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EAN : 9782234060517
177 pages
Stock (13/03/2008)
4.38/5   4 notes
Résumé :

Guerre d'indépendance, conflits de mémoire et séquelles postcoloniales, guerre civile algérienne, luttes intestines... des deux côtés de la Méditerranée les effets des combats n'en finissent pas, comme les répliques des tremblements de terre. Les rapports entre l'Algérie et la France sont ensanglantés, passionnés, obsédants, durablement marqués par une conflictuelle proximité. A di... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
J'ai lu Les Guerres sans fin (*) de Benjamin Stora. Qu'aurais-je voulu lire dans cette mise en autobiographie de l'auteur ou plutôt apprendre que tout Algérien ne sache déjà? le nom de cet historien perspicace tire l'oeil, il rappelle celui de la petite ville de la côte Est de mon pays et qui est située à une trentaine de kilomètres à l'ouest de Skikda. C'est Stora la Phénicienne (au nom dédié à Venus d'où le nom, diversement prononcé, d'Astarté, Astoreh ou Astora et Stora), l'Ottomane, le port génois, l'objet de rivalité entre Anglais et Français, le champ de corail et d'éponges, cité sous la protection de la Vierge Stora, centre de colonisation créé en 1848 et, depuis 1962, Stora l'Algérienne.
Mais Benjamin Stora est né en 1950 à Constantine d'un père originaire de Khenchla et dont les ancêtres juifs avaient été chassés d'Espagne après l'édit des rois catholiques, en 1492. Il a vécu en Algérie «jusqu'à l'âge de douze ans», jusqu'au départ de sa famille pour «l'exil de 1962», pour la France. Puis des études à l'université de Nanterre, en France, l'«engagement dans le processus révolutionnaire de l'après-68», la rencontre avec Charles-Robert Ageron, le militantisme de gauche,...l'ont conduit tout naturellement à réaliser ce qu'il appelle et confie avec émotion «le poids très lourd des héritages, des origines familiales et de la condition sociale. Ma mère était ouvrière d'usine, et mon père vivait d'un petit salaire d'agent d'assurances. En termes d'héritage, je ne possédais rien, il fallait tout bâtir, tout construire. Ainsi ce détour par l'universel m'a permis d'effacer pour un temps les traces de différences culturelles et sociales, m'a donné de l'audace et j'ai pu rejoindre, bien plus tard, l'origine qui était la mienne, né à Constantine, dans une famille juive traditionnelle. le détour par l'engagement, la rupture avec la tradition familiale ont été également l'occasion d'adopter une sorte de décalage, de distance critique vis-à-vis de l'origine.»
Stora reste indéfiniment sur une sorte de balançoire où il joue seul, «Disparition d'un pays là-bas, et attente d'un nouveau monde.» Il confesse sa déception et sa solitude: «Je me suis retrouvé seul dans la froidure de la société française», et ce n'était pas une figure de style. Vrai, il se sentait perdu dans la diversité sociale de France, et, à «une amorce de révolution intérieure», il répond «par une interrogation sur soi, sur l'histoire, sur la langue, sur les rapports politiques.» Toute une révision de conscience, car «il ne s'agissait pas de retrouver un passé perdu, mais de fabriquer (c'est moi qui souligne) un pays, un avenir.» C'est probablement, a posteriori, le voeu pour les Algériens que formule Stora qui, lui aussi, se sentait, d'une certaine manière, privé de son identité. «La révolution algérienne'', écrit-il, mobilise mon attention, mais pas dans sa dimension héroïsée, inéluctable, nécessaire. J'avais vingt-quatre ans lorsque j'ai commencé sur un sujet qui était largement inexploré. Ce travail, en solitaire, sur une séquence délaissée, m'attirait énormément. L'Algérie, la guerre d'indépendance semblaient ne plus exister dans le paysage français médiatique, politique ou culturel français des années 1975-1980. La solitude dans cette recherche, dans l'ancienne métropole coloniale, me confortait, m'excitait.» L'éditeur des «Guerres sans fin», affirme que Benjamin Stora est «un spécialiste reconnu de l'histoire du Maghreb» et donne la liste des titres des ouvrages parus sous ce nom. Ce qui, en vérité, peut émouvoir naturellement le lecteur algérien, ce n'est pas qu'«un jour de juin 1995, Benjamin Stora reçoit des menaces et un petit cercueil en bois dans une grande enveloppe beige...», mais sa volonté de dire clairement ce que certains historiens d'ici et d'ailleurs, qui font de l'histoire de la Révolution algérienne une sorte de fonds de commerce, disent confusément. Benjamin Stora bénéficie-t-il d'une manne chimérique qui lui permettrait d'être maître de sa liberté? Comment s'acquiert cette liberté individuelle? La réponse est dans ce long travail difficile accompli par un homme profondément marqué, emporté par les fortes phrases de Pierre Goldman: un Juif exilé sans terre promise'' - une longue quête sur soi-même à travers de longues recherches historiques - que nous met sous les yeux cet universitaire passionné de vérité et propose à notre réflexion. L'un des chapitres, parmi les plus prenants dans ce travail sur la mémoire, s'intitule La découverte de «deux oublis». L'auteur, affirme-t-il, a essayé «d'instaurer une distinction entre l'oubli légitime, nécessaire, évident, et un oubli organisé par les États.» Il affirme également qu'«Il existe deux types d'oubli: l'oubli de la société, légitime pour pouvoir vivre, et puis un oubli très pervers, très organisé. Et progressivement, je me suis aperçu que les deux oublis s'appuyaient l'un sur l'autre.»
À mon sens, il y aurait, dans le cas de l'Algérie et la colonisation française, un troisième oubli à établir et à analyser; c'est l'oubli d'agression armée du corps expéditionnaire français contre le peuple algérien et l'oubli de résistance - par tous les moyens, historiquement légitime - des combattants de l'Armée de libération nationale. La réalisation de la grande oeuvre mémorielle et humaine doit nécessairement passer par le libre et mutuel respect entre les peuples et les États. On attendrait évidemment beaucoup des archives ouvertes, indispensablement, mais on attendrait plutôt beaucoup plus des historiens et des analystes de hautes compétences, et ce serait le mieux, c'est-à-dire le plus crédible. Et alors, je dirai avec Benjamin Stora, qui veut être «Non pas un historien du présent, mais un historien au présent» et dont les études pour la vérité ne me passionnent pas toujours, «Il faut essayer de comprendre ce drame de l'intérieur.» Oui, de «l'intérieur», autant le jeune Stora a pleuré de souffrance de la guerre d'Algérie, d'avoir quitté «la terre natale» et «de rentrer en France» indéfiniment, autant et plus, le jeune Algérien a pleuré de toutes les souffrances infligées à son pays conquis et surtout des ravages de la colonisation le privant d'apprendre à connaître sa patrie.
Aussi, à qui voudrait concilier le déni sans critique et la soumission sans le consentement, il faudrait souhaiter bien du plaisir!
Dans Les Guerres sans fin, de même que dans ses précédents ouvrages, Benjamin Stora s'est mis complètement.
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L'auteur, assumant pleinement les dimensions de l'autobiographie, se définit non pas en « historien du présent », mais en « historien au présent, par dessus tout sensible à la présence de l'histoire, en son lieu actif, vivant, qui est la mémoire » et parle de « ce qui est arrivé et de ce qui m'est arrivé. »

