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Critique de Nastasia-B


Brrrr !… Voici une pièce glaçante ; une pièce venue du froid et pas seulement parce que son auteur est suédois. Non, une pièce glaçante car elle est crépusculaire, sans espoir, sans issue sauf l'issue fatale.

Il s'agit d'une courte pièce en trois actes, dite pièce de chambre, c'est-à-dire un drame dépouillé de toutes sortes de scènes digestives entre les moments forts. Ici, il n'y a qu'un moment et c'est précisément celui qui aurait été le point d'orgue, l'apogée d'une pièce de forme plus classique. Une sorte de nouvelle théâtrale si vous me permettez cette approximation.

Il y a donc peu de personnages en général et peu de personnages secondaires en particulier. On est tout de suite introduit dans la situation paroxysmique. Mais avant d'entrer un peu plus dans le détail du synopsis, peut-être n'est-il pas inutile de nous arrêter quelques instants sur cet étrange titre.

Bien évidemment, il n'est jamais question d'oiseau marin dans cette pièce un peu comme dans La Mouette de Tchékhov. C'est donc un titre symbolique mais je vous avoue que, forte de mon incroyance et de mon ignorance en matière religieuse, j'ai cherché longtemps quel pouvait bien être le symbole en question. Alors que toute bonne chrétienne un peu au fait des iconographies sacrées aurait de suite perçu la métaphore.

La réponse se trouve pour partie dans la biologie et pour partie dans les interprétations humaines et le credo chrétien. Le pélican, en tant qu'oiseau marin, n'a rien d'extraordinaire dans sa façon d'élever ses petits. Il fait un nid, pond quelques œufs dont il sort deux ou trois oisillons odieux avec des têtes nues de dinosaures embryonnaires qui peu à peu se déguisent en oiseaux de mer. Pour assurer la croissance de ces jolies petites bêtes, les parents se succèdent au nid avec un jabot plein de bouts de poissons sanguinolents plus ou moins fraîchement pêchés et à divers stades de leur digestion. Les petits oviraptors fourragent alors généreusement dans les entrailles de leurs parents pour en extraire des victuailles qui pourraient, avec un regard mal affûté, faire penser à quelque organe vital du parent en question.

De là à imaginer que le pélican va jusqu'à se sacrifier pour sa progéniture en leur donnant à manger son propre cœur, il n'y a qu'un pas pour le mauvais observateur de la nature, (dont les théologiens et iconographes chrétiens font partie puisqu'en plus d'une très mauvaise observation biologique, ils représentent sur leurs églises des pélicans avec des têtes d'aigles, preuve d'une mauvaise observation artistique) désireux de trouver à tout prix dans la faune des manifestations du sacrifice du Christ. (Je signale au passage que pour cette même raison, le pélican a été choisi pour les représentations héraldiques dans le sud-est de l'Europe, et, ce faisant, par Hergé comme symbole de la Syldavie.)

Ceci dit — pardonnez-moi cette longue digression —, voici donc au moins l'un des thèmes de la pièce qui nous serait ainsi révélé : le sacrifice pour les enfants. Mais de suite, une nouvelle ambiguïté se fait jour : qui est le Pélican ? le père ou la mère ? S'il s'agit de la mère, comme il est probable puisque c'est le personnage principal, s'agit-il d'une franche ironie, d'un sarcasme de l'auteur ou d'une envie de ce dernier de mettre le doigt sur la notion de " perception de sacrifice " et la distance qui peut la séparer du sacrifice véritable ?

Car, bien qu'elle s'imagine (peut-être sincèrement ?) avoir admirablement rempli sa mission conjugale et maternelle tout au long de sa vie, la mère dont il est question ici ressemble à tout sauf à quelqu'un qui se sacrifie pour les autres, et tout particulièrement à l'endroit de ses enfants. Elle apparaît aussi aimante qu'une clef à molette et les a laissés jeûner dans le froid la majeure partie de leur existence.

Toutefois, se rend-elle seulement compte de la vie qu'elle leur a offert ? Le père, quant à lui, vient de mourir et l'on saute déjà sur le couvercle du cercueil pour connaître la part d'héritage qui échoit à chacun.

Le fils et la fille sont faméliques bien que cette dernière vienne de célébrer son mariage avec un drôle d'individu qui semble nourrir d'étranges relations d'intimité avec la mère…

Je ne vous en dit pas davantage mais sachez seulement qu'il se dégage une glauquissime impression de cette pièce ou Strindberg veut nous dire que nous nous berçons d'illusions et que nous nous cachons derrière les paravents factices des apparences. Et quand on se décide à lever ces voiles et ces caches, on ne doit s'attendre à découvrir que le visage hideux de la mort…

Encore un dernier mot, peut-être, car j'ai jusqu'à présent gardé le silence sur un trait pourtant saillant de la pièce et de son auteur, à savoir que le texte est constellé, qu'il suinte et qu'il transpire par tous les pores une franche misogynie. On peut également affirmer qu'il exsude une vison absolument calamiteuse et désolante de la maternité, présentée comme un insupportable fardeau pour la mère et carrément pire que l'enfer pour les rejetons…

Joli programme, n'est-ce pas ? Mais ce n'est bien sûr qu'un avis à plumes blanches muni d'un grand bec au-dessous duquel une longue poche disgracieuse, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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