Au milieu des aléas de ma licence, en 1961, j'ai eu la chance d'avoir Pascal au programme de la Sorbonne. J'étais alors plongée dans les affres du doute, dans l'amertume de mes incompétences. Face au mur auquel je me heurtais sans cesse, je voulais creuser pour atteindre la vérité, comme on creuse dans le désert à la recherche d'une source précieuse. En quête d'une orientation profonde, je ne me contentai plus, cette fois, de quelques-unes des Pensées glanées ici ou là, mais me livrai à une étude approfondie. C'est à cette occasion décisive que Pascal devint le phare qui devait illuminer mon esprit et combler mon coeur.
Ne soyons ni fascinés par le clinquant des choses , dit-elle , ni désespérés par leur néant . Il est possible de s'élever infiniment au-dessus . Pascal nous enseigne qu'il existe ô combien , une troisième voie . C'est en accrochant notre charrue à une étoile qu'elle s'envolera et nous arrachera au néant . Cette étoile est celle de l'Amour , cette voie est celle du Coeur . C'est le troisième ordre du coeur qui donne à nos vies leur sens , leur poids d'éternité . Seul l'Amour permet , avec notre grandeur et notre misère , de demeurer dans la Joie.
Aimer, c'est apprendre à écouter la différence de l'autre. L'amour est une écoute qui retentit en soi. Alors s'ouvre la réception de don de l'autre, de sa manière autre d'aimer. Nous serons toujours différents, mais quand tu sais écouter l'autre différent de toi, tu fais entrer en toi une vision qui n'est pas tienne. L'autre, tu ne le changes pas, mais ta vision , oui, tu peux la changer. Qu'est-ce que l'autre sent, attend, et que je peux lui donner? L'amour, c'est ce complément d'être que je donne, mais tel que l'autre le désire, et non pas tel que je l'imagine. L'amour, c'est ce complément d'être que, réciproquement, l'autre me donne, mais à sa façon. Ceux qui s'aiment sont dans le mystère d'une relation vécue différemment, dans la différence.
J'ouvre le gros bouquin (...) et je commence à lire:
«L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature.»
Tiens, voilà quelqu'un qui veut dire quelque chose! Quoi de plus faible en effet qu'un roseau: le moindre vent le courbe. (...) J'enrage parfois. Impuissante à me contrôler comme à persévérer dans l'effort, un rien me décourage (...) comme [tous] les adolescents, j'étais aussi poursuivie par la question insoluble. à quoi ça sert de vivre? ça n'a pas de sens. à quoi ça sert les études? Il faut toujours travailler. D'ailleurs, à quoi ça sert d'être sur la terre? On ne sait pas où on va, ni pourquoi on vit. C'est un chemin bouché, c'est ennuyeux au possible, c'est même bête.
Par la fenêtre, je regarde un gros chat noir qui s'étire paresseusement (...). Le bel animal fourre entre ses pattes sa tête aux moustaches blanches qui frémissent au vent. Il se baigne voluptueusement dans le soleil encore tiède (...) Comme c'est bon d'être un chat! On n'a qu'à jouir du moment présent et satisfaire ses sens. Pas de problème pour un chat. Manger, boire, dormir. Sentir (...). La vie est belle, pas d'école!
Je m'arrache à ma rêverie, et reviens à Pascal:
«L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant.»
Ça me fait un choc. (...) Un éclair jaillit soudain devant mes yeux. (...) Je respire par le corps, oui, comme le chat, mais je suis un être pensant. (...) J'existe en tant que douée de cette faculté merveilleuse, le pensée. (...)
«...Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt, et que l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien.» (...)
La vie qui m'avait paru tellement bête prenait un sens. (...) OUI, je voulais vivre. Vivre pour développer mon être pensant qui dépasse les bornes de l'univers. J’ai tout à coup senti que la noblesse et la valeur de ma vie, loin d'être réduites à rien par mon impuissance et mon incapacité, résidaient dans mon être même, et sa capacité de libération.
(...) L'univers est inconscient et, par là, informe et immobile, sans ce tressaillement de l'esprit. La circulation des astres, sidérante en son amplitude et son foisonnement, est en effet subie et non pensée: ça bouge, et puis c'est fini. c'est nous, humain, qui animons l'univers.
En écrivant ce livre, je voudrais faire partager à mes frères et soeurs en humanité le fruit d'une expérience presque centenaire. L'événement qui me fit entrer dans un chemin de questionnement eu lieu peu avant mes six ans. J'étais au bord de la mer, fascinée par le flux et le reflux des vagues, par l'éclat irisé de l'écume. Cette belle écume, je la vis engloutir le visage chéri de mon papa. Comment avait-il pu disparaître pour toujours dans les flots? Où était-il allé? Pour la première fois, j'entendis parler d'éternité.
Vahina Giocante dans les pas de Soeur Emmanuelle au Burkina .L'actrice soutient une grande campagne de l'association Asmae dont elle est la marraine et nous raconte son immersion dans une mission au Burkina Faso. | Retrouvez sur notre site toutes les vidéos du Nouvel Observateur