Je ne reviendrais dans cette note sur les passages d'autobiographie, juive algérienne, militante, étudiante ou doctorante. J'insisterai plus sur les débats soulevés sur les mémoires et l'oubli.

Benjamin Stora définit un cadre de réflexion :« ce livre est donc un retour sur les conditions de fabrication de toutes ces histoires algériennes et et maghrébines, par les archives inédites, les témoignages, les images ». Évoquant en filigrane d'autres possibles, il constate « le système colonial puis la guerre d'indépendance, terrible, ont ruiné l'idée d'une société à la fois indépendante et pluriethnique. Aller vers une telle société relevait d'une capacité rare et fragile. Avec la force de la guerre, la violence, la cruauté coloniale, d'autres logiques l'ont emporté. »

Les mémoires sont façonnées par les expériences vécues et la capacité des sociétés à faire retour, à réexaminer les passés. « Pour ne pas avoir assumé le passé dans sa complexité, celui-ci explose dans le présent de manière anarchique, désordonnée, échappant à tout contrôle. » En tout, six à sept millions de personnes vivent « séparées les unes des autres, avec cette mémoire douloureuse. Ce cloisonnement annonce le surgissement d'une possible guerre des mémoires »

Refaire mémoire c'est non seulement rendre les complexités « Construire l'objet mémoire exige en premier lieu de rendre la mémoire à elle-même en la dégageant de toutes les sédimentations qui l'ont ensevelie, au point de la rendre méconnaissable. », créer des bases d'une compréhension élargie, y compris dans des visions antagoniques. C'est enfin se préparer à construire l'oubli.

