sans cesse à reprendre qu’est le féminisme ?
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Parler de nos "faire autrement", de nos refus, mais aussi de ces sentiments d’être déplacées, de ces malaises qui attendent toujours au tournant, ne relevait plus du papotage mais d’une "mise en commun" : pouvoir sentir et dire ensemble : "Ceci importe’‘. Pouvoir en faire toute une histoire.
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La question d’une science capable de s’ouvrir à des questions qu’elle a traditionnellement jugées comme "non scientifique" – y compris les questions suscitées par la définition et les exigences d’une carrière scientifique et par la formation des futurs scientifiques – appartient plus que jamais à l’avenir
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Ainsi la catégorie "homme" est considérée comme un universel, le fait qu’elle ne désigne en fait que 45% de l’humanité est invisibilisé
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Videos de Isabelle Stengers (10) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Isabelle Stengers
Philosophe des sciences, Isabelle Stengers engage le dialogue avec deux chercheurs pour interroger l'objectivité des sciences. « L'usage dominant instaure une répartition binaire du savoir : les scientifiques disent les faits, neutres quant aux valeurs, la société décide démocratiquement de la manière d'en tenir compte. Des scientifiques minoritaires ont depuis des années mis en cause ce trop confortable état des choses, qui sert de façade à des rapports bien plus intriqués. Mais en ces temps d'urgence climatique et sociale, la façade craque de partout. Des chercheurs sortent de leur rôle assigné, “entrent en rébellion “, “ bifurquent” ou “désertent “. Ils et elles s'adressent directement tant à leurs collègues qu'aux étudiants et au public, et font exister la possibilité d'autres manières de faire science, c'est-à-dire aussi la possibilité d'une mise en démocratie active des savoirs, scientifiques ou non, qui permette de penser ensemble et d'affronter ensemble les épreuves qui nous attendent. » I.S.
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