Marc Ferro, cité par l'auteur, avait précisé trois sortes d'oublis « ceux que sécrètent les sociétés, ceux que gère l'ordre historique, et enfin ces oublis qui font partie des procès de sélection propres au travail historique. »

Benjamin Stora insiste sur la distinction « entre l'oubli légitime, nécessaire, évident, et un oubli organisé par les États, visant à échapper à la justice, à éviter le châtiment. »

Je partage la vision de l'auteur sur l'oubli nécessaire, le fait de tourner la page et donc de d'assumer, sur des crimes, une position tournée sur le futur « C'est une illusion que de vouloir absolument imposer, sans cesse, comme une tyrannie, la mémoire retrouvée. » Il n'en reste pas moins que cela ne peut se faire, qu'après un processus d'exposition, voir de justice sans condamnation ou de condamnation amnistiée. Il faut en quelque sorte faire droit aux victimes, à toutes les victimes. J'ai conscience en disant cela, d'être démuni sur les concrets possibles, sur la faisabilité même des amnisties massives après des crimes massifs. Je pense particulièrement au Rwanda et à l'Afrique du sud. Mais il serait possible d'évoquer le silence très pesant de l'après nazisme ou de l'après Stasi (police de l'ex RDA).

A noter une appréciation de l'auteur sur l'islamisme, à partir de ses travaux d'historien de la guerre d'Algérie « La force de l'islamisme consiste à proposer une rupture avec l'État actuel, en retrouvant les accents et le vocabulaire de l'ancienne fracture avec l'État colonial français. Ils réactivent une mémoire politique, selon un processus déjà mis en oeuvre à l'époque coloniale : rupture avec un État considéré comme impie ou antireligieux ; rupture avec un islam officiel, institutionnel. »

Le talent de remémoration et de narration de Benjamin Stora donne à ses livres un ton particulier, en résonance intime avec les thèmes traités. Comme dans ses précédents ouvrages, l'auteur assume « cette part d'Orient qui ne veut pas partir » et nous offre une réflexion ouverte sur l'histoire, la frontière et les mémoires.

En annexe, le texte d'une conférence donnée à Stockholm en 2007 « Il y a cinquante ans, le prix Nobel de littérature était attribué à Albert Camus. »

« Sur la frontière » mais dans une inscription géographique différente, je rappelle le livre de Michel Warchawski paru dans la même collection (Stock, Paris 2002, 300 pages, 20€, réédité dans la collection de poche Hachette Pluriel)
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Le système colonial puis la guerre d’indépendance, terrible, ont ruiné l’idée d’une société à la fois indépendante et pluriethnique. Aller vers une telle société relevait d’une capacité rare et fragile. Avec la force de la guerre, la violence, la cruauté coloniale, d’autres logiques l’ont emporté.
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La force de l’islamisme consiste à proposer une rupture avec l’État actuel, en retrouvant les accents et le vocabulaire de l’ancienne fracture avec l’État colonial français. Ils réactivent une mémoire politique, selon un processus déjà mis en œuvre à l’époque coloniale : rupture avec un État considéré comme impie ou antireligieux ; rupture avec un islam officiel, institutionnel
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Construire l’objet mémoire exige en premier lieu de rendre la mémoire à elle-même en la dégageant de toutes les sédimentations qui l’ont ensevelie, au point de la rendre méconnaissable
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C’est une illusion que de vouloir absolument imposer, sans cesse, comme une tyrannie, la mémoire retrouvée.
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ce livre est donc un retour sur les conditions de fabrication de toutes ces histoires algériennes et et maghrébines, par les archives inédites, les témoignages, les images
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• Objectif Terre : L'urgence climatique au coeur des réflexions de nos invités, Erik Orsenna, Marion Cotillard, Alain Juppé, Thomas Pesquet ou encore Julian Bugier. • Vivre deux cultures : Quand l'historien Benjamin Stora ou le réalisateur Alexandre Arcady nous ont confié leurs souvenirs d'Algérie, l'exil forcé, le déracinement et leur nouvelle vie en France, à laquelle Enrico Macias n'en finit pas de faire des déclarations d'amour.